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PLANÈTE
JEUDI 12 MARS 2020
0123
Le fragile front commun des pays de l’UE
Les Etats privilégient des réponses nationales. Bruxelles propose 25 milliards pour atténuer l’impact de la crise
bruxelles bureau européen
E
nvoyer un signal politi
que fort. Montrer que
l’Europe a quelque chose
à dire et à faire alors que,
désormais, les vingtsept pays de
l’Union européenne (UE) − Chy
pre a été le dernier à rejoindre le
club − comptent chez eux des cas
de Covid19. Et que, jusqu’ici, ils
ont avancé en ordre dispersé face
à cette crise sanitaire.
Tel était l’objet du Conseil euro
péen qui était organisé par vidéo
conférence, mardi 10 mars, entre
les chefs d’Etat et de gouverne
ment de l’UE. « Nous sommes
prêts à faire tout ce qui est néces
saire et à agir rapidement », a dé
claré son président, Charles Mi
chel, à l’issue de la réunion, en as
surant que les dirigeants euro
péens allaient désormais mieux
coordonner leur action.
Cela n’a pas empêché la Slovénie
d’annoncer qu’elle fermait ses
frontières avec l’Italie... pendant
le sommet. Les questions de santé
ne relèvent pas de la compétence
communautaire, et « il y aura tou
jours des pays qui feront cavalier
seul, regrette un observateur.
Mais la majorité des dirigeants
européens sont désormais prêts à
jouer le jeu ».
Pas de « Gosplan »
Même si deux réunions des mi
nistres européens de la santé ont
déjà été consacrées au virus de
puis qu’il a atteint le Vieux Conti
nent le 25 janvier, l’UE s’est jus
qu’ici comportée en spectatrice
impuissante.
Ursula von der Leyen a eu beau
répéter, ces dernières semaines,
que « la coordination entre Etats
membres était excellente », les
faits n’ont cessé de contredire la
présidente de la Commission.
« Les mesures désordonnées, an
noncées par les capitales, ont créé
de l’incertitude, voire de l’angoisse
chez les citoyens, expliqueton à
l’Elysée. Il ne s’agit pas de créer le
Gosplan des mesures sanitaires.
Mais de mieux partager l’informa
tion et de faire des recommanda
tions communes. »
Ursula von der Leyen, qui assis
tait également au sommet mardi,
a annoncé que la Commission or
ganiserait désormais chaque jour
une conférence téléphonique en
tre les ministres de la santé. Ces
rendezvous seront ouverts aux
ministres de l’intérieur, alors que
certains gouvernements −
comme ceux de la Hongrie et de
l’Autriche − peuvent être tentés de
remettre en cause l’espace Schen
gen à l’occasion de cette crise.
Mardi, les VingtSept ont
également abordé la question des
équipements médicaux − les
masques, les gants ou les appa
reils respiratoires − et de leur pé
nurie éventuelle.
Dans une tribune publiée par le
site Politico quelques heures plus
tôt, l’ambassadeur italien auprès
de l’UE, Maurizio Massari, racon
tait que son pays avait demandé à
ses partenaires des masques, sans
succès. « Seule la Chine a ré
pondu » positivement, écritil, « ce
n’est pas bon signe en ce qui con
cerne la solidarité européenne ».
La France et l’Allemagne ont en
tout cas interdit l’exportation du
matériel de protection médicale,
alors que les deux pays disposent
de stocks.
« Les industriels qui fabriquent
ces produits augmentent les ca
dences, mais plusieurs d’entre eux
ont des centres de distribution en
Allemagne, et ne peuvent donc ex
porter », expliqueton dans l’en
tourage de Thierry Breton, le com
missaire au marché intérieur, qui
a reçu mardi une dizaine d’indus
triels du secteur. « Il nous faut dé
sormais nous assurer que le mar
ché intérieur fonctionne correcte
ment et que tout obstacle injustifié
[à son bon fonctionnement] soit
évité », a commenté Charles Mi
chel, tandis qu’Ursula von der
Leyen s’est engagée à évaluer les
stocks et à s’assurer que personne
ne soit lésé.
Troisième volet, sur lequel les
chefs d’Etat et de gouvernement
européens ont insisté mardi : la
nécessité pour l’UE de « tout
mettre en œuvre pour que l’écono
mie européenne résiste à cette
tempête » qu’est le Covid19, pour
reprendre les termes d’Ursula
von der Leyen.
Alors que des pans entiers de
l’économie sont paralysés et que
les marchés se sont effondrés,
Charles Michel a jugé qu’« une ap
plication souple des règles de l’UE,
en particulier concernant les aides
d’Etat et le pacte de stabilité et de
croissance, sera nécessaire ».
