Le Monde - 12.03.2020

(Tina Meador) #1
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JEUDI 12 MARS 2020 économie & entreprise| 19

Presstalis au bord du dépôt de bilan


Les éditeurs de quotidiens et de magazines tentent de trouver un accord pour sauver le distributeur de presse


L’


heure est grave pour les
journaux français.
Presstalis, qui distribue
sur tout le territoire
75 % de la presse, est en grande
difficulté. Malgré plusieurs plans
de sauvetages, l’entreprise, déte­
nue à 73 % par les magazines et à
27 % par les quotidiens, continue
de subir de plein fouet la baisse
des ventes au numéro des jour­
naux. Lestées d’une dette com­
prise entre 500 et 600 millions
d’euros, en déficit chronique, et
en proie à la concurrence féroce
de son concurrent, les Message­
ries lyonnaises de presse (MLP),
les ex­Nouvelles Messageries de
la presse parisienne (NMPP) se­
ront confrontées, fin mars, à des
échéances financières qu’elles ne
peuvent honorer.
Nommé à la mi­février, son nou­
veau président, Cédric Dugardin,
est chargé d’élaborer un énième
plan de redressement, sous la sur­
veillance du comité interministé­
riel de restructuration indus­
trielle (CIRI), autrement dit de
l’Etat. Selon nos informations,
M. Dugardin a déjà acté que le dé­
pôt de bilan était inévitable, et a
construit un plan dont le montant
atteindrait 100 millions d’euros,
reposant sur cette douloureuse
étape. Elle est loin d’être neutre,
même si ce type d’opération per­
met d’apurer une partie du passif.
Une fois déclaré en faillite, Press­
talis laissera une importante ar­
doise auprès des éditeurs, en par­
ticulier des magazines. Ces der­
niers vont perdre entre 120 et
140 millions d’euros, selon les es­
timations. Ces sommes sont liées
aux dernières semaines de ventes
en kiosque, dont le produit est re­
versé aux journaux avec un cer­
tain délai. Certains petits éditeurs
indépendants pourraient ainsi ne
pas survivre à cette faillite. Autre
population mise en difficulté par
cette défaillance, les kiosquiers et
autres maisons de la presse, cen­
sés recevoir 17 millions d’euros en
mars de la part de l’entreprise.
Point le plus sensible du plan, la
lourde restructuration à venir

cristallise les inquiétudes. Plus de
la moitié des 900 postes de Press­
talis pourrait être supprimés. Les
effectifs du centre de distribution
situé à Bobigny et du siège pour­
raient être divisés par deux. Les
dépositaires, qui distribuent les ti­
tres en région et perdent entre 20
et 30 millions d’euros chaque an­
née, seraient fermés ou vendus.

Deux nouvelles sociétés
Une saignée sans précédent pour
l’entreprise. « On ne restera pas à
l’extérieur du débat. L’organisation
syndicale est contre le démantèle­
ment », prévient Laurent Joseph,
de la CGT­SGLCE. Par le passé, le
syndicat a montré qu’il était capa­
ble de perturber pendant plu­
sieurs semaines la distribution de
la presse pour se faire entendre. Il

a rappelé ces derniers jours sa ca­
pacité d’action en bloquant un
centre de distribution du Parisien.
Pour assurer la continuité de
l’activité de Presstalis, Cédric Du­
gardin propose de créer deux
nouvelles sociétés, l’une plutôt
destinée aux quotidiens, l’autre

aux magazines. Des participa­
tions croisées seraient mises en
place. Objectif de la manœuvre :
diminuer les charges pour les ma­
gazines, qui aujourd’hui se plai­
gnent de supporter des surcoûts
liés à la distribution des quoti­
diens. Ainsi, le centre de Bobigny,
qui assure à la fois le tri des titres,
en particulier celui des quoti­
diens, et la distribution de la
presse sur Paris, deviendrait un
sous­traitant, avec lequel les deux
sociétés concluraient un contrat
de prestation de service. En revan­
che, la mutualisation des flux de
distribution des titres serait main­
tenue, afin de continuer de pou­
voir amortir le système logistique.
Problème, ce schéma est loin de
faire l’unanimité au sein des édi­
teurs. La coopérative de la presse

magazine, présidée par Frédérick
Cassegrain, le patron de Ma­
rianne (groupe CMI, propriété de
Daniel Kretinsky, actionnaire in­
direct du Monde), souhaite aller
beaucoup loin en séparant tota­
lement les sociétés et les flux de
distribution, et en mettant fin au
système de solidarité entre édi­
teurs, qui constitue historique­
ment le socle de Presstalis. « Les
éditeurs de magazines en ont
marre de payer. Ils n’ont pas be­
soin du travail de nuit, d’assumer
les contraintes des quotidiens, qui
sont aidés par l’Etat alors que la
presse magazine ne l’est quasi­
ment pas », justifie l’un d’eux. Les
magazines ont fait part de leurs
désirs auprès du CIRI, mais
n’ont pas encore présenté de
plan alternatif détaillé.

