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JEUDI 12 MARS 2020 france| 13
Présentation de la liste RN menée
par le député Sébastien Chenu,
à Denain (Nord), le 22 février.
PIERRE ROUANET/PHOTOPQR/VOIX DU NORD/MAXPPP
A Roubaix, la gauche
en ordre dispersé
Le maire sortant, Guillaume Delbar, qui avait
créé la surprise en 2014, espère être reconduit
lille correspondance
G
uillaume Delbar avait
créé la plus grosse sur
prise lors des élections
municipales de 2014 dans le Nord
PasdeCalais. Quasi inconnu à
l’époque, le candidat UMPUDI
s’était emparé de la mairie de
Roubaix (Nord) avec 332 voix
d’avance sur le maire sortant so
cialiste, Pierre Dubois. Dans son
édition du 1er avril 2014, le journal
local Nord Eclair titrait alors :
« Comment le PS a réussi l’impen
sable : perdre Roubaix. »
Inimaginable quelques semai
nes avant l’élection, la victoire de
Guillaume Delbar s’était forgée
sur la division de la gauche dans
une ville où François Hollande
avait réalisé l’un de ses meilleurs
scores à la présidentielle de 2012
avec 67,35 % des suffrages au se
cond tour. Six ans après, la gauche
rejoue le même scénario. Dans
l’ancienne cité textile, pas moins
de onze listes s’affrontent, dont
sept à gauche. Un record dans
l’histoire politique roubaisienne.
Les divisions internes au PS
n’ont de nouveau pas permis
le rassemblement, et c’est une
communiste, Christiane Fon
froide, qui est tête de liste d’Unis
pour Roubaix, qui rassemble le
PCF, le PS, Génération.s et les radi
caux de gauche. « Si la fédération
PS du Nord était encore puissante,
elle aurait pu imposer une ligne
pour une liste ou deux, mais elle
n’a plus d’autorité », analyse le po
litologue et directeur de Scien
ces Po Lille, Pierre Mathiot.
Politique du zéro déchet
Le PS n’a donc pas de tête de liste
dans la quatrième commune de
la région des HautsdeFrance
(97 000 habitants derrière Lille,
Amiens et Tourcoing). On re
trouve d’anciens adjoints de René
Vandierendonck, le maire roubai
sien UDF puis PS de 1994 à 2012,
sur deux listes de centre gauche,
dont celle d’André Renard. L’an
cien élu socialiste avait déjà mené
une liste dissidente en 2014 et
s’était maintenu lors de la qua
drangulaire qui a vu Guillaume
Delbar l’emporter sur Pierre Du
bois. Cette foisci, la liste d’André
Renard compte dans ses rangs
l’assistant parlementaire de la
députée La République en marche
(LRM) du Nord Catherine Osson.
Djamel Kerrouche s’est engagé
contre le candidat du parti prési
dentiel. Le maire sortant, Guil
laume Delbar, a en effet reçu le
soutien de LRM, des Républicains
(LR) et du MoDem. Les Roubai
siens vontils réussir à s’y retrou
ver dans ce feuilleton?
A 48 ans, l’exLR Guillaume Del
bar sait qu’il bénéficiera de l’écla
tement de la gauche lors de ce
scrutin. Elu discret, ce viceprési
dent du conseil régional a pour
suivi la rénovation engagée du
musée La Piscine, lancé la politi
que du zéro déchet et tenté de
changer l’image de la ville avec
des opérations telles que les mai
sons à 1 euro. Début mars, lors
d’une rencontre sur la rénovation
urbaine dans les quartiers, il a
d’ailleurs reçu la visite et le sou
tien de JeanLouis Borloo.
Dans cette ville de contrastes où
sont nées quelques grandes fortu
nes françaises comme Bernard
Arnault, patron du groupe LVMH,
et où 46 % des habitants vivent
sous le seuil de pauvreté, une sur
prise n’est toutefois pas impos
sible. Les abstentionnistes pour
raient contrarier le scénario le
plus probable de la réélection de
Guillaume Delbar.
