Le Monde - 12.03.2020

(Tina Meador) #1
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JEUDI 12 MARS 2020 international| 5

Une « révolution du centre » porte Joe Biden


L’ex­vice­président a accentué son avance sur Bernie Sanders, mardi, lors d’un « mini­Super Tuesday »


washington ­ correspondant

B


ernie Sanders a perdu
son pari, mardi 10 mars.
Distancé par l’ancien
vice­président Joe Bi­
den dans la course à l’investiture
présidentielle démocrate, le sé­
nateur indépendant du Vermont
avait concentré ses forces sur
l’un des six Etats qui se pronon­
çaient, le Michigan, le plus riche
en délégués (125), où il avait créé
la surprise quatre ans plus tôt. Il y
avait en effet battu d’une courte
tête la favorite d’alors, Hillary
Clinton, relançant une improba­
ble campagne.
Le miracle ne s’est pas répété.
Battu sèchement par Joe Biden,
qui y a obtenu près de 16 points de
plus que lui, Bernie Sanders a, au
contraire, cédé de nouveau du
terrain. Ecrasé dans le Missis­
sippi, largement dominé dans le
Missouri, il a été également de­
vancé dans l’Idaho. Le sénateur
du Vermont n’a remporté que le
Dakota du Nord et ne dépasse que
d’une courte tête son adversaire
dans l’Etat de Washington, selon
des résultats partiels de la nuit.
Après avoir annulé, par précau­
tion, pour cause de coronavirus,
le meeting prévu le soir même
dans l’Ohio, tout comme son ad­
versaire, Bernie Sanders est ren­
tré chez lui à Burlington, dans le
Vermont, où il est resté silen­
cieux.
Les résultats qui s’accumulent
n’ont rien d’encourageants.
Mardi, l’ancien vice­président
a été porté par les mêmes ressorts
à l’origine d’un spectaculaire
come­back, deux semaines plus
tôt. La majorité des électeurs qui
se sont exprimés ont placé
comme priorité, tout comme
ceux du Super Tuesday, le 3 mars,
la victoire contre Donald Trump,
en novembre, considérant que Joe
Biden est le mieux placé pour l’ob­
tenir. Ce vote utile et ce sentiment
d’urgence ont relégué au second
plan « la révolution politique » dé­
fendue par Bernie Sanders, arti­
culée autour de propositions
audacieuses telles qu’une sécurité
sociale universelle, la gratuité des
études supérieures ainsi que l’ef­
facement d’une énorme dette
étudiante, un héritage de la crise
financière de 2008.
Mardi, Bernie Sanders a pres­
que partout perdu du terrain et
tout particulièrement dans les
banlieues, qui ont ramené une
majorité démocrate à la Chambre
des représentants lors des élec­
tions de mi­mandat, en novem­
bre 2018. Joe Biden a creusé là ses

plus grands écarts, dans le Missis­
sippi comme dans le Missouri et
le Michigan.
Le sénateur du Vermont a con­
servé le vote des plus jeunes, les
plus concernés par ses proposi­
tions, mais ces derniers se sont
comparativement moins mobili­
sés que les générations plus âgées.
Il avait déjà regretté publique­
ment ce déficit après le 3 mars. Il
n’a pu que le constater une nou­
velle fois mardi soir. Il le prive d’un
argument central, martelé depuis
des mois. Stimulé par sa capacité à
rassembler les foules et à lever des
sommes considérables auprès de
petits donateurs, il se présentait
en effet comme le seul capable de
déplacer assez d’électeurs pour
pouvoir défaire le président sor­
tant. Les élections qui se succè­
dent ne cessent pourtant de le
contredire, alors que la participa­
tion générale est souvent en
hausse par rapport à 2016.
Comme l’a noté le commentateur
démocrate Van Jones sur la chaîne
CNN : « Bernie Sanders promettait
une révolution, mais on assiste à la
révolution du centre. »

