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JEUDI 12 MARS 2020 0123 | 33P
hil Gordon se souvient
très bien du 19 mars- Ce jourlà, il accom
pagnait à l’Elysée Hillary
Clinton, alors chef de la diploma
tie américaine, dont il était le col
laborateur. « On entre à l’Elysée,
racontetil neuf ans plus tard, et
Sarkozy nous annonce que les avi
ons français ont commencé à
bombarder la Libye. » Bon prince,
le président français offre à l’ad
ministration Obama la possibi
lité de s’opposer à cette opération.
« Evidemment, on ne pouvait pas
s’y opposer », explique l’ancien
responsable américain : il s’agis
sait, après tout, d’éviter un massa
cre de civils à Benghazi par les for
ces du colonel Kadhafi ; une réso
lution en ce sens avait été adoptée
deux jours plus tôt par le Conseil
de sécurité des Nations unies.
Mais en termes opérationnels,
ce jourlà, les EtatsUnis furent
mis « devant le fait accompli ».
L’opération libyenne devait deve
nir la première intervention exté
rieure que les Américains affir
meraient ensuite avoir « dirigée
de l’arrière », selon une expres
sion rendue célèbre par un article
du New Yorker, en laissant les
Européens prendre les devants.
C’était une autre époque – un
autre monde : le monde pré
Trump, dans lequel Américains et
Européens œuvraient de concert,
relativement aisément. Cette
époque estelle définitivement
révolue, ou peutelle revenir si
Donald Trump est chassé de la
Maison Blanche, le 3 novembre?
Phil Gordon soutient aujour
d’hui la campagne de Joe Biden
pour l’investiture démocrate
à l’élection présidentielle, après
avoir participé à celle de Kamala
Harris pour les primaires, puis à
celle de Pete Buttigieg, deux can
didats qui se sont retirés de la
course. Il vient de terminer un li
vre, à paraître en juin aux Etats
Unis et dont il a présenté la thèse,
lundi 9 mars, à la Sorbonne, dans
le cadre de la chaire « Grands en
jeux stratégiques contempo
rains » : Losing the Long Game
(« perdre sur la longueur », St.
Martin’s Press, non traduit).
Ce livre, qui a pour soustitre
« The False Promise of Regime
Change in the MiddleEast » (« La
fausse promesse du changement
de régime au MoyenOrient »),
tire les leçons des échecs succes
sifs des interventions extérieures
des EtatsUnis dans le monde ara
bomusulman visant à changer le
régime en place, depuis le renver
sement du premier ministre ira
nien Mohammed Mossadegh,
en 1953, orchestré par la CIA, jus
qu’à l’invasion de l’Irak, en 2003.
La seule intervention qui ait
réussi, relève l’universitaire Ni
cole Gnesotto, a été la première
guerre du Golfe, en 1991 – précisé
ment parce qu’elle n’avait pas
pour objectif de changer le ré
gime en place à Bagdad, où Sad
dam Hussein a pu se replier, une
fois forcé de se retirer du Koweït.
Donald Trump seraitil inter
venu pour déloger Saddam Hus
sein du Koweït? Il est permis d’en
douter. Elu en novembre 2016 sur
le slogan « America First », ce pré
sident républicain a imposé à la
politique étrangère américaine
un tournant que certains quali
fient d’isolationniste, et à tout le
moins d’unilatéraliste, qui a bou
leversé l’ordre international.
Mais le second mandat de
Trump n’est pas garanti, surtout si
l’impact de l’épidémie de Covid19
vient ternir son plus puissant
atout électoral, celui des bons
chiffres de l’économie. Une autre
question se pose alors : Joe Biden
interviendraitil dans une situa
tion comparable à celle de 1991?
Autrement dit, un « retour à la
normale » estil possible dans cet
ordre international chamboulé?L’électorat démocrate a changé
« No way, José », diraiton à New
York : Européens, ne rêvez pas. Ni
le centriste Joe Biden ni le radical
Bernie Sanders ne défendra une
politique véritablement alterna
tive. Les débats télévisés ont
même fourni l’occasion aux can
didats à la primaire démocrate de
faire assaut de nonintervention
nisme. Sur cette question, « San
ders serait plus trumpiste que
Trump, assure Phil Gordon. Et si Bi
den emporte la nomination, ce ne
sera plus le Biden des années 1990
qui soutenait la guerre dans les Bal
kans, ni le Biden de 2003 qui votait
pour l’intervention en Irak, ni
même celui de 2011 » lorsque, vice
président de Barack Obama, il ac
quiesçait à l’intervention en Libye.
Comme les électeurs républicains,
l’électorat démocrate a changé. Le
repli américain est acté. Percepti
ble en Libye en 2011, il a sauté aux
yeux en 2013, avec le refus de Ba
rack Obama d’intervenir en Syrie,
puis s’est installé avec Trump.
A la conférence de Munich sur
la sécurité, en février, Européens
et Américains ont beaucoup dé
battu de ce sujet, les premiers
cherchant désespérément auprès
des seconds de vagues signes
d’espoir d’une restauration de la
solidarité d’antan si, par miracle,
un démocrate revenait à la Mai
son Blanche. Il n’est même plus
question d’interventionnisme ni
de rôle de « gendarme du
monde » : peuton juste imaginer
encore œuvrer de concert pour
défendre des intérêts communs
et des valeurs partagées?
La réponse n’est pas venue
spontanément, y compris de la
part des démocrates, qui avaient
fait le déplacement pour manifes
ter leur intérêt pour la coopéra
tion internationale. « Le retour en
arrière? Mais c’est fini !, s’est écriée
une élue démocrate au cours
d’une réunion à huis clos avec des
Européens. Essayez donc d’expli
quer à mon père à quoi sert
l’OTAN! » Soutenir la démocratie?
