Les Echos - 03.03.2020

(Dana P.) #1

Les Echos Mardi 3 mars 2020 IDEES & DEBATS// 11


opinions


LA
CHRONIQUE
de Jean-Marc
Vittori


et ces trois nuits entières » , est proscrit.
Le participe présent n’est plus qu’un
masculin singulier. Le « il » remplace le
neutre « ce » (il est facile et non p lus c’est
facile). Une femme doit dire « Joyeuse, je
le suis » et non « je la suis ». A l’idée de ne
plus dire « la » dans ce cas, la marquise
de Sévigné avait pourtant prévenu : « Je
croirais avoir de la barbe au menton si je
disais autrement... » Au XIXe siècl e,
l’école grave c es n ormes dans le marbre.
C’est difficile de jeter aux orties des
siècles d e redressement forcé. Mais c’est
précieux d’en avoir conscience. Et c’est
possible d’employer d’autres mots,
d’autres tournures. Revenir aux noms
féminins de métier qui existaient jadis,
comme a fini par l’accepter l’Académie.
Pratiquer la « double flexion » comme
le général de Gaulle avec son fameux
« Françaises, Français » – moqué à l’épo-
que par les fats du « beau langage »!
En France, la reconquête a été menée
par les autorités publiques, depuis la
Commission sur la féminisation des
noms de métiers, grades et fonctions,
créée par la ministre socialiste Yvette
Roudy en 1984. Ailleurs, d’autres
démarches sont cependant plus con-
vaincantes que les circulaires françai-
ses tellement systématiques qu’elles
restent dans l’éther.
Le quotidien suisse « Le Temps »
mène une réflexion exemplaire, à la fois
au sein de sa rédaction et avec son lecto-
rat. C’est aussi de Suisse qu’est venue l’ini-
tiative de l’encyclopédie en ligne Wikipe-
dia d’interroger ses auteurs et autrices
francophones (qui se sont révélés très
conservateurs sur le sujet, ce qui n’est au
fond guère surprenant). Chacun doit
trouver ses marques. Mon choix va aux
recommandations du guide d’écriture
« pour toutes et tous » de l’université de
Montréal, imprégnées de pragmatisme
américain.
Mais il ne sert à rien d’aller plus vite
que la musique. A chacune ou chacun
son rythme. J’animais récemment une
conférence où intervenait la patronne
d’une grande firme française (plus de
50.000 personnes employées). Juste
avant, l’un de ses collaborateurs m’a
averti : « Surtout, présentez-la comme
“le” président. Elle y tient beaucoup. »

(*) « Le Langage inclusif : pourquoi,
comment », par Eliane Viennot, Editions iXe,
2018.

supplice. Mais il y a pourtant un pro-
blème. Car notre langage est biaisé.
« Le masculin l’emporte sur le fémi-
nin » , comme on l’apprend à l’école
depuis deux siècles. La domination du
masculin dans les mots façonne la
réalité, en donnant une représenta-
tion qui sert de base à nos actions.
Cette domination est injuste, car elle a
contribué à couvrir les abus perpétrés
par les hommes sur les femmes, abus
heureusement mis en lumière par des
mouvements comme #MeToo. Elle est
aussi inefficace, car elle contribue
aussi à la faible présence des femmes
dans les cercles du pouvoir, alors que
les équipes mixtes sont souvent plus
performantes.
Et cette domination ne vient pas
seulement des hasards de l’évolution
linguistique. Comme l e montre d ans un

petit livre édifiant (*) Eliane Viennot,
une enseignante de littérature de la
Renaissance, elle a été imposée par
l’Académie française à partir du
XVIIe siè cle, qui a écarté toute une série
de noms d’activité au féminin existant
au Moyen Age – mairesse, écrivaine,
huissière, autrice, doctoresse, inven-
trice, professeuse (que revendique
Viennot pour elle)... L’académicien
Nicolas Beauzée a théorisé le nettoyage
en 1767 : « Le genre masculin est réputé
plus noble que le féminin, à cause de la
supériorité du mâle sur la femelle. »
De nouvelles règles effacèrent le
féminin. L’accord de proximité, qui
poussait Racine à écrire « ces trois jours

La domination du
masculin dans les mots
façonne la réalité,
en donnant une
représentation qui sert
de base à nos actions.