Diaspora cubaine
La voie d’un rétablissement est
donc devenue encore plus étroite
pour le sénateur, mardi soir. La
prochaine étape de la course à l’in­
vestiture démocrate, le 17 mars,
s’annonce en effet particulière­
ment délicate. Il est distancé pour
l’instant dans les quatre Etats qui
se prononceront ce jour­là. Ses
propos nuancés sur la nature du
régime cubain de Fidel Castro ont
été très mal reçus en Floride
(219 délégués), qui compte une im­
portante diaspora cubaine, y com­
pris dans les rangs démocrates. Il
est à la traîne pour l’instant dans
les intentions de vote dans l’Illi­
nois (155 délégués) et l’Arizona
(78 délégués). Le vote afro­améri­
cain devrait également favoriser
Joe Biden en Géorgie (105 délé­
gués), le 24 mars, comme en Loui­
siane, le 4 avril.
Replié à Philadelphie (Pennsyl­
vanie), son quartier général de
campagne, Joe Biden s’est félicité
de ces nouvelles victoires mardi
soir. L’ancien vice­président a
tendu la main à son adversaire, en
dépit des attaques dont il a été
gratifié toute la semaine. « Je veux
remercier Bernie Sanders et ses
partisans pour leur énergie infati­
gable et leur passion, a­t­il assuré.
Nous avons le même but et ensem­
ble, nous battrons Donald Trump,
nous rassemblerons ce pays. »
Joe Biden a pris soin de consa­
crer la majeure partie de son dis­

cours au milliardaire républicain,
saisissant la crise créée par le co­
ronavirus pour souligner ce qu’il
considère comme les angles
morts de sa présidence. Ce fai­
sant, il s’est posé par anticipation
comme son adversaire en no­
vembre, comme si le sort de la
course démocrate était déjà tran­
ché. « Ce soir, nous avons fait un
pas de plus vers la restauration de
la décence, de la dignité et de
l’honneur de la Maison Blanche »,
a­t­il déclaré. « En ce moment, il y a
tellement de peur dans le pays. Il y
a tellement de peur à travers le
monde. Nous avons besoin d’une
direction présidentielle honnête,
digne de confiance, vraie et sta­
ble », a­t­il ajouté.
Avant de prétendre « rassembler
et apaiser le pays », comme il l’a
promis mardi soir, Joe Biden doit

cependant réussir la réconcilia­
tion du Parti démocrate, une tâ­
che délicate compte tenu de la dé­
fiance régulièrement affichée par
Bernie Sanders à l’endroit de « l’es­
tablishment démocrate ».
En l’absence de Bernie Sanders,
la jeune représentante de l’Etat
de New York, Alexandria Ocasio­
Cortez, a tiré les leçons de cette
soirée. Invitant les supporteurs
du sénateur à la réserve, elle a
mis en avant les succès obtenus
initialement dans cette course à
l’investiture, et l’écho positif ren­
contré par certaines des proposi­
tions du sénateur. « Il est mainte­
nant temps d’en tirer parti. Le mo­
ment est venu de demander des
comptes. Le moment est venu de
demander des engagements, de
vrais engagements, pas seule­
ment des gestes », a­t­elle estimé
sur Instagram.
L’aile gauche du Parti démo­
crate a des arguments à faire va­
loir. Selon une enquête de CNN
publiée le 9 mars, une écrasante
majorité d’électeurs âgés de 18 à
49 ans (85 %) estime que l’objectif
le plus important du prochain
président des Etats­Unis sera de
procéder à « des changements
majeurs ». Seuls 13 % de cette
tranche d’âge préfèrent le retour
à la situation qui prévalait avant

l’élection de Donald Trump.
Les démocrates les plus âgés
(plus de 65 ans) partagent égale­
ment cet avis, même s’ils sont
moins nombreux (54 % contre
42 % qui privilégient un simple
retour en arrière).