En face, les quotidiens, repré­
sentés par Louis Dreyfus (prési­
dent du directoire du Monde),
prônent un maintien de la mu­
tualisation, seule planche de sa­
lut, à leurs yeux, pour assurer la
distribution de la presse dans les
10 000 points de vente desservis
par Presstalis. Difficiles pour ces
journaux d’assumer seuls le coût
d’acheminement des titres. « Il y a
une interdépendance des quoti­
diens et des magazines. Sans les
journaux “chauds”, le public n’irait
plus en kiosque. Cette complexi­
té­là, certains ne veulent pas la
voir », fait valoir un autre.

L’Etat déterminant
En toile de fond de la fronde des
magazines, les velléités de cer­
tains de quitter Presstalis pour les
MLP. « Je souhaite être libre de
choisir la messagerie la plus com­
pétitive », admet le patron d’un
important groupe de magazines.
« L’usine à gaz qui se profile ne dé­
bouchera que sur une catastrophe.
On ferait mieux de privilégier
MLP », dit Jean­Martial Lefranc, à
la tête du SAEP, un syndicat d’édi­
teurs indépendants, qui a lui­
même quitté Presstalis. « Atten­
tion aux apprentis sorciers. Com­
ment ferait MLP pour, du jour au
lendemain, desservir la France en­
tière? Sans compter que par le
passé, les magazines ont bien pro­
fité du système de solidarité », pré­
vient une source proche du distri­
buteur Presstalis.
Face à cette équation à plusieurs
inconnues, l’attitude de l’Etat, qui
a plusieurs fois mis la main à la
poche pour renflouer l’entreprise,
sera déterminante. Selon nos in­
formations, les pouvoirs publics
ont laissé entendre qu’il n’aide­
rait qu’un plan pérenne. A quelle
hauteur? L’Etat n’assumera pas la
créance des éditeurs, mais pour­
rait aider les kiosquiers, fragile
maillon de la filière. Une chose est
sûre : à la veille des municipales et
à deux ans de la présidentielle,
pas question que la distribution
des journaux disparaisse.
sandrine cassini

En Suède, Netflix accepte de verser des


royalties aux professionnels de l’audiovisuel


Après de longues négociations, la plate­forme américaine de streaming va adapter
son modèle de rémunération aux accords collectifs en place dans le royaume

malmö (suède) ­
correspondante régionale

E


ntre épidémie du corona­
virus et guerre du pétrole,
l’information est presque
passée inaperçue. Pourtant, elle
pourrait avoir une incidence sur
la rémunération de milliers d’ac­
teurs, scénaristes et réalisateurs
en Europe, si l’accord, adopté en
Suède entre Netflix et le Syndicat
des arts du spectacle et du cinéma
(Teaterförbundet), lundi 9 mars,
était généralisé hors des frontiè­
res du royaume scandinave.
Il s’agit pour le moment d’un
test : « Nous voulons voir si les ter­
mes de l’accord collectif que Netflix
a accepté de signer fonctionnent,
auquel cas nous le pérennise­
rons », explique Ulf Martens, res­
ponsable de la gestion des droits
d’auteur auprès du syndicat. Il
s’appliquera uniquement aux sé­
ries originales produites par la
plate­forme de streaming améri­
caine en Suède.
Si tous les détails n’ont pas été
dévoilés, Netflix et le syndicat
suédois en ont présenté les gran­
des lignes, lundi 9 mars. Au lieu
d’un salaire unique, payé au mo­
ment du tournage, l’accord pré­

voit trois niveaux de rémunéra­
tions, sur le modèle de ce que
disent les accords collectifs qui
s’appliquent aux métiers de
l’audiovisuel en Suède.
En plus d’un salaire initial, Net­
flix s’engage à verser un supplé­
ment aux membres de la produc­
tion, en fonction du nombre de
streamings réalisés par la série
sur la plate­forme, sans limite
dans le temps. Ils auront aussi le
droit au reversement d’une partie
des revenus d’exploitation secon­
daire, au cas où, par exemple, le
géant américain revendrait les
droits de la production.
Jusqu’à présent, Netflix, comme
son concurrent américain HBO,
exigeait l’application d’un sys­
tème de buy­out, qui prévoit, en
plus du versement d’un cachet,
une avance sur les droits, dont le
montant peut atteindre entre
15 % et 25 % du salaire initial. En
échange, l’artiste renonce aux
royalties que pourrait générer la
production pendant des années.
En octobre 2018, acteurs, réali­
sateurs et scénaristes danois
s’étaient insurgés et avaient me­
nacé de ne plus signer aucun con­
trat, tant que les compagnies
américaines ne respectaient pas

le modèle de rémunération scan­
dinave. Selon les syndicats, le
manque à gagner était considéra­
ble : pour une série à succès, la
somme des royalties touchée sur
dix ans pouvait doubler le mon­
tant du salaire initial.

