16 |france JEUDI 12 MARS 2020
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Deux ans de prison ferme requis contre Fillon
Trois ans avec sursis ont été demandés contre son épouse Penelope, dans cette affaire d’emplois fictifs
F
rançois Fillon, Penelope
Fillon et Marc Joulaud
ont « persisté durant plu
sieurs années dans un
comportement par essence lucra
tif et strictement contraire aux va
leurs fondamentales de la Républi
que ». Les faits de détournement
de fonds publics dont ils sont ac
cusés « contribuent à aggraver
la déchirure désormais ancienne
du pacte républicain » et sont
« d’autant plus intolérables au
corps social qu’ils ont été commis
par des personnes choisies par le
suffrage universel pour incarner
l’intérêt général ».
On a cru entendre un écho,
mardi 10 mars, dans la salle 2.
du tribunal de Paris : au moment
d’annoncer les peines réclamées
par le Parquet national financier
(PNF) contre les trois prévenus, le
procureur Aurélien Létocart a re
cyclé mot pour mot certains pas
sages du jugement prononcé à
l’automne 2019, au même en
droit, lors du procès pour fraude
fiscale et blanchiment de Patrick
et Isabelle Balkany.
Au bout de quatre heures d’un
réquisitoire à deux voix con
forme à son attitude tout au long
des débats – offensive envers
François Fillon, mesurée envers
Penelope Fillon et Marc Joulaud,
« pris en otage » par le premier
dans cette affaire –, le PNF a de
mandé au tribunal de condamner
l’ancien premier ministre à
cinq ans de prison dont trois avec
sursis, 375 000 euros d’amende et
dix ans d’inéligibilité ; son épouse
à trois ans avec sursis et
375 000 euros d’amende ; et son
ancien suppléant à l’Assemblée
nationale à deux ans avec sursis
et 20 000 euros d’amende.
« Appât du gain »
Au sujet de François Fillon, le par
quet a souhaité « une décision à la
hauteur de l’exemplarité légitime
ment exigée d’un candidat à la
magistrature suprême », un être
« cynique » et animé par « l’appât
du gain », vivant dans « la certi
tude que son statut dissuaderait
quiconque de s’intéresser à ce
qu’il devait considérer comme de
petites sommes ».
La responsabilité de Marc Jou
laud, estiment les procureurs,
« ne se situe pas au même degré,
mais sa qualité d’élu aurait dû
l’empêcher d’apporter son con
cours à des agissements dont il ne
pouvait ignorer l’illégalité ».
Quant à Penelope Fillon, elle a
été la « victime consentante des
agissements de son mari », et a
« accepté en toute connaissance de
cause ces rémunérations litigieu
ses » de la part des deux premiers,
à savoir quelque 613 000 euros
net entre 1998 et 2013, en contre
partie d’un travail d’assistante
parlementaire « fictif et artificiel ».
La femme de l’ancien premier
ministre n’a pas dit un mot de
l’aprèsmidi, mais Aurélien Léto
cart lui a souvent donné la parole
au fil de son réquisitoire, citant
des propos tirés d’anciennes in
terviews qui ont aujourd’hui des
airs de balles dans le pied, à com
mencer par celle au Sunday Tele
graph, juste après la nomination
de son mari à Matignon, en 2007.
Mme Fillon y affirmait n’avoir « ja
mais été son assistante parlemen
taire ou quoi que ce soit de ce
genre » et dévoilait ses états
d’âme de mère (de cinq enfants)
au foyer : « Si je n’avais pas eu le
dernier, je serais sortie trouver du
travail. » « C’est difficile d’être plus
clair, quand même », a résumé
Aurélien Létocart.
Le procureur avait commencé
par réfuter longuement deux re
frains martelés par la défense de
puis l’ouverture des débats. Le
premier : non, la procédure ini
tiée en janvier 2017, fatale aux
ambitions présidentielles de
François Fillon, n’avait rien de
politique. Sa rapidité inédite
n’était due qu’à l’imminence du
vote d’une loi qui allait réduire à
douze ans le délai de prescription
pour les infractions dites « dissi
mulées ». « Nous ne pouvions
prendre le risque de voir prescrits
les faits antérieurs à 2005 », a jus
tifié Aurélien Létocart.