Aux européennes de 2019, l’abs
tention s’élevait à 69,43 %, aux lé
gislatives de 2017 à plus de 70 %, et
au premier tour des municipales
de 2014 à 61,58 %. La victoire de
Guillaume Delbar s’était jouée
grâce au réveil des abstentionnis
tes : 2 800 suffrages supplémen
taires exprimés au second tour.
laurie moniez
A Rennes, les écologistes rêvent de
bousculer le premier tour des municipales
La maire socialiste, Nathalie Appéré, est en bonne position, mais les Verts veulent se compter
rennes correspondance
A
u premier rang : Edmond
Hervé, maire de Rennes
de 1977 à 2008, figure tu
télaire du socialisme breton. Sur
l’estrade : Nathalie Appéré, 44 ans,
première magistrate rennaise de
puis 2014, fille spirituelle du pre
mier. Jeudi 5 mars, le meeting de
la maire sortante ressemblait à
beaucoup de grandsmesses orga
nisées au même endroit par une
« gauche plurielle » habituée,
dans le secteur, aux triomphes
électoraux. Une chose, cependant,
a changé : les cadres du PS rennais,
quasi certains, il y a encore dix ans,
d’emporter la mairie avant même
que le premier tour ait lieu, se
montrent plus prudents.
En 2014, Nathalie Appéré avait
été élue en totalisant, au pre
mier tour, presque 10 000 voix de
moins que son prédécesseur so
cialiste, Daniel Delaveau – qui avait
succédé en 2008 à Edmond Hervé.
Cela avait obligé la candidate à
faire alliance, entre les deux tours,
avec la liste réunissant Europe Eco
logieLes Verts (EELV) et le Front de
gauche, pour pouvoir l’emporter.
Mme Appéré avait pris les com
mandes d’une cité aux finances
saines et au dynamisme économi
que fort. C’est toujours le cas : la
ville accueille plus de 1 000 nou
veaux habitants chaque année et
demeure la locomotive d’un bas
sin d’emplois affichant l’un des
taux de chômage les plus bas de
France (6,6 % de la population ac
tive au quatrième trimestre de
2019, contre 8,1 % sur l’ensemble
du territoire hors Mayotte).
S’ils critiquent certains aspects
de son bilan (notamment sur la sé
curité, les transports et les choix
architecturaux), les adversaires de
la maire sortante se sont bien gar
dés de le vilipender. « Nathalie Ap
péré a plutôt été une bonne ges
tionnaire », reconnaît Olivier Du
lucq, colistier de Carole Gandon
(La République en marche, LRM).
La maire actuelle pourrait donc
bénéficier d’une « prime à la sor
tante ». A condition de ne pas trop
pâtir de l’abstention.
« Mariage possible »
Mais les principales inconnues
de l’équation rennaise sont à cher
cher ailleurs. Notamment dans la
capacité de LRM à émerger. Au se
cond tour de la présidentielle de
2017, Emmanuel Macron avait ef
fectué ici son deuxième meilleur
score dans une grande ville, après
Paris. Carole Gandon vatelle sé
duire une partie de l’électorat de
centregauche? Elle et ses mili
tants font les frais, sur les marchés,
du ressentiment à l’égard du gou
vernement. « On en prend plein
la gueule », admet un proche de
Mme Gandon. « Oui, cela nous nuit,
mais, en même temps, on constate
une forme de légitimisme et de re
connaissance des choses qui sont
faites par le gouvernement », relati
vise Olivier Dulucq.
Les macronistes devront se par
tager une part d’un même gâteau
avec Charles Compagnon, can
didat sans étiquette soutenu par
Les Républicains et le MoDem. Ce
restaurateur, exprésident de l’as
sociation de commerçants Carré
rennais, n’entend pas faire de la fi
guration. « Nos chances sont réel
les, assuretil. Les gens nous disent
qu’il faut faire souffler les vents de
l’alternance. » L’enthousiasme de
M. Compagnon est proportionnel
à l’ampleur de sa tâche : conjurer le
mauvais sort de la droite et du cen
tre locaux, coutumiers des débâ
cles depuis quarante ans.
De l’autre côté de l’échiquier, les
incertitudes sont nombreuses en
ce qui concerne La France insou
mise (LFI). Son leader, JeanLuc
Mélenchon, avait fait le plein de
voix à Rennes lors de la dernière
présidentielle (25,86 % au premier
tour, contre 19,58 % sur l’ensemble
du territoire). Rien ne dit, cepen
dant, que sa représentante pour
les municipales rennaises, Enora
Le Pape, atteindra de tels som
mets : son équipe a fait campagne
avec un budget limité et, contraire
ment à 2014, ne part pas en tan
dem avec les écologistes.