Un « partenariat historique »
Certes, les cachets étaient, en gé­
néral, moins élevés que ceux pro­
posés par les plates­formes de vi­
déo en ligne. Mais, arguait Benja­
min Boe Rasmussen, le prési­
dent du syndicat des acteurs,
« les producteurs n’ont pas besoin
d’avancer des sommes énormes
en amont, ce qui donne leur
chance à de petits projets, qui,
autrement, n’auraient pas vu le
jour ». Le système permet aussi
de reverser une partie des profits
dans le pays, qui pourront y être,
ensuite, réinvestis.
Au printemps 2019, Benjamin
Boe Rasmussen avait déclaré que
les négociations avançaient dou­
cement avec les mastodontes
américains.
A Stockholm, Ulf Martens af­
firme que l’accord adopté en
Suède pourrait être élargi au reste
de l’Europe. « Si c’est un modèle
qui fonctionne, nous voulons que

d’autres plates­formes l’utilisent »,
déclare­t­il, en précisant toutefois
que, jusqu’à présent, HBO fait la
sourde oreille.
Netflix, pour sa part, salue un
« partenariat historique » avec le
Syndicat suédois des arts du
spectacle et du cinéma. « Nous
avons construit une relation sur la
durée et travaillé dur pour com­
prendre les besoins et les objectifs
de chacun », a révélé Rachel C.
Schumacher, conseillère en ma­
tière de relations internationales
du travail auprès de la compa­
gnie. L’accord, selon elle, « met en
place une structure pour des rela­
tions créatives » et traduit un « en­
gagement mutuel en faveur de
l’écosystème suédois ».
En avril 2019, Netflix avait dif­
fusé sa première production ori­
ginale suédoise, Quicksan, une
fiction adaptée du roman de Ma­
lin Persson Giolito, Rien de plus
grand (Presses de la Cité, 2018).
Actuellement, six autres séries
suédoises sont en préparation ou
en cours de production, selon
M. Martens. En Suède, 1,6 million
de foyers suédois (sur 4,7 mil­
lions) ont souscrit un abonne­
ment à Netflix.
anne­françoise hivert

Un kiosque
à Paris,
en février.
RICCARDO MILANI /
HANS LUCAS

Les inquiétudes
sont vives
alors que plus
de la moitié des
900 postes
de l’entreprise
pourraient être
supprimés

1 MILLIARD
C’est, en euros, le manque à gagner que pourrait atteindre la baisse
des ventes du groupe allemand Adidas en Chine, au cours du premier
trimestre, selon les estimations de l’équipementier sportif dévoilées
mercredi 11 mars. La crise du coronavirus l’a obligé à fermer de nom-
breux magasins dans le pays et a entraîné une chute de ses ventes de
l’ordre de 80 % entre le 25 janvier et la fin février. Le groupe qui détient
Adidas et Reebok a réalisé un chiffre d’affaires de 23,6 milliards d’euros
en 2019 (+ 8 % par rapport à 2018), dont 8 en Asie-Pacifique.

T R A N S P O R T A É R I E N
Air France-KLM veut
annuler 3 600 vols
Air France­KLM, confrontée à
une baisse de son trafic pas­
sagers en raison de l’épidé­
mie due au coronavirus, a in­
diqué, mardi, qu’elle prévoit
d’annuler 3 600 vols en mars.
En février, la compagnie fran­
co­néerlandaise a transporté
7 millions de passagers, soit
0,5 % de moins qu’il y a un
an. – (AFP.)

C H A N T I E R N A V A L
Incertitudes
à Saint-Nazaire
La Commission européenne
pourrait bloquer le projet de
rachat des Chantiers de l’At­
lantique, à Saint­Nazaire, par
l’italien Fincantieri, à moins
que ce dernier ne propose
d’importantes concessions
pour répondre aux inquiétu­
des de l’exécutif de l’Union
européenne sur le plan de la
concurrence, d’après des in­
formations de l’agence
Reuters parues mardi
10 mars. – (Reuters.)

A U T O M O B I L E
Carlos Tavares,
personnalité automobile
mondiale de l’année
Le président du directoire de
PSA, Carlos Tavares, a reçu,
mardi 10 mars, le prix de la
personnalité automobile
mondiale de l’année 2020
par l’association World Car
Awards. M. Tavares a été dis­
tingué pour avoir rendu
« Opel profitable en un temps
record ». « Il a négocié la fu­
sion de PSA et de Fiat­Chrysler
(...), tout en organisant l’élec­
trification [de ses modèles] »,
ajoute le communiqué.

S I D É R U R G I E
Tata Steel supprime
1 250 emplois en Europe
Confronté à « une situation
financière grave » et à « un
besoin urgent de trésorerie »,
le groupe sidérurgique in­
dien Tata Steel prévoit de
supprimer 1 250 emplois
en Europe, d’après une
note interne dévoilée par
l’agence Reuters, mercredi
11 mars. – (Reuters.)
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