Le second : non, l’enquête n’a
pas porté atteinte au principe de
séparation des pouvoirs. « Il ne
s’agit pas pour la justice de con
trôler la teneur du travail du par
lementaire, mais de vérifier l’utili
sation des fonds publics. La fonc
tion de collaborateur est parfai
tement détachable de l’exercice
du mandat du député. » Bilan :
« François Fillon ne doit ses déboi
res politiques qu’à ses propres tur
pitudes, et non à l’action de la jus
tice. François Fillon a été le propre
artisan de son malheur. »
Le parquet a ensuite repris en
détail ses observations déjà déve
loppées au fil du procès sur « l’in
consistance des missions de Pe
nelope Fillon et, à tout le moins,
l’inadéquation profonde avec les
salaires perçus ». « La preuve ul
time nous est apportée par Pe
nelope Fillon ellemême, a souli
gné Aurélien Létocart, évoquant
le souvenir de la prévenue mal à
l’aise et imprécise à la barre : quel
salarié n’est pas en mesure de dé
crire de manière circonstanciée la
nature de son travail? »
« Paréidolie »
S’il n’est pas contesté que Pe
nelope Fillon « démontrait un in
térêt certain pour la vie locale, as
sistait à des festivités officielles de
temps en temps et pouvait appor
ter une aide occasionnelle à son
mari », ses activités « ne relevaient
pas d’un travail de collaborateur
parlementaire salarié », estime le
parquet, qui a comparé la straté
gie de la défense à la « paréidolie »,
ce phénomène qui fait voir un vi
sage dans un nuage. En l’occur
rence, cela a consisté à « attribuer
un caractère professionnel à la
moindre de ses activités, même les
plus banales, comme rapporter du
courrier ou discuter avec des gens
en faisant des courses ».
Aurélien Létocart a appelé le tri
bunal à se méfier des dizaines de
témoignages produits à la der
nière minute par la défense, « dé
nués de force probante », et « éma
nant de proches qui se fondent sur
des perceptions, et rarement sur
des éléments tangibles ». En
somme, « une accumulation de pe
tits détails dans un océan de vide ».
Le procureur Bruno Nataf, plus
bref que son confrère, est ensuite
revenu sur l’emploi « totalement
fictif » – qui lui a permis de tou
cher 135 000 euros en un an et
demi – de Penelope Fillon à la Re
vue des deux mondes, propriété
du milliardaire, et ami de Fran
çois Fillon, Marc Ladreit de La
charrière. Puis s’en est remis, car
il avait luimême « un doute »,
à l’appréciation du tribunal
quant à l’accusation de détourne
ment de fonds publics lié à l’em
ploi des deux premiers enfants
Fillon par leur père comme colla
borateurs lorsqu’il était sénateur,
de 2005 à 2007.
Boomerangs
François Fillon n’a pas plus
ouvert la bouche que sa femme
mardi aprèsmidi, mais il a tout
autant eu la parole qu’elle, tou
jours grâce à Aurélien Létocart,
qui a distillé çà et là certains mots
prononcés naguère par « un
homme qui a fait de la probité une
marque de fabrique », et qui lui re
viennent aujourd’hui comme des
boomerangs en pleine figure.
En 2012, alors que son épouse
était son assistante parlemen
taire « avec la consistance que l’on
sait », le député Fillon tweetait :
« Il y a une injustice sociale entre
ceux qui travaillent dur pour peu,
et ceux qui ne travaillent pas et re
çoivent de l’argent public. »
Bruno Nataf a conclu en citant le
général de Gaulle : « “Comme un
homme politique ne croit jamais
ce qu’il dit, il est étonné quand il est
cru sur parole.” Nous pensons sin
cèrement que François Fillon ne
croit pas grandchose de ce qu’il a
pu nous dire depuis quinze jours. »
Les avocats de la défense plaide
ront la relaxe, mercredi, à partir
de 10 heures. Le jugement sera en
suite mis en délibéré.
henri seckel
Des applis pour gérer le manque de personnel à l’hôpital
Des établissements font appel à ces services afin de trouver des volontaires pour travailler plus. Une startup, Whoog, domine le marché
blois correspondant
D
ixsept postes d’infir
miers vacants, vingt
huit d’aidessoignants,
plusieurs de sagesfemmes...
Comme de nombreux établisse
ments de santé en France, l’hôpi
tal de Vierzon (Cher) ne parvient
pas à pourvoir tous ses effectifs
médicaux et paramédicaux. Pour
faire tourner les services et rem
placer les personnels absents, in
firmiers et aidessoignants sont
régulièrement invités à renoncer
à la dernière minute à des congés
ou à des jours de repos.
« On nous met en “bulle”, ra
conte Maryvonne Roux, aide
soignante et déléguée syndicale
Force Ouvrière. Cela veut dire
que nous sommes chez nous, à
nous reposer mais en restant dis
ponibles. C’est une astreinte dé
guisée. On est bloqué, mais pas
payé, ce qui est illégal. On a bien
tenté de remettre en place un
pool de remplacement avec du
personnel dédié, mais on nous l’a
refusé, faute de budget. »
Pour sortir de cette logique, et
éviter de recourir à l’intérim, la
direction de l’établissement
pousse depuis un an à la mise en
place d’une application permet
tant de remplacer, sur la base du
volontariat, du personnel absent
ou manquant. « Il n’y aurait plus
d’intimidation, ça mérite ré
flexion », reconnaît la représen
tante syndicale.