La Commission précisera, d’ici à
la fin de la semaine, les conditions
qui accompagneront cette flexibi
lité. Il s’agit de donner aux Etats
membres une certaine marge de
manœuvre budgétaire au regard
des critères habituels communau
taires en matière de déficit et de
dette publics, et de leur permettre
d’aider des entreprises − notam
ment quand elles traversent une
crise de liquidité − sans contreve
nir aux règles du marché intérieur.
Ursula von der Leyen a égale
ment annoncé le déblocage de
25 milliards d’euros que les Vingt
Sept pourront utiliser pour sou
tenir, notamment, leur système
de santé, les PME en difficulté ou
les travailleurs provisoirement
mis au chômage.
« Les Etats membres ont 7,5 mil
liards d’euros de fonds structurels
dans leurs caisses qu’ils devaient
nous rendre, parce que leur
utilisation prévue n’était pas
conforme à ce qu’elle devait être »,
expliqueton dans l’entourage
de Mme von der Leyen. A cette
somme, s’ajouteront 17,5 mil
liards d’euros de fonds structu
rels à venir − ce qui fera un total
de 25 milliards d’euros − que
les Etats membres pourront uti
liser pour mieux résister aux
conséquences économiques de
l’épidémie.
Règle sur les créneaux aériens
Un peu plus tôt, l’exécutif
européen avait également an
noncé la suspension de la règle
qui oblige les compagnies aérien
nes à assurer 80 % de leurs
liaisons pour conserver leurs cré
neaux d’atterrissage et de décol
lage, ce qui a conduit nombre
d’entre elles à faire voler à vide
une partie de leurs avions ces
dernières semaines.
Ces mesures, qui restent à cali
brer, serontelles suffisantes?
Lundi, Bruno Le Maire, le ministre
français de l’économie, a appelé à
« un plan de relance européen à la
fois massif et coordonné ». Pas sûr
que Berlin partage cet avis. « La
BCE a également un rôle impor
tant à jouer », a commenté un di
plomate allemand, mardi soir,
alors que l’institution monétaire
doit se réunir jeudi et que sa prési
dente, Christine Lagarde, assistait
aussi au Conseil européen.
Les chefs d’Etat et de gouverne
ment européens, qui doivent se
retrouver à Bruxelles les 26 et
27 mars, « décideront alors si des
mesures supplémentaires sont
nécessaires », a ajouté le prési
dent du Conseil européen Char
les Michel. « La Chine, le Japon et
les EtatsUnis ont déjà annoncé
qu’ils prendraient des mesures de
relance. L’Europe ne peut pas être
le continent de l’attentisme », ju
geton à l’Elysée.
virginie malingre
BRUNO LE MAIRE A APPELÉ
À « UN PLAN DE RELANCE
EUROPÉEN À LA FOIS
MASSIF ET COORDONNÉ ».
PAS SÛR QUE BERLIN
PARTAGE CET AVIS
La Pologne introduit des « contrôles sanitaires » à ses frontières
Varsovie est l’une des premières capitales de l’UE membres de l’espace Schengen à rétablir ce type d’opération
varsovie correspondance
E
ncore critiquées à la fin du
mois de février pour leur
impréparation face au ris
que d’épidémie due au corona
virus, les autorités polonaises ont
adopté ces derniers jours une sé
rie de mesures radicales, dont la
mise sur pied, lundi 9 mars, de
« contrôles sanitaires » à quatre
points de passage frontaliers avec
l’Allemagne, et un avec la Républi
que tchèque. Avec leurs tentes mé
dicales mobiles et leur personnel
équipé de combinaisons de pro
tection, ils pourraient presque ser
vir de décor à un film catastrophe.
« Nous sommes les premiers en
Europe à prendre une telle déci
sion », ont fièrement expliqué,
lundi 9 mars en conférence de
presse, le chef du gouvernement,
Mateusz Morawiecki, et son mi
nistre de l’intérieur, Mariusz Ka
minski. Aux points de contrôle,
des équipes mobilisant gardes
frontières, policiers, pompiers,
douaniers, inspecteurs du trans
port routier et services médicaux
ont commencé à arrêter systé
matiquement tous les autocars
et autres moyens de transport
public, mais pas les voitures indi
viduelles et les camions de mar
chandises, pourtant très nom
breux à circuler entre l’Allema
gne et la Pologne. L’impact sur le
trafic reste donc limité.
« Mesures exceptionnelles »
Les passagers et les chauffeurs doi
vent se soumettre à une prise de
température et remplir un formu
laire avec leurs coordonnées,
adresse de résidence et itinéraire.
