Le Monde - 12.03.2020

(Tina Meador) #1

14 |france JEUDI 12 MARS 2020


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Lecoq, premier adversaire du premier ministre


Le député communiste profite du contexte national et espère imposer un second tour à Philippe au Havre


le havre ­ envoyée spéciale

L


a bataille municipale fait
rage au Havre. Et cela
électrise Jean­Paul Lecoq.
Voilà enfin un combat à sa
mesure. Lui qui avait ravi le siège
de député au Parti socialiste
en 2017 souhaite maintenant faire
tomber la maison Edouard Phi­
lippe. A quelques jours du premier
tour du scrutin municipal, il rêve
de s’installer dans l’immense hô­
tel de ville et ainsi voir à nouveau
un maire communiste y siéger. Le
bâtiment d’Auguste Perret à l’im­
posante colonnade de béton beige
a été conquis par la droite au Parti
communiste (PCF) en 1995. Plus
qu’une revanche, Jean­Paul Lecoq
peut plus prosaïquement espé­
rer imposer un second tour au
premier ministre. Une éventualité
loin d’être acquise il y a encore
quelques semaines.
Grand et large, au sourire facile
et la poignée de main retenue en
ces temps de coronavirus, l’ancien
électricien arpente les rues du
quartier Mont­Gaillard avec appé­
tit. « C’est le moment d’y aller », lan­
ce­t­il à l’assistance d’habitués du
Forum. Dans ce bar situé en bas
des cités HLM, il est comme chez
lui, avec sa veste de toile bleue en­
filée sur une doudoune du même
ton. Le public, plutôt âgé, prête
une oreille attentive à sa diatribe
contre la mairie de droite « qui fait
tout pour le centre­ville ».
Ici, comme dans les autres quar­
tiers populaires du nord de l’ag­
glomération, l’ambiance est
plombée par les postes supprimés
dans les services publics de proxi­
mité et les commerces qui fer­
ment. La municipalité a concen­
tré ses efforts de transformation
autour des bassins dans le centre­
ville. Un changement qui semble
marquer l’éloignement d’une
frange aisée de la population
havraise, quand les couches plus
populaires massées sur les hau­
teurs s’en sentent exclues. « La vi­
trine est belle mais tout devient
payant et trop cher pour les gens

pauvres », remarque Nathalie Nail,
conseillère municipale PCF.
Jean­Paul Lecoq arpente les
quartiers où l’électorat populaire
est réceptif. Ce lundi 9 mars, sous
un ciel de traîne, c’est à Pierre­Se­
mard, ancienne cité cheminote
au sud de la ville, qu’une petite
dizaine de militants fait du por­
te­à­porte. L’accueil y est chaleu­
reux quand le député commu­
niste se présente d’un « je suis
candidat face à Edouard Phi­
lippe ». « Avec les conneries qu’il a
faites sur les retraites, je voterai
pour vous », lâche un retraité.
Même ambiance, un peu plus
tard, dans les allées de Grand
Cap, la galerie commerciale de
Mont­Gaillard, qui voit ses ensei­
gnes baisser le rideau. « C’est sûr
que l’autre ordure, j’en veux pas »,
s’énerve une quinquagénaire.

Le retour du premier ministre
dans la municipalité qu’il a diri­
gée de 2010 à 2017 a électrisé la
campagne. Dans cette commune
sociologiquement de gauche,
l’ancien juppéiste a toujours eu
de nombreux adversaires. La co­
lère est encore plus marquée de­
puis qu’il a porté la réforme des
retraites et fait passer ce texte à

l’Assemblée sans vote en usant
du 49.3. Le communiste appuie
poliment sur ce contexte, pa­
riant sur cette soudaine nationa­
lisation de la campagne munici­
pale. « Lecoq joue à fond cette
carte, car il sait que, sinon, locale­
ment, le bilan est bon », tacle Flo­
rent Saint Martin, maire adjoint
Les Républicains (LR) chargé de
l’urbanisme. « Il ne fait qu’une
campagne d’opposant », peste
Agnès Canayer, sénatrice LR.