Dans ce contexte, le score de la
liste emmenée par le conseiller
municipal Matthieu Theurier
(EELV) fait l’objet de toutes
les spéculations. Après six ans
d’union plus ou moins heureuse
avec le PS et ses alliés en mairie,
les cadres et militants d’EELV ont
décidé de faire cavaliers seuls lors
des municipales, aux côtés de
l’Union démocratique bretonne,
de Nouvelle Donne et de l’asso
ciation écologiste Confluences,
qu’ils avaient contribué à lancer
en novembre 2018. Portés par
une dynamique nationale favo
rable, ils se sentent pousser des
ailes. « Je n’ai jamais vécu une
campagne comme cellelà, avec
une énergie collective autour de
nous assez incroyable, une vraie
envie de changement, et surtout
de victoire », affirme Matthieu
Theurier. Objectif avoué des éco
logistes : arriver en tête au soir du
premier tour, pour aborder en
position de force d’éventuelles
négociations avec la liste de
Mme Appéré. « Il n’y aura pas d’al
ternance vers la droite à Rennes,
prédit M. Theurier. La question,
c’est qui de nous ou des socialistes
va peser le plus. »
Sans se ménager, les deux camps
ne se sont jamais dénigrés outre
mesure. « Je pense que Nathalie
Appéré est très sincère lorsqu’elle dit
avoir fortement évolué sur les ques
tions écologiques, confie un pro
che de la maire sortante. A tel point
qu’aujourd’hui, je ne sais pas trop
ce qui nous distingue d’EELV. Sur le
fond, le mariage est possible, même
si tout cela peut être parasité par
des intérêts partisans. »
Les adversaires de la gauche ren
naise misent justement sur un tel
« parasitage ». « A Rennes, cette an
née, tout le monde s’attend à une
surprise, mais personne ne sait la
quelle », résume M. Compagnon.
nicolas legendre
François Cuillandre pris en tenaille à Brest
Elu depuis 2001, le maire sortant socialiste a vu l’union de la gauche se déliter
brest envoyé spécial
I
l s’enfonce dans sa chaise de
bureau et joint ses mains der
rière sa nuque. La « dernière »
campagne de François Cuillandre,
maire de Brest (Finistère) depuis
2001, n’a pas entamé sa bonho
mie. Ses adversaires lui promet
tent la tentative de trop, lui laisse
dire. Dernier socialiste breton
encore en poste de cette géné
ration 1977, guidée par Edmond
Hervé, Louis Le Pensec ou Jean
Yves Le Drian, ayant fait basculer
la région à gauche, Cuillandre en a
vu d’autres. Tous ses concurrents
minorent son implication dans
la mue de Brest, cette cité recons
truite à la vavite après la seconde
guerre mondiale, aujourd’hui
dotée de nouveaux équipements
(tram, téléphérique, Arena...). Lui a
décidé d’être de nouveau candidat
et de laisser les électeurs juger.
Cette foisci, François Cuillandre
avance comme un funambule.
L’habituelle union de la gauche
qui lui avait assuré 42,46 % des suf
frages au premier tour en 2014 a
implosé. « Nous vivons une perte
de repères dans ce monde dit “mo
derne” où la fidélité n’existe plus.
C’est étonnant et décevant, grimace
le maire. Les ambitions se dévoi
lent. Certaines sont respectables,
d’autres résultent d’une décompo
sition politique où les valeurs et les
engagements sont comme la ma
rée. Ils vont et viennent... »
L’édile cible les écologistes sié
geant dans sa majorité mais sou
haitant « tourner la page ». Ces der
niers tentent de le doubler sur sa
gauche, accompagnés par l’Union
démocratique bretonne (UDB),
Génération.s, les radicaux de gau
che et même quelques anciens
socialistes comme Thierry Fayret,
actuel premier adjoint et candidat
malheureux à l’investiture du
Parti socialiste (PS) pour cette élec
tion. « Pour mener une véritable
transition écologique, le maire doit
être “vert”. M. Cuillandre conduit
une politique du XXe siècle, assène
Ronan Pichon, tête de liste éco
logiste et viceprésident de Brest
Métropole. J’ai passé six ans dans la
majorité. L’analyse de mon man
dat? Il n’est pas possible de dépas
ser certaines limites intellectuelles
sans renverser la table. »
Mis en examen
François Cuillandre enrage aussi
contre Marc Coatanéa, ancien res
ponsable de la Fédération du PS
finistérien, passé à La République
en marche (LRM) en 2017. Porteà
porte, réunions publiques, trac
tage... Ce quadragénaire laboure
Brest depuis le lancement de sa
campagne, cet été. « Sur le terrain,
j’entends peu de “Tout sauf Ma
cron”, mais beaucoup de “Cuillan
dre doit dégager”. Désormais, je
suis libre de m’exprimer », clame
Marc Coatanéa qui critique les
« dogmes » de son expatron.
