Le Monde - 12.03.2020

(Tina Meador) #1
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JEUDI 12 MARS 2020 planète| 11

Malades chroniques et plus de 60 ans en première ligne


Les personnes les plus vulnérables doivent appliquer des mesures strictes, selon les associations de patients


« J’AI PLUS PEUR 


DU CORONAVIRUS 


QUE DU CANCER », CONFIE 


UNE FEMME DE 58 ANS 


SOIGNÉE POUR UNE 


TUMEUR DU SEIN


L


es personnes de plus de
60 ans et celles qui ont le
plus de probabilité de
contracter des formes gra­
ves du Covid­19 doivent d’ores et
déjà appliquer les mesures de pré­
caution recommandées dans les
zones à risques : ne pas sortir de
chez soi sauf raison impérative,
garder une distance de plus d’un
mètre avec les autres, éviter les
contacts avec les plus jeunes, etc.
Face aux inquiétudes grandissan­
tes dans la population, France As­
sos Santé, qui regroupe 72 associa­
tions de patients, a publié mardi
10 mars une série de recomman­
dations strictes. « Les patients et
personnes à risque, parmi lesquels
un grand nombre de personnes
sont des actifs, devraient pouvoir le
plus rapidement possible rester à la
maison », va jusqu’à recomman­
der l’organisation.
Des préconisations qui peuvent
sembler radicales, mais que cer­
tains appliquent déjà. « J’ai plus
peur du coronavirus que du can­
cer », raconte une femme de
58 ans soignée pour une tumeur
du sein. Son traitement, qui peut

affaiblir les défenses immunitai­
res, doit être contrôlé chaque
mois par une prise de sang. Elle ne
prend plus les transports en com­
mun, fait très attention aux ges­
tes du quotidien, mais craint de
contracter le coronavirus par l’in­
termédiaire de ses enfants ou de
son mari. Depuis quelques jours,
elle envisage carrément de s’iso­
ler à la campagne... « J’ai peur de
me rendre à l’hôpital et d’y être
contaminée », dit une autre pa­
tiente sur un forum de femmes
atteintes de cancer. « Je suis ultra­
stressée. Nous sortions peu depuis
la greffe de mon compagnon, mais
là, plus du tout! », témoigne la
compagne d’une personne gref­
fée du rein sur le forum de l’asso­
ciation de patients Renaloo.
Qui sont les personnes les plus
vulnérables à une forme grave
d’infection par le SARS­CoV­2?
Une étude chinoise portant sur
191 patients hospitalisés à Wu­
han, publiée dans The Lancet le
9 mars, confirme qu’un âge élevé
est à lui seul un facteur de mor­
talité, comme lors d’autres
épidémies à coronavirus (SRAS et

« N’importe quelle infection vi­
rale, le coronavirus mais aussi la
grippe, peut amplifier les symptô­
mes habituels des patients insuffi­
sants respiratoires et décompen­
ser leur pathologie, [c’est­à­dire
déséquilibrer leur état] », assure
la professeure Claire Andrejak,
membre de la Société de pneumo­
logie de langue française (SPLF) et
pneumologue au CHU d’Amiens,
qui constate que « beaucoup de
ses patients sont inquiets ».
Quant au tabagisme, présent
chez 11 des patients de la série chi­
noise (6 %), il n’apparaît pas
comme un facteur de risque de
gravité. Cet élément est cependant
surprenant quand on sait que plus
d’un homme sur deux est fumeur
en Chine. Il y a quelques jours, l’as­
sociation Alliance contre le tabac
avait communiqué sur le lien en­
tre tabagisme et formes sévères et
très sévères de l’infection, exploi­
tant les résultats d’une étude sur
un millier de patients, publiée le
28 février dans le New England
Journal of Medicine.
Quid des personnes touchées
par un cancer, dont le système im­

munitaire peut être affaibli par
des chimiothérapies et radiothé­
rapies? « Le traitement pour un
cancer ou les séquelles liées ne sem­
blent pas augmenter, sur la base
des données disponibles, le risque
de développer une infection à coro­
navirus. En revanche, le risque de
complication de l’infection pour­
rait être majoré », indique l’Institut
de cancérologie Gustave Roussy
dans ses recommandations. « Il
n’y a aucun argument, au vu de la
situation épidémiologique fran­
çaise, pour suspendre ou reporter
les traitements », poursuit l’établis­
sement, qui restreint les modali­
tés de visites à ses patients hospi­
talisés. La Ligue contre le cancer
est sur la même ligne.
Des précautions qui s’appli­
quent de façon générale à toutes
les personnes prenant un traite­
ment immuno­suppresseur (qui
réduit les défenses immunitaires),
dans le cadre d’un cancer, mais
aussi d’une greffe d’organes pour
prévenir le rejet, ou encore de pa­
thologies chroniques, comme la
polyarthrite rhumatoïde, des ma­
ladies inflammatoires intestina­
les, ou certaines affections derma­
tologiques. « Il n’y a toutefois pas
de données suggérant que les trai­
tements immunosuppresseurs/
biothérapies utilisés au cours des
maladies inflammatoires chroni­
ques augmenteraient le risque d’in­
fection à Covid­19 », indique une
note de médecins, dont le profes­
seur Yazdan Yazdanpanah (service
d’infectiologie de l’hôpital Bichat,
APHP), dans les recommanda­