« C’est jouable »
Il n’empêche : l’entourage du
premier ministre sent que le « ré­
férendum anti­Philippe » com­
mence à prendre. « C’est un point
de vigilance, on sait que ce n’est
pas gagné », reconnaît­on dans
son équipe. Un sondage IFOP, pu­
blié par CNews mercredi 4 mars, le

place à 42 % d’intentions de vote
au premier tour devant le candi­
dat communiste (25 %). « C’est
jouable », répète celui qui se voit
comme le challenger. « On sent
que la droite commence à avoir
peur », ajoute­t­il d’un air gour­
mand. Alors il joue son atout, ce­
lui du gars du coin « qui va rester
au Havre, pas faire des allers et
retours à Paris ».
Le communiste, qui sait que son
étiquette peut rebuter, a présenté
une liste très diverse et renouve­
lée. Un assemblage détonnant de
citoyens, de « gilets jaunes », de
syndicalistes ou de responsables
associatifs, où les politiques sont
minoritaires et le PCF réduit à la
portion congrue. « Je suis soutenu
d’abord par un comité de citoyens
non encartés. C’est compliqué mais
ça marche », déclare en souriant le

sexagénaire. A entendre la bande
de novices en politique qui l’en­
toure, la dynamique vient de là :
« Jean­Paul se bat pour ses valeurs
et on l’a vu dès les premiers barra­
ges sans se mettre en avant », ra­
conte Alexis, scaphandrier de
32 ans et « gilet jaune » de la pre­
mière heure.

« Coco » pas orthodoxe
L’ancien prolo qui a fait ses armes
politiques en tant que maire à
Gonfreville­l’Orcher, ville de la
banlieue industrielle du Havre, a
toujours été proche des luttes. Vi­
ce­président de la communauté
d’agglomération, il a aussi su s’en­
tendre avec l’ancien très bourgeois
maire de droite du Havre, Antoine
Rufenacht (1995­2010). Elu député
en 2007, il a toujours eu une place
à part au PCF. « J’ai été accueilli par
Maxime Gremetz d’un “qu’est­ce
qu’il fait là celui­là ?” alors que je
plaidais pour un groupe commun
avec les Verts », raconte celui qui
aime se faire passer pour un
« coco » pas très orthodoxe. Lui
s’affiche antinucléaire et s’assume
en amoureux des arbres et de l’es­
tuaire. Il ne faut cependant pas
trop insister pour l’entendre dé­
fendre l’emploi contre la ferme­
ture de la centrale à charbon.
La faiblesse du député commu­
niste reste la division des trou­
pes à gauche pour ces municipa­
les. S’il a réussi à emmener La
France insoumise, Génération.s
et même des militants décrois­
sants, les Verts ont préféré faire
liste à part, rejoints par le Parti
socialiste. Son programme, qui
prône la gratuité des transports
en commun ou encore un réfé­
rendum d’initiative citoyenne
munici pal, n’a pas convaincu
l’écologiste Alexis Deck, conseiller
municipal Europe Ecologie­Les
Verts : « Lecoq est populaire mais il
n’a pas changé son discours pro­
ductiviste. » Avant d’ajouter très
vite, malgré tout : « Si on arrive à
resserrer les choses avec Lecoq, Phi­
lippe est battable. »
sylvia zappi

Les écolos dans l’ombre d’Hidalgo à Paris


David Belliard, candidat EELV, se retrouve distancé dans les sondages par la maire sortante


D


avid Belliard le répète
sur tous les tons depuis
des mois : « Je serai maire
de Paris. » Enlevant sa veste lors
d’un meeting, il a même promis
en riant qu’il irait un cran plus
loin après sa victoire : « Comme il
y aura une grande vague écolo­
giste et que je serai élu, je me met­
trai torse nu devant les militants. »
Le candidat d’Europe Ecologie­
Les Verts (EELV) ne veut pas seu­
lement décrocher un bon score
pour peser davantage au sein de
l’alliance nouée depuis vingt ans
avec les socialistes et les commu­
nistes de la capitale. Cette fois­ci,
il entend inverser le rapport de
force au sein de la gauche. Arriver
en tête au premier tour, et ame­
ner tous ceux qui souhaitent une
politique écologique et sociale à
Paris à se ranger derrière lui
au second tour, d’Anne Hidalgo
à Cédric Villani en passant par
Danielle Simonnet (La France in­
soumise, LFI).
David Belliard, premier maire
écolo de Paris? En mai 2019, la
perspective ne paraissait pas ex­
clue. Dans la capitale, la liste de
Yannick Jadot était alors arrivée
en deuxième place aux euro­
péennes, avec près de 20 % des
suffrages. Mais à six jours du
premier tour du scrutin, l’affaire
paraît mal engagée. A plus de
15 % en novembre 2019, les in­
tentions de vote en faveur de ses
listes sont retombées autour de