Elle a écarté toute une
série de noms d’activité
au féminin existant au
Moyen Age – mairesse,
écrivaine, huissière,
autrice, doctoresse,
inventrice, professeuse.

Non à l’écriture inclusive,


oui à d’autres solutions


La langue française est biaisée en faveur du masculin. Ce biais vient


largement d’un choix politique affirmé à partir du XVIIe siècle.


C’est politiquement injuste et économiquement inefficace.


DANS LA PRESSE
ÉTRANGÈRE


  • L’acco^ rd signé samedi entre le gouver-
    nement Trump et les talibans « est un tic-
    ket de départ pour l’armée américaine qui
    est restée bien trop longtemps en Afgha-
    nistan » , note le « New York Times ».
    Cette guerre, commencée en 2001 pour
    chasser ben Laden et ses sbires après les
    attentats du 11 Septembre, avait « débuté
    dans une certaine clarté, si ce n’est une
    vision stratégique, mais s’est poursuivie
    dans l’ambiguïté la plus sanglante ».
    L’accord a été conclu en l’absence de
    représentants du gouvernement afghan
    et sans proclamation officielle d’un ces-
    sez-le-feu. Il n’est qu’un tout premier pas
    vers des négociations entre talibans et
    autres factions afghanes. Ce qui n’est pas
    encore joué.
    Pour le journal, « l’Afghanistan pren-
    dra sa place dans l’histoire américaine à
    côté du Vietnam comme un symbole d’un
    conflit sans fin et d’un enlisement futile ».
    Ce qui néanmoins ne veut pas dire que
    l’accord de Doha est inutile car l’Améri-
    que n’avait plus aucune raison de conti-
    nuer le combat après la mort de ben
    Laden au Pakistan en 2011 et après avoir
    dépensé 2.000 milliards de dollars dans
    la « guerre contre le terrorisme ». De plus,
    le président Trump a toujours déclaré
    son aversion pour les interventions mili-
    taires. Reste qu’il n’y a aucune garantie
    que les talibans ne reviennent pas au
    pouvoir pour pratiquer la charia et
    exclure les jeunes filles des écoles. Cer-
    tes, comme le dit le « New York Times »
    qui, bon gré mal gré, soutient l’accord de
    Doha, il est « plus sage » de partir. Cepen-
    dant, l’accord de samedi n’est pas simi-
    laire aux accords de Paris de 1973 qui,
    s’ils n’établissaient pas la paix, ouvraient
    la voie à la réunification du Vietnam et,
    in fine, à la paix. Depuis 1979 et l’invasion
    soviétique, l’Afghanistan n’est pas
    encore sur ce chemin. Loin de là.
    J. H.-R.


Afghanistan : une guerre
sans vainqueur

LE MEILLEUR DU
CERCLE DES ÉCHOS

L’adoption de la réforme
des retraites sera longue

Selon l’économiste Jean-Yves Archer, le
chemin vers l’adoption définitive du projet
de réforme des retraites sera long et
parsemé de chausse-trappes. Celle-ci
interviendra au mieux à l’été. Au pire à
l’automne.

PIQUET PROCÉDURAL Les partisans «
de Jean-Luc Mélenchon ont été habiles et mis
dans une sorte de piquet procédural la
majorité. Conséquence, il est fort probable
que seul le recours à l’article 49-3 pourra être
un canal de sortie de l’actuelle impasse. Je ne
partage nullement l’opinion de nombreux
commentateurs qui estiment que les citoyens
sont lassés de tout ce cirque et que le 49-3 sera
perçu comme une solution idoine. »

SÉNAT Après un« [possible] vote contraint
à l’Assemblée, il y aura l’épreuve du Sénat au
sein duquel la procédure accélérée a été
repoussée par un vote récent [...]. Autant dire
qu’il y aura une [...] bataille législative,
d’autant plus pointue que le président Gérard
Larcher est compétent en matière sociale.
Donc, du temps et de l’énergie avant un
retour en seconde lecture à l’Assemblée. Ou,
sauf surprise, il y aura à nouveau recours au
49-3 pour une adoption définitive. Adoption
toutefois conditionnée à la rédaction et à
l’approbation des 29 ordonnances qui sont
prévues par le projet de loi. »