« Les Américains voient bien que
ça ne marche pas », a répondu
gentiment un autre élu...
A Washington, le cercle de ré
flexion Carnegie sur les questions
internationales a mené une en
quête auprès des ambassadeurs
européens en poste dans la capi
tale américaine, sur la façon
dont ils voient l’après2020, avec
ou sans Trump. Ils sont, pour
la plupart, assez réalistes : un
deuxième mandat Trump sera
encore pire – ce peut même être la
fin de l’OTAN. Un président dé
mocrate sera plus poli, plus mul
tilatéraliste, renouera avec les al
liances – au moins en appa
rence –, mais « les sources structu
relles du malaise persisteront ».
Avec ou sans Trump, les choses
ont changé, en profondeur.A
u nom de la « stabilité », le prési
dent russe, Vladimir Poutine,
67 ans, au pouvoir depuis vingt
ans, vient de s’aménager la possibilité d’y
rester seize ans de plus. Mardi 10 mars, la
Douma, Chambre basse du Parlement de
Russie, a adopté, en un tournemain, à une
majorité écrasante (380 voix sur 450), un
amendement constitutionnel visant à
autoriser le chef de l’Etat à solliciter deux
nouveaux mandats à l’issue de son mandat
en cours, qui prend fin en 2024.
Cette réforme doit encore être validée par
la Cour constitutionnelle, puis par les élec
teurs, appelés à se prononcer lors d’un
« vote populaire » le 22 avril. Ni l’une ni
l’autre de ces procédures ne constitue un
obstacle pour M. Poutine, qui contrôle àpeu près tous les leviers du pouvoir et ne
tolère aucune réelle opposition. S’il est mis
en œuvre, cet arrangement sera véritable
ment historique : il permettra à Vladimir
Poutine de se maintenir à la tête de la Rus
sie plus longtemps que Joseph Staline et de
se retirer à 83 ans, plus vieux que Leonid
Brejnev. Seuls quelques rares leaders,
comme Fidel Castro (quaranteneuf ans à la
tête de Cuba) et Robert Mugabe (trentesept
ans à la tête du Zimbabwe), peuvent se tar
guer d’avoir fait mieux.
En vrai maître des horloges, Vladimir
Poutine remet donc la pendule « à zéro »- c’est même l’expression choisie par l’en
tourage du président. En lançant, le 15 jan
vier, le chantier d’une réforme constitu
tionnelle, M. Poutine avait ouvert plu
sieurs hypothèses, y compris celles d’un
renforcement du Parlement et de la créa
tion d’un Conseil d’Etat dont il aurait pu
prendre la tête.
On dissertait, entre Européens, sur le
« modèle Nazarbaïev », du nom du diri
geant du Kazakhstan qui a laissé la place à
un nouveau président tout en gardant un
poste dans l’appareil d’Etat. S’il était clair
que l’homme qui paraissait à Vladimir Pou
tine le plus apte à lui succéder était, finale
ment, luimême, seuls les observateurs rus
ses avaient en réalité compris ce que l’on
n’osait envisager en démocratie : qu’un
poste périphérique ne pouvait convenir à
M. Poutine. C’est au centre qu’il est, c’est au
centre qu’il doit rester. Avec une concentra
tion accrue des pouvoirs. Cette nouvelle
étape du pouvoir poutinien présente deux
défis. Le premier se pose aux Russes.
M. Poutine avance les arguments de la sta
bilité et de la sécurité pour défendre la ré
forme constitutionnelle : la Russie, ditil, a
vécu « assez de révolutions ». Mais le con
traire de la révolution est la stagnation, un
concept appliqué à la désastreuse ère bre
jnévienne. Installée dans la corruption, le
conformisme et la rente pétrolière, l’écono
mie russe sous le règne de M. Poutine n’a
jamais décollé ; s’il se décide enfin à puiser
dans ses confortables réserves pour inves
tir au profit des citoyens, c’est parce qu’il
voit sa popularité baisser. Il lui faut d’abord
réformer ce système sclérosé s’il veut voir
ces investissements se concrétiser.
L’autre défi concerne les partenaires de la
Russie. Tous souhaitent une amélioration
des relations avec Moscou. M. Poutine ré
pond par le blocage sur l’Ukraine, la cyber
guerre, les bombardements d’hôpitaux en
Syrie, la paralysie du Conseil de sécurité à
l’ONU, la réécriture de l’histoire du XXe siè
cle. Les dirigeants étrangers, dont le prési
dent Macron, qui ont prévu de se rendre à
Moscou le 9 mai pour le 75e anniversaire de
la victoire de 1945 doivent à présent être
conscients qu’ils serviront aussi à consa
crer le pouvoir personnel d’un autocrate
qui aura été couronné, deux semaines plus
tôt, par un étrange plébiscite.NI JOE BIDEN NI BERNIE
SANDERS NE DÉFENDRA
UNE POLITIQUE
ÉTRANGÈRE
VÉRITABLEMENT
ALTERNATIVE
POUTINE
OU LE POUVOIR
SANS FIN
GÉOPOLITIQUE|CHRONIQUE
pa r s y lv i e k au f f m a n nJoe Biden
et le repli américain
UN DEUXIÈME MANDAT
TRUMP SERA ENCORE
PIRE – CE PEUT MÊME
ÊTRE LA FIN DE L’OTAN
Tirage du Monde daté mercredi 11 mars : 163 118 exemplairesDeBonneville-Orlandini* Kantar Media TGI Octobre 2019. Stations écoutées 8 derniers jours. Usage d’Internet pour des achats
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