tions de l’association AFA Crohn
(une maladie inflammatoire chro­
nique intestinale).
Pour les personnes greffées, en­
viron 64 000 en France, le profes­
seur Olivier Bastien, responsable
du prélèvement et des greffes à
l’Agence de la biomédecine, ap­
pelle lui aussi à « ne pas interrom­
pre le traitement anti­rejet, ce se­
rait une erreur majeure ».

Débat sur le masque FFP
Saisie de nombreuses interroga­
tions, voire de désarroi de malades
du rein, dialysés ou greffés, qui se
plaignent souvent d’avoir des in­
formations contradictoires, l’asso­
ciation de patients Renaloo a pu­
blié des conseils. Elle recom­
mande de « rester au maximum
chez soi, opter si possible pour le té­
létravail, éviter les lieux publics, les
transports en commun, les restau­
rants, salles de spectacle, etc. ». De
même, selon Renaloo, il est décon­
seillé de se rendre à l’hôpital, sauf
si c’est strictement nécessaire.
L’intérêt du port de masque de
type FFP2 (renforcé) chez les per­
sonnes à risque mais non infec­
tées fait débat. Pour les autorités
sanitaires, ils ne sont utiles que
pour les professionnels de santé
et les personnes malades. Des as­
sociations de patients les recom­
mandent plus largement.
« Si vous devez malgré tout fré­
quenter un lieu confiné, par exem­
ple un centre de dialyse ou un hôpi­
tal, portez dans la mesure du possi­
ble un masque et respectez une dis­
tance de sécurité », préconise
Renaloo. « Pour les personnes im­
munodéprimées ou sous immuno­
suppresseurs, les masques sont effi­
caces et c’est prouvé scientifique­
ment. S’ils doivent voyager, les mas­
ques sont certainement une bonne
idée », estime Jean­Pierre Thierry,
conseiller médical de France Assos
Santé. Encore faut­il pouvoir en
trouver en pharmacie...
sandrine cabut
et pascale santi

MERS). Parmi ces patients, ceux
qui sont décédés avaient en
moyenne 69 ans, les survivants


  1. Fei Zhou et ses collègues ob­
    servent aussi que la présence
    d’une comorbidité (pathologie
    associée) est statistiquement
    plus fréquente chez ceux qui sont
    décédés (67 %) que chez les survi­
    vants (40 %). Il s’agit le plus
    souvent d’une hypertension
    artérielle, d’un diabète, ou encore
    d’une atteinte des artères coro­
    naires.


Quid du tabagisme?
Qu’en est­il des porteurs de mala­
dies respiratoires, comme la
bronchopneumopathie chro­
nique obstructive (BPCO)? Dans
une lettre ouverte au ministre de
la santé, l’association France
BPCO s’alarme des dégâts du co­
ronavirus chez ces patients, « pre­
mières victimes en général de tout
désordre viral, météorologique ou
environnemental de grande am­
pleur ». La publication du Lancet
ne peut trancher sur ce risque,
l’effectif total de malades avec
une BPCO étant faible (6).

La crainte d’une participation en baisse pour les municipales


L’épidémie fait planer le risque d’une abstention en hausse les 15 et 22 mars. Les électeurs les plus inquiets ne sont pas les plus vulnérables


L


es élections municipales
auront bien lieu, malgré les
craintes liées au SARS­CoV­
(le virus responsable de la maladie
Covid­19), répète l’exécutif. Mais
avec quelle participation? Dans le
palmarès des élections qui mobili­
sent, les municipales sont d’habi­
tude bien placées, deuxièmes der­
rière l’élection présidentielle. Mais
cette année, à l’heure où la France
compte 33 morts et plus de 1 600
cas détectés officiellement, la par­
ticipation est donnée en baisse par
rapport au scrutin de 2014.
Selon une enquête Elabe pour
Les Echos, l’Institut Montaigne et
Radio Classique publiée le 5 mars,
62 % des Français envisagent d’al­
ler voter les 15 et 22 mars, un chif­
fre en baisse de 4 points par rap­
port à la fin du mois de janvier. A
titre de comparaison, en 2014,
63,5 % des inscrits sur les listes
sont allés voter au premier tour
des élections municipales, 62,13 %
au second. Il s’agissait déjà d’une
abstention record sous la Ve Répu­
blique, liée notamment à une dé­
saffection de l’électorat de gauche.
Pour partie, c’est donc une ten­
dance de fond — la progression de
l’abstention — qui se poursuit,
mais l’épidémie due au coronavi­
rus menace d’accentuer le phéno­
mène. Dans les foyers d’infection
et ailleurs, les élus redoutent no­
tamment que les personnes âgées,