« Ce n’est pas fini »
La décantation rapide de cette
course à l’investiture a pris de
court les observateurs qui consi­
déraient il y a encore moins de
deux semaines que les démocra­
tes, du fait de leurs divisions, ne
pourraient faire l’économie d’une
« brokered convention », autre­
ment dit qu’un candidat à la pré­
sidentielle ne pourrait émerger
qu’à la suite de tractations de cou­
lisses lors de la convention natio­
nale prévue à Milwaukee (Wis­
consin), en juillet.
Depuis, la majorité des candi­
dats encore présents au début des
votes, le 3 février, dans l’Iowa, se
sont regroupés derrière Joe Bi­
den. L’homme d’affaires Andrew
Yang a été le dernier en date à le
faire, mardi soir. Dans le même
temps, l’ancienne candidate Eli­
zabeth Warren, dont le pro­
gramme était pourtant très pro­
che de celui de Bernie Sanders, a
refusé de lui apporter publique­
ment son soutien. Ce dernier

apparaît donc isolé, alors que Joe
Biden peut se poser au contraire
en rassembleur.
La prochaine confrontation en­
tre les deux hommes doit surve­
nir à Phoenix, dans l’Arizona, le
15 mars. A deux jours d’un rendez­
vous dont on a vu combien il sera
délicat pour lui, Bernie Sanders
aura une nouvelle occasion de dé­
battre et de mettre en avant sa
combativité, ses propositions, et
d’attaquer le manque d’ambition
supposé du programme de son
adversaire. « Ce n’est pas fini », a
assuré dans un message publié
sur son compte Twitter une fi­
gure passionnée de son équipe de
campagne, l’ancienne élue du Sé­
nat de l’Ohio, Nina Turner.
Un débat réussi pourrait­il in­
verser la dynamique dont bénéfi­
cie actuellement l’ancien vice­
président? Les solides prestations
passées d’Elizabeth Warren ou de
la sénatrice du Minnesota, Amy
Klobuchar, également ancienne
candidate à l’investiture, n’ont
pas démontré cette année qu’elles
pouvaient à elles seules renverser
le cours d’une campagne. Et le
message des électeurs, élection
après élection, est clair : une
guerre d’usure n’est pas à l’ordre
du jour.
gilles paris

En Algérie, le journaliste Khaled Drareni placé sous contrôle judiciaire


Les militants Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, eux aussi poursuivis pour « atteinte à l’unité nationale », ont été maintenus en prison


U


n vent mauvais pour les
libertés souffle à nou­
veau en Algérie, où un
journaliste a été placé sous con­
trôle judiciaire et deux militants
du mouvement de contestation,
le Hirak, ont été maintenus en dé­
tention après leur arrestation, le
7 mars. Confronté à une persis­
tance de la contestation dans les
rues, le pouvoir montre des si­
gnes d’impatience.
Khaled Drareni a été libéré,
mardi 10 mars, après trois nuits
passées en garde à vue, mais avec
une épée de Damoclès au­dessus
de la tête. Poursuivi pour « incita­
tion à attroupement non armé » et
« atteinte à l’unité nationale »
après avoir filmé un rassemble­
ment dans le centre d’Alger, le
journaliste a été présenté devant
le procureur de la République
puis devant un juge, qui l’a finale­
ment placé sous contrôle judi­

ciaire après que sa garde à vue a
été prolongée à deux reprises
pour « complément d’enquête ».
Ce « complément d’enquête »
avait exaspéré ses défenseurs.
« Quel complément d’enquête y a­
t­il à mener envers des personnes
arrêtées dans une manifestation?
Ou alors on cherche des accusa­
tions a posteriori, ce qui est com­
plètement illégal au regard de la
loi », dénonçait lundi l’avocat Ab­
delghani Badi.