Soutenu par Richard Ferrand et
JeanYves Le Drian, il ne veut plus
d’une seconde ligne de tramway,
mais préfère le développement
d’un trolleybus. Il plaide aussi
pour la mise en place d’une police
municipale à Brest, dernière ville
française de plus de 100 000 habi
tants à ne pas en disposer. Marc
Coatanéa propose même d’armer
les agents, comme Bernadette
Malgorn, candidate centre droit et
responsable de l’opposition de
puis sa défaite en 2014 avec 47,29 %
des suffrages au second tour. « La
sécurité est un gros mot pour le
maire actuel. Quand les grandes
métropoles s’équipaient pour lutter
contre la délinquance, Brest ne bou
geait pas..., dénonce l’ancienne
préfète de Bretagne. François
Cuillandre refuse de voir que les vio
lences gratuites explosent dans no
tre ville tout comme le trafic de dro
gue. Brest est aussi devenu un ter
reau pour l’islamisme radical. »
Jadis surnommée « Bernie la
matraque » pour avoir essayé de
dompter les soirées étudiantes
rennaises au début des années
2000, Mme Malgorn a fait de la sé
curité son thème de campagne
pour verrouiller sa base électorale
et séduire les abstentionnistes,
presque un électeur sur deux
en 2014. La discrète candidate du
Rassemblement national (RN), Re
née Thomaïdis, applique la même
stratégie et trouve un certain écho.
PierreYves Cadalen, tête de liste
La France insoumise, plaide, lui,
pour la gratuité des transports pu
blics. « Il existe deux candidatures
crédibles pour contrer Cuillandre.
Celle de Malgorn à droite et la nôtre
à gauche. Les autres ne sont que des
supplétifs du PS avec des positions
illisibles destinées à préparer les fu
sions d’entredeuxtours », estime
til. Comme tous les adversaires de
François Cuillandre, il promet une
plus grande « transparence ».
Une manière de rappeler l’affaire
qui secoue le PS brestois. En
avril 2019, deux piliers de la majo
rité municipale, soupçonnés
d’avoir détourné de l’argent des
caisses de l’association collectant
les indemnités des élus socialistes
brestois pour les redistribuer plus
équitablement, ont été mis en exa
men pour « abus de confiance »
et « complicité d’abus de con
fiance ». En octobre, le maire a été
mis en examen pour un prêt de
4 000 euros accordé par cette asso
ciation en 2012, mais jamais rem
boursé. « Cette histoire est infa
mante. Je la traîne comme un bou
let personnel et familial. La justice
fera son travail comme elle l’en
tend. En attendant, cette affaire
complexifie ma campagne, mais,
franchement, on m’en parle peu »,
assure François Cuillandre.
Sa garde rapprochée riposte en
publiant les déclarations de sou
tiens de personnalités loca
les : Christophe Miossec, Olivier
de Kersauson, Nolwenn Leroy,
Irène Frachon... « Ce comité cher
che à masquer combien M. Cuillan
dre est essoufflé et propose une vi
sion du passé. Cela fait vingt ans
qu’il bétonne en laissant des quar
tiers à l’abandon », tance Pascal Oli
vard, ancien président de l’Univer
sité de Bretagne occidentale (UBO)
et candidat centriste, persuadé de
sa participation au second tour.
Au soir du 15 mars, François
Cuillandre prédit le maintien de
quatre à six listes : « Le RN et LFI se
rontils au second tour? Si oui,
quels impacts pour les autres? Coa
tanéa et Malgorn fusionnerontils?
Devronsnous faire alliance avec les
Verts? Qui sera devant? Quel
écart? » A mesure qu’il égrène les
questions, François Cuillandre
s’enfonce dans son fauteuil et se
tourne face à la baie vitrée de son
bureau. Un rayon de soleil illu
mine le port, comme une impres
sion de calme avant la tempête.
benjamin keltz
Sur les marchés,
Carole Gandon,
candidate LRM,
fait les frais du
ressentiment
envers le
gouvernement
« Nous vivons une
perte de repères
dans ce monde
dit “moderne”
où la fidélité
n’existe plus »
FRANÇOIS CUILLANDRE
maire sortant de Brest