Ces données alimenteront une
base de données centralisée qui
permettra, en cas d’infection, de
retrouver tous les voyageurs ayant
été en contact avec un malade.
Quant aux personnes qui présen
teraient des symptômes suspects
lors des contrôles, elles seront con
duites à l’hôpital pour examen.
Selon le ministre de l’intérieur,
« la plupart des personnes contami
nées [par le coronavirus] arrivent
en Pologne de l’étranger, c’est pour
quoi nous devons appliquer des
mesures exceptionnelles ». Il a justi
fié le choix des premiers points de
passage concernés par le nombre
de cas avérés d’infection en Alle
magne – plus de 1 100, à la sixième
place des pays touchés par le virus
dans le monde, derrière la France –
et par l’intense trafic d’autocars
traversant la République tchèque
pour relier la Pologne à l’Italie.
Touristes à petit budget, pèlerins
ou travailleurs migrants, les Polo
nais n’ont pas peur de passer des
dizaines d’heures sur les routes
pour traverser l’Europe. Les autori
tés prévoient d’étendre « d’ici à
deux ou trois jours » les contrôles à
la totalité des points de passage
routiers frontaliers, à l’est comme
au sud, ainsi qu’aux ports et aux
trains internationaux.
Le premier ministre a précisé
avoir au préalable « informé » ses
homologues allemand et tchèque
et souligné qu’il s’agissait de « con
trôles sanitaires ». L’expression a
son importance car la Pologne,
membre de l’espace Schengen, n’a
le droit de rétablir des contrôles à
ses frontières avec les autres Etats
de l’UE qu’« en cas de menace grave
pour l’ordre public ou la sécurité in
térieure ». Elle doit en informer les
autres membres et la Commis
sion. Mardi, celleci a confirmé,
sans s’offusquer, que les contrôles
sanitaires lui avaient été notifiés.
Selon le corps des gardefrontiè
res polonais, « les points de con
trôle sanitaire reposent sur des dis
positions de droit national et n’ont
rien à voir avec le contrôle aux
frontières, car ils n’affectent pas la
liberté de voyager ».
Décision « proportionnée »
Le mois dernier, la possibilité d’un
rétablissement des contrôles aux
frontières intérieures de l’UE en
raison du coronavirus avait déjà
été soulevée par l’Autriche. La
Commission européenne avait
alors rappelé que les Etats mem
bres avaient le droit de rétablir les
contrôles pour des motifs de
santé publique, mais qu’une telle
décision devait être « proportion
née à la situation » et « basée sur
un avis scientifique et une évalua
tion des risques ». Or, avaitelle ob
servé, « pour le moment, l’Organi
sation mondiale de la santé n’a pas
recommandé de changement ou
de restriction concernant le com
merce ou les voyages ». Cela n’a pas
empêché la Pologne, mais aussi la
Hongrie et la République tchèque
avant elle, de rétablir des formes
de contrôle aux frontières.
Sur le territoire polonais, le pre
mier cas avéré d’infection au coro
navirus a été découvert près de
l’Allemagne et signalé le 4 mars.
Une loi spéciale a été adoptée dans
les jours suivants, qui accorde à
l’Etat de larges pouvoirs en vue de
lutter contre le risque d’épidémie,
par exemple en obligeant certai
nes entreprises à produire du ma
tériel médical, ou en plaçant des
particuliers sous hospitalisation
forcée. Au 9 mars, le pays comptait
16 cas confirmés d’infection.
romain su
É P I D É M I E D E C O V I D 1 9
Pendant la vidéoconférence menée par le président du Conseil européen, Charles Michel, mardi 10 mars. STEPHANIE LECOCQ/AP
La banque d’Angleterre baisse ses taux
La banque d’Angleterre a surpris les marchés mercredi 11 mars en
annonçant une baisse de son taux directeur d’un demi-point, de
0,75 % à 0,25 %, pour faire face au choc « fort et important » mais
« temporaire » du coronavirus. La mesure a été coordonnée avec le
gouvernement, qui devait présenter son budget dans l’après-midi.
La banque centrale britannique veut en parallèle soutenir les prêts
aux entreprises, en particulier aux PME, en permettant aux ban-
ques prêteuses de se refinancer à taux préférentiel. Enfin, elle
les autorise à réduire leurs fonds propres de 1 %. Elle emboîte
ainsi le pas aux instituts d’émission qui ont déjà baissé leurs taux,
aux Etats-Unis, en Australie, au Japon ou en Asie du Sud-Est.