plus vulnérables, ne s’abstiennent
par crainte de la contamination,
alors qu’elles constituent d’habi­
tude la population qui vote le plus
(jusqu’à 80 ans).
Ainsi dans l’Oise, l’un des foyers
de l’épidémie, Alain Vasselle, prési­
dent de l’Union des maires de
l’Oise et maire du village d’Oursel­
Maison, anticipe : « Parmi les per­
sonnes âgées, il y aura un taux
d’abstention plus important que
d’habitude. » L’édile a proposé à
ses électeurs (un peu moins de
200) une procuration, trois d’entre
eux ont accepté, mais d’autres
n’iront selon lui pas voter, malgré
les mesures évoquées par l’exécu­
tif (gel hydroalcoolique à disposi­
tion, gants, distance de sécurité,
procurations facilitées).

« Venez voter avec des gants »
C’est aussi un motif d’inquiétude
dans les rangs de La République en
marche (LRM), où l’on redoute de
pâtir d’un manque de voix en pro­
venance d’une catégorie d’âge ha­
bituellement plutôt favorable au
parti présidentiel. « Le problème,
c’est que ceux qui vont moins sortir
voter sont les seniors, pour une rai­
son simple : ce sont principalement
eux qui meurent du virus », s’in­
quiète une ministre.
Le sujet, évoqué lundi par des dé­
putés LRM dans une boucle Tele­
gram partagée avec le ministre de

l’intérieur, Christophe Castaner,
est pris au sérieux. Preuve en est, il
a été abordé en premier, lundi
9 mars, lors du bureau exécutif du
mouvement. Le délégué général,
Stanislas Guerini, a présenté le dis­
positif prévu par le ministère de
l’intérieur pour favoriser les pro­
curations, qui permettra aux di­
recteurs d’établissements d’héber­
gement pour personnes âgées dé­
pendantes (Ehpad) de les recueillir
auprès de leurs pensionnaires, là
où seul un officier de police judi­
ciaire pouvait le faire jusqu’ici.
Les appels des responsables poli­
tiques à aller voter malgré le coro­
navirus dépassent la seule majo­
rité. « Venez voter avec des gants,
avec des bonnets, avec des mas­
ques, mais venez voter! », a déclaré
le député Les Républicains (LR),
Eric Woerth. Il y a un « vrai risque »
sur la participation aux munici­
pales, a alerté l’eurodéputé et
membre de la direction du Ras­
semblement national (RN) Nicolas

Bay. « Si l’abstention était anorma­
lement forte, ça poserait une vraie
question démocratique », a­t­il mis
en garde sur France 2.
Selon un sondage publié ven­
dredi 6 mars par l’institut IFOP, il y
aura bien un effet coronavirus sur
la participation, mais il ne jouera
pas forcément sur les populations
les plus à risque. Sur 1 008 person­
nes interrogées le 5 mars, 16 % ju­
gent en effet « certain » que les ris­
ques de transmission du coronavi­
rus puissent les inciter à ne pas se
rendre dans un bureau de vote. En
extrapolant ce chiffre à la popula­
tion électorale, 7 millions de per­
sonnes sont susceptibles de rester
chez elles à cause du virus.
Parmi elles, les jeunes et les per­
sonnes peu diplômées, qui vo­
tent traditionnellement moins,
mais aussi des catégories votant
beaucoup, les cadres et profes­
sions intellectuelles supérieures.
Sur l’échiquier politique, les élec­
teurs de Benoît Hamon et de
Jean­Luc Mélenchon sont plus
enclins (27 % et 21 %) à reporter
leur vote que ceux de François
Fillon, qui ne sont que 12 % à juger
« certaine » une telle décision
d’abstention. Les plus de 65 ans,
pourtant les plus vulnérables au
Covid­19, ne sont que 11 % à évo­
quer cette option, un chiffre infé­
rieur à la moyenne, qui peut tou­
tefois être lourd de conséquences

dans la mesure où les retraités
ont un poids important dans la
population électorale.
Pour Frédéric Dabi, directeur gé­
néral adjoint de l’IFOP, le risque
lié au coronavirus joue d’abord
sur les abstentionnistes habituels
(jeunes, non diplômés) qui y trou­
vent une raison supplémentaire
pour ne pas voter. Ensuite, esti­
me­t­il, « l’effet est plutôt sociodé­
mographique que politique ». Dif­
ficile donc d’identifier le parti qui
bénéficiera ou pâtira du corona­
virus. D’autant que l’élection lo­
cale, la première depuis la fin de la
bipolarisation de la vie politique
française, ne se joue pas dans
une logique de vote sanction, La
République en marche (LRM)