Déjà adoptée par 1 500 établisse
ments de santé, dont 400 établis
sements d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes
(Ehpad) et dixsept CHU, la
startup Whoog, lancée en 2015,
est le leader de ce marché. L’appli
cation est souvent décrite comme
le « Tinder » du remplacement
hospitalier. L’infirmier ou l’aide
soignant en congé ou en repos re
çoit sur son smartphone des noti
fications lui demandant s’il sou
haite assurer rapidement un bref
remplacement dans son propre
service ou ailleurs dans l’hôpital.
Bouton rouge pour refuser, vert
pour accepter.
Chaque mois, Léon (le prénom a
été modifié à sa demande), infir
mier aux urgences d’un hôpital
varois, utilise Whoog et fait une
garde de nuit dans son propre
service pour 350 euros. « Ça me
permet de me constituer un sa
laire correct, même si je pourrais
en faire beaucoup plus. Pallier l’ab
sentéisme par de l’interne, c’est
plus sécurisant car on travaille
dans un environnement connu,
mais évidemment, la fatigue peut
se faire sentir », expliquetil.
Le système peut parfois con
duire à des aberrations. « Il y a des
gens qui s’autoremplacent. Ils sont
en congés, découvrent une sollici
tation sur leur poste car aucun
remplacement n’a été prévu. Ils se
retrouvent alors à se remplacer
euxmêmes », témoigne une aide
soignante en Ehpad. Et même si
les heures supplémentaires sont
théoriquement plafonnées dans
un établissement, la règle n’est
pas toujours respectée. « Quel
qu’un qui aura fait dix Whoog d’af
filée, il n’y aura pas de contrôle, pas
de suivi par les ressources humai
nes. Une fois que le cadre a accepté
que la personne puisse utiliser l’ap
pli, c’est au soignant de se gérer »,
raconte une infirmière déléguée
syndicale CGT à Blois.
« C’est du bricolage! »
Face à ce type d’application, les
syndicats sont partagés. S’ils re
connaissent qu’il vaut mieux
privilégier le volontariat à la
contrainte, ils s’inquiètent d’un
système qui, derrière une applica
tion simple et ludique, encourage
le travail sur les jours de repos. « La
seule motivation, c’est l’argent et
c’est légitime. Je ne juge pas du tout
mes collègues qui font face à des si
tuations personnelles. Des gens à
temps partiel forcé, des bas salai
res, ils n’ont pas le choix », estime
Yves Morice, délégué syndical SUD
au CHU de Rennes, où Whoog est
opérationnel depuis l’automne
- Mais selon lui, ce système a
tout de l’ubérisation : « On crée une
place du marché virtuelle avec des
journaliers qui sont dans le besoin
et qui attendent que le camion
vienne chercher les ouvriers. Mais
comme ça ressemble à Uber, c’est
plus cool. A Rennes comme ailleurs,
on réclame des recrutements, or le
ministère nous donne des petites
primes et promeut ces applis... Tout
ça, c’est du bricolage! »
Pour Guerric Faure, cofondateur
de Whoog, l’ubérisation consiste
rait à attribuer des étoiles aux ser
vices comme aux remplaçants, ce
qu’il refuse. « Comme quand ces
médecins préfèrent devenir intéri
maires. Les agences qui les placent
font monter les enchères entre les
différents hôpitaux et ils quadru
plent ainsi leur ancien salaire.
Nous, on respecte les règles socia
les, les contraintes économiques
de chaque hôpital, tout en ajou
tant de la flexibilité et du retour sur
investissement », assuretil.
Des statisticiens de la plate
forme contactent régulièrement
les établissements affiliés pour
leur livrer des données « pour
qu’ils comprennent mieux là où un
recrutement serait plus approprié
que des “whoog” répétés ». Un tiers
de leurs établissements clients
ouvrent désormais leurs missions
de remplacements aux étudiants.
« Ils ont souvent des écoles d’infir
miers ou de kinés en leur sein, un
véritable vivier qui parfois se pré
sentait à eux par le biais des agen
ces d’intérim! Un chef d’établisse
ment m’a même dit qu’il préférait
qu’un étudiant travaille chez lui le
weekend plutôt qu’au McDonalds.
Avant, ces remplacements en in
terne pouvaient être la chasse gar
dée d’une poignée. Aujourd’hui,
tout le monde peut en profiter », ra
conte Guerric Faure.
En pleine crise du coronavirus,
le ministre de la santé a signé, di
manche 8 mars, un décret qui dé
plafonne les heures supplémen
taires pour les professionnels de
santé à l’hôpital. Whoog risque
d’être encore plus prisé par les
chefs d’établissement dans les
jours qui viennent.
jordan pouille
« Des gens à
temps partiel
forcé, des bas
salaires, ils n’ont
pas le choix »
YVES MORICE
délégué syndical SUD
au CHU de Rennes
ILLUSTRATION ERWAN FAGES
Pour le procureur,
« François Fillon
ne doit ses
déboires
politiques qu’à
ses propres
turpitudes,
et non à l’action
de la justice »
« Quel salarié n’est
pas en mesure
de décrire
de manière
circonstanciée
la nature
de son travail? »,
a demandé
le procureur