10 % dans les sondages réalisés
fin février et début mars. Il se re­
trouve ainsi distancé non seule­
ment par la maire sortante
Anne Hidalgo, mais aussi par
Rachida Dati (Les Républicains,
LR) et Agnès Buzyn (La Républi­
que en marche, LRM).
A 41 ans, le benjamin des candi­
dats veut encore croire à une
« surprise ». Sur le terrain, assure
David Belliard, il ressent de l’inté­
rêt pour ses propositions : stop­
per la « bétonisation », créer un
troisième bois dans Paris, ou en­
core faire resurgir la Bièvre, une
rivière aujourd’hui enterrée,
pour rendre la ville plus résis­
tante aux canicules.
« Regardez ici, on a une salle
pleine, un samedi matin, dans le
15 e, alors que nous avons toujours
obtenu des scores très faibles
dans cet arrondissement, témoi­
gne Muriel Fusi, tête de liste dans
le 16e. Les gens sont sensibles au
dérèglement climatique, au bio
dans les cantines, à la protection
des animaux, à la lutte contre la
pollution... » Ce matin­là, c’est
contre l’extension de la centrale
à béton Lafarge du port de Javel
que David Belliard et son équipe
se mobilisent. Une « catastrophe
écologique », affirment­ils. David
Belliard entend notamment arri­
ver en tête dans les quartiers du
Nord­Est, les plus à gauche. Dans
son équipe, certains espèrent
que la Marche pour le climat pré­

vue à Paris le 14 mars, veille du
premier tour, en présence de
Greta Thunberg, donnera un
coup de pouce au vote écolo.
Pour l’heure, l’émancipation
vis­à­vis des socialistes s’an­
nonce difficile. En 2014, Anne Hi­
dalgo avait recueilli au premier
tour presque quatre fois plus de
voix que Christophe Najdovski,
qui menait alors les listes écolo­
gistes. Le 15 mars, si les inten­
tions de vote actuelles se confir­
ment, le rapport de force sera
moins déséquilibré. Mais sans
être inversé pour autant.

Manque de notoriété
Dans la capitale, les écologistes
butent depuis des mois sur trois
difficultés. D’une part, David Bel­
liard manque de notoriété. Cet an­
cien journaliste d’Alternatives éco­
nomiques a beau siéger au conseil
municipal depuis 2014, et y prési­
der le groupe écolo, il reste l’un des
candidats les moins connus.
D’autre part, sa campagne a été
brouillée par le débat qu’il a lui­
même lancé sur de possibles al­
liances électorales. En tendant la
main au dissident macroniste Cé­
dric Villani, David Belliard a satis­
fait la frange des écologistes qui,
comme Yannick Jadot, estiment
nécessaire d’élargir leur socle
électoral, pour accéder enfin au
pouvoir. Mais la perspective d’un
accord avec un député LRM a
aussi provoqué de l’incompré­