n’ayant quasiment pas de maires
sortants dans les villes.
Quant à la légitimité du scrutin,
il est difficile, pour l’heure, de dire
si elle sera entamée par l’épidémie.
Quel que soit le niveau de l’absten­
tion, le résultat des votes sera va­
lide, aucune élection française
n’imposant de quorum d’élec­
teurs (à l’exception du référendum
local). Pour la deuxième fois d’affi­
lée, après les régionales de décem­
bre 2015 organisées sous protec­
tion policière et militaire un mois
après les attentats du 13 novem­
bre 2015, les rendez­vous de démo­
cratie locale accumulent en tout
cas les perturbations.
julie carriat
et alexandre lemarié

AVEC LE COVID­19,


LES ABSTENTIONNISTES 


HABITUELS TROUVENT UNE 


RAISON SUPPLÉMENTAIRE 


POUR NE PAS VOTER


l’infection par le sars­cov­2 présente­
t­elle un risque pendant la grossesse, pour
la future mère ou son enfant? De premières
données, publiées dans la revue médicale
The Lancet le 7 mars par une équipe chi­
noise, sont plutôt rassurantes. En étudiant
rétrospectivement neuf cas de femmes au
troisième trimestre de grossesse avec une
infection confirmée au SARS­CoV­2, prises
en charge dans un hôpital de Wuhan entre
le 20 et le 31 janvier, Huijun Chen et ses col­
lègues n’ont pas retrouvé de vulnérabilité
particulière. Aucune des neuf patientes n’a
développé de pneumonie sévère et aucune
n’est décédée. Les enfants, tous nés vivants
par césarienne et pour certains prématurés,
n’avaient pas de symptômes infectieux et
des prélèvements, chez six d’entre eux,
étaient négatifs pour le virus. Les auteurs de

l’article signalent toutefois que début fé­
vrier, la presse chinoise a fait état d’une in­
fection néonatale au SARS­CoV­2, chez un
bébé dont la mère était infectée.

Accouchements centralisés
« Nous sommes vigilants mais pas particuliè­
rement inquiets pour les femmes enceintes,
indique le professeur Yves Ville, qui dirige la
maternité de l’hôpital Necker (AP­HP). Les
virus de la famille des coronavirus que l’on
connaît ne sont pas tératogènes [n’indui­
sent pas de malformations] et, jusqu’ici, il
n’y a pas d’élément en faveur d’une transmis­
sion mère­enfant. » Par ailleurs, « la respira­
tion est gênée en fin de grossesse, mais le
SARS­CoV­2 n’entraîne pas d’infection respi­
ratoire plus sévère que la grippe à ce moment
de la grossesse », poursuit le gynéco­obsté­

tricien qui regrette au passage le très faible
taux de vaccination antigrippale des fem­
mes enceintes en France (7,4 % en 2015­
2016). « En pratique, si une femme enceinte
infectée par un coronavirus accouche dans
les deux semaines après le diagnostic, l’en­
fant sera isolé, car une infection néonatale
peut être grave, surtout en cas de prématu­
rité », précise encore le professeur.
A Paris, les accouchements des femmes
infectées par le coronavirus pourraient être
centralisés à la maternité de la Pitié­Salpê­
trière, qui a été aménagée pour cela. Une
femme enceinte avec une pneumopathie
sévère à SARS­CoV­2 y a déjà accouché, son
état s’est amélioré après l’accouchement et
l’enfant va bien, souligne Yves Ville. Un exa­
men du placenta est en cours.
s. ca. et p. sa.

Des données rassurantes chez les femmes enceintes


Le directeur du cabinet de Macron confiné


Le coronavirus se rapproche de l’exécutif. Patrick Strzoda, le direc-
teur du cabinet d’Emmanuel Macron, a été confiné à son domicile
après avoir été en relation avec une personne infectée, a annoncé
l’Elysée, mardi 10 mars, confirmant une information de M6. « Par
mesure de précaution vis-à-vis du président de la République, il lui a
été demandé de télétravailler, et son adjoint assure la continuité du
service », explique l’entourage du chef de l’Etat. M. Strzoda va subir
un test de détection du Covid-19. Le gouvernement est aussi sous
surveillance. Après le ministre de la culture, Franck Riester, qui a
annoncé lundi être atteint du coronavirus, la ministre de la justice,
Nicole Belloubet, a passé un test à la suite d’un épisode de fièvre.
Celui-ci s’est avéré négatif. Le ministre du logement, Julien Denor-
mandie, a également été testé après avoir été en contact avec un
député atteint. Le résultat a été négatif lui aussi.
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