Une trentaine d’interpellations
« J’ai été mis sous contrôle
judiciaire parce que j’ai couvert
une manifestation, alors que [le
procureur] avait requis le man­
dat de dépôt », a déclaré briève­
ment le journaliste à sa sortie du
tribunal, devant lequel s’étaient
rassemblés des dizaines de
journalistes. « Je couvre les mani­
festations depuis le premier jour,

et je continuerai à le faire. » Après
son arrestation, samedi, une pé­
tition appelant à sa libération
avait été signée par plus de
200 journalistes et plusieurs mé­
dias indépendants.
Ce 7 mars, une trentaine de per­
sonnes avaient été interpellées
par la police lors d’une marche
dans la capitale. Si la plupart d’en­
tre elles avaient été relâchées di­
manche, Khaled Drareni, mais
aussi Samir Benlarbi, une figure
de la contestation, et Slimane Ha­
mitouche, un militant de la cause
des disparus de la « décennie
noire », avaient été maintenus en
garde à vue. Egalement arrêté,
Toufik Hassani, un ancien poli­
cier qui avait pris position en fa­
veur du Hirak, a été jugé en com­
parution immédiate mardi en fin
d’après­midi. Condamné à trois
mois de prison mais laissé libre, il
a aussitôt été intercepté à la sortie

du tribunal et emmené vers la
ville de Chlef, à 200 kilomètres à
l’ouest de la capitale, où un man­
dat d’arrêt de la chambre d’ac­
cusation du tribunal local a été
délivré à son encontre.
Samir Benlarbi, lui, a été placé
une nouvelle fois sous mandat
de dépôt. Il est également pour­
suivi pour « incitation à attrou­
pement non armé » et « atteinte à
l’unité nationale », selon le Co­
mité national pour la libération
des détenus. Il avait déjà été ar­
rêté et placé en détention provi­
soire, le 17 septembre, pour « at­
teinte à l’intégrité territoriale » et
« diffusion ou détention de publi­
cation portant atteinte à l’intérêt
national », avant d’être relaxé le
3 février. Une mauvaise surprise
pour Saïd Salhi, vice­président
de la Ligue algérienne pour la dé­
fense des droits de l’homme :
« M. Benlarbi a été acquitté pour

les mêmes chefs d’accusation que
ceux pour lesquels on le renvoie
en prison aujourd’hui. C’est sur­
prenant. La justice algérienne en
prend un coup. »

Signes d’impatience
L’opposant Slimane Hamitouche
a lui aussi été envoyé en prison.
« Nous assistons à une emprise
des services de sécurité sur la jus­
tice, qui est désormais au service
de l’Etat. Et non au service des ci­
toyens », dénonce l’avocat Mus­
tafa Bouchachi. Dans la matinée,
le premier ministre, Abdelaziz
Djerad, a implicitement appelé
les opposants à mettre un terme
aux manifestations de rue ou à
les espacer, estimant qu’il serait
« plus sage d’atténuer la tendance
revendicative et l’occupation
excessive de la voie publique,
qui ne font qu’aggraver davan­
tage la situation actuelle sans

apporter de solutions concrètes
aux différents problèmes aux­
quels font face les citoyens et les
citoyennes ».
Ces signes d’impatience s’expri­
ment alors que les mauvaises
nouvelles s’accumulent sur le
front de l’économie. La situation
financière du pays se dégrade
inexorablement. La brusque
chute des cours du pétrole a déjà
rendu caduques les prévisions
établies par la loi de finances
2020, qui tablait sur un prix de ré­
férence du baril à 50 dollars (envi­
ron 44 euros). Le gouvernement
pourrait être contraint à s’atteler
plus tôt que prévu à une réforme
des caisses de sécurité sociale po­
tentiellement explosive.
madjid zerrouky

Joe Biden,
lors d’un
meeting
à Detroit
(Michigan),
le 9 mars.
BRENDAN
MCDERMID/REUTERS

La majorité
des électeurs
ont placé comme
priorité la
victoire contre
Donald Trump,
en novembre

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