hension. Enfin et surtout, David
Belliard fait face à une compéti­
tion ravageuse sur le cœur de son
projet, l’écologie. En particulier de
la part de son alliée Anne Hidalgo.
Largement identifiée à leur com­
bat commun contre la voiture, la
socialiste a habillé de vert tous ses
documents de campagne, et pro­
mis des « forêts urbaines ». A ce
stade, les électeurs écologistes des
européennes se partagent à éga­
lité entre Anne Hidalgo et David
Belliard, selon l’IFOP.
La concurrence ne s’arrête pas
là. Danielle Simonnet (LFI) y a dé­
fendu l’interdiction des très pol­
luants SUV, et un plan pour déve­
lopper la pratique du vélo. Agnès
Buzyn (LRM) a surenchéri sur
l’urgence de rafraîchir la ville.
Même Rachida Dati (LR) a titillé
David Belliard sur son terrain, lui
demandant son avis sur l’exten­
sion de la fameuse centrale de
Lafarge dans le 15e, « parce que
nous, on est contre cette aberra­
tion écologique ».
Face à une telle escalade, le can­
didat EELV veut croire que les
électeurs préféreront l’original à
la copie. Pas sûr néanmoins qu’il
ait besoin de retirer sa chemise au
soir du 15 ou du 22 mars. L’équipe
d’Anne Hidalgo se prépare plutôt
à faire une place aux écologistes
sur ses listes du second tour,
comme lors des élections munici­
pales précédentes.
denis cosnard

Jean­Paul
Lecoq, député
et candidat
communiste
à la mairie
du Havre,
en mai 2019.
QUENTIN DÉHAIS/
MAXPPP

Lecoq joue son
atout, celui
du gars du coin,
« qui va rester
au Havre, pas
faire des allers et
retours à Paris »

A Fréjus, l’ancien premier


adjoint RN fait sécession


R


èglements de compte dans la famille lepéniste varoise.
« C’est le syndrome Iznogoud. » David Rachline balaye
d’indifférence la trahison de son ancien bras droit. Que
son ex­premier adjoint, Richard Sert, se présente contre lui aux
élections municipales « n’a pas beaucoup d’importance », liquide
le maire Rassemblement national (RN) de Fréjus : « Il sera le Du­
pont­Aignan de Marine Le Pen. » Le sondage publié par Var Matin
mi­février donne David Rachline réélu sur le fil du rasoir au pre­
mier tour, à 51 %. Avec ses 5 % d’intentions de vote, la candidature
de Richard Sert coûte pourrait le contraindre à un second tour.
A l’approche du scrutin, le sécessionniste continue de fourbir
ses armes contre celui qu’il a se­
condé six ans durant. Le 23 février,
il diffusait un tract jouant au
« vrai/faux » contre David Ra­
chline, l’accusant d’incompétence
ou d’utiliser son mandat comme
tremplin à des ambitions plus na­
tionales. Attaquer le bilan, la dette
colossale – certes diminuée de
16 millions d’euros en six ans,
mais toujours l’une des plus préoc­
cupantes de France – ou le bétonnage de la ville? Presque impos­
sible pour celui qui en a été l’un des acteurs principaux. « Ce que
je lui reproche, c’est son manque de travail, ses ambitions plus na­
tionales que fréjusiennes et son entourage nocif », lâche Richard
Sert, en affirmant s’être « éloigné du RN depuis un moment ». De­
puis l’échec présidentiel de l’ex­FN en 2017, et ce qu’il nomme « le
changement de ligne ». Sur la sortie de l’euro notamment.
Sa liste, officiellement « sans étiquette », compte une autre an­
cienne fidèle de David Rachline : Brigitte Auloy, l’ex­épouse de
Richard Sert, qui fut la suppléante de David Rachline lors des lé­
gislatives de 2012 puis sa troisième adjointe à la mairie de Fréjus.
« Le noyau dur », à l’époque. Elle ne renie rien de son adhésion au
RN – « ils semblaient vouloir agir pour les citoyens, être proches du
peuple ». Opération ratée à Fréjus, selon elle. « Quand je vois à
quel point le RN est mal géré... Si on n’est pas capable de gérer son
parti, on n’est pas capable de gérer la France. » Elle a quitté la majo­
rité RN en novembre 2019, après s’être rapprochée de Debout la
France, le parti de Nicolas Dupont­Aignan. Lui qui avait pactisé
avec Marine Le Pen dans l’entre­deux­tours de la présidentielle.
lucie soullier

LA CANDIDATURE 


DE RICHARD SERT 


POURRAIT CONTRAINDRE 


DAVID RACHLINE 


À UN SECOND TOUR

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