CONSEIL CONSTITUTIONNEL Si l’on «
regarde l’agenda, nous sommes bien après
l’été. Et alors, me direz-vous? Je vois un
autre point de collision avec le futur contrôle
de constitutionnalité que tous ces textes vont
devoir subir. Il suffit de 60 députés ou
sénateurs pour déférer un texte devant le
Conseil constitutionnel. [...] Il est hautement
probable que sa ou ses décisions ne soient
rendues qu’en automne, au pied de l’amorce
du débat budgétaire [...]. »

a
Lire l’intégralité sur Le Cercle
lesechos.fr/idee-debats/cercle

C


her lecteur et plus encore chère
lectrice, il est temps de vous en
informer : j’ai décidé de ne pas
me laisser charmer par les sirènes de
l’écriture inclusive. Ni d’ailleurs par les
tritons, ces êtres masculins qui s’en
rapprochent le plus.
Cette décision paraîtra peut-être de
bon sens à nombre d’entre vous. Elle n’a
pourtant pas été évidente. Je risque de
me faire à nouveau traiter de réaction-
naire dans les couloirs du journal. Et je
pourrais passer pour un suppôt de
l’Académie française, qui parlait, il y a
trois ans, du « péril mortel » de l’écriture
inclusive, sans définir de quoi elle
parlait – un comble pour cette auguste
maison.
Afin de prendre mes distances avec
les Immortels, je vais donc préciser. Ce
que je rejette avec la dernière énergie,
« cher·e lecteur·rice », c’est le fameux
point médian que certains voudraient
voir dans les noms et adjectifs pour i ndi-
quer qu’ils désignent et qualifient un
être humain de n’importe quel sexe.
Mon opposition n’est pas de prin-
cipe, mais de pratique. D’abord, le
point médian est chronophage. Il faut
taper à chaque fois l es touches [ALT], 2 ,
5, 0 pour le faire apparaître, même si le
Haut Conseil à l’égalité entre les
femmes et les hommes nous invite à
nous frayer un raccourci informati-
que. Ensuite, l e système n ous mène à la
faute et à la confusion. Le « cher·e »
oublie l’accent grave de la « chère »,
sauf à lui préférer l’incompréhensible
« cher·ère ». Au pluriel, c’est pis
encore, « cher·e·s lecteur·rice·s ».
Surtout, j’ai beaucoup de mal à lire
un texte avec des points médians. Car
ils se confondent avec le point final,
aligné sur le bas des lettres. Entraîné
depuis une éternité à s’arrêter sur ce
point qui marque la fin de chaque
phrase, mon œil me donne l’impres-
sion de bégayer quand il parcourt un
texte avec des « points du milieu ». Je
n’ai aucune envie de vous imposer ce


IP

Press/

MAXPPP

LE LIVRE
DU JOUR

Leçons de choses
sur le climat

L’ INTÉRÊT Un journaliste
de vingt-cinq ans, Baptiste Denis,
représentant de la jeune
génération, celle qui risque d’avoir
à subir les premières
conséquences lourdes
du réchauffement climatique,
interroge Jean Jouzel, l’un
des plus éminents climatologues
de la planète, ressortissant d’une
communauté scientifique qui
ne cesse de mettre les décideurs
politiques en alerte. Ce jeu
de questions-réponses mené sans
filtre donne non seulement
de la spontanéité à l’échange mais
aussi de la clarté à un sujet qui,
souvent, se perd en technicité.
Avec cette interview au long cours,
le réchauffement climatique avec
tous les défis qu’il pose et toutes
les interrogations qu’il soulève se
donnent facilement à comprendre.

LE PROPOS C et ouvrage,
transcription d’échanges qui n’ont
rien de la rencontre de la carpe
et du lapin, embrasse tous
les débats suscités par
le réchauffement climatique.
La parole des scientifiques
et l’écoute qui leur est accordée,
la justice climatique et la taxe

carbone, l’é mergence de la
jeunesse et sa difficulté à se faire
entendre, la biodiversité
et la « collapsologie » en sont
les principales têtes de chapitre.

LA CITATION « Notre optimisme
dépasse notre inquiétude. Si
le réalisme de l’instant nous effraie,
il ne faut pas perdre de vue la
solidarité que nous sommes
capables de mettre en œuvre. »
— Joël Cossardeaux

Climat. Parlons vrai
par Jean Jouzel et Baptiste Denis.
Editions François Bourin,
16 euros, 207 pages.
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