Les Echos - 03.03.2020

(Dana P.) #1
Des magasins fermés à proximité d’une usine de chaussures, à Wenzhou en Chine, le 27 février. Photo Noël Celis / AFP

mondiales et sur les marchés des
matières premières » , explique
l’organisation internationale. A elle
seule, « la Chine consomme plus de
la moitié du cuivre et de l’aluminium
mondial » , relève Laurence Boone.
Quand la Chine tousse, le monde ne
peut que s’enrhumer.
La zone euro devrait croître de
seulement 0,8 %, et l’Allemagne de
0,3 %. En France, Bruno Le Maire, l e
ministre des Finances, a longtemps
tablé sur un dixième de croissance
en moins. Il s’attend désormais à un
impact « beaucoup plus significa-
tif ». L’OCDE prévoit effectivement
trois fois pire, à savoir une amputa-

tion du PIB de trois dixièmes qui
limiterait sa progression à 0,9 %
cette année. Quant à l’Italie, elle
devrait stagner sur l’année après
une contraction au premier trimes-
tre. Aux Etats-Unis, l’économie
devrait progresser de 1,9 %.
Ces chiffres prennent pour hypo-
thèse le fait que l’épidémie restera
principalement contenue en Chine
avec quelques foyers maîtrisés en
Corée, au Japon, en Italie et en
France, notamment. Si d’aventure
l’épidémie venait à s’étendre à
l’ensemble de la zone Asie-Pacifi-
que et à l’hémisphère Nord, la crois-
sance mondiale n’atteindrait plus

que 1,5 % en 2020. Une épidémie de
grande ampleur pourrait provo-
quer une récession au Japon et dans
la zone euro et une stagnation aux
Etats-Unis. Le pire scénario serait
une extension concomitante dans
les hémisphères Sud et Nord. « Si
cela devait arriver, nous abaisserions
encore nos prévisions » , a reconnu
Laurence Boone.

Mesures coordonnées
Po ur l’heure, l’OCDE appelle les gou-
vernements à agir pour contenir au
maximum le coronavirus. « Une
réponse de politiques sanitaire, bud-
gétaire et monétaire du G20 n’enver-

rait pas seulement un message fort de
confiance mais multiplierait aussi les
effets des actions nationales » , indi-
que Laurence Boone. « Il importe
d’accroître les ressources dédiées à la
santé et de soutenir les plus vulnéra-
bles tout en veillant à ne pas ajouter
une crise financière à une crise de
santé publique » , ajoute-t-elle.
Les dégâts sont déjà là et la
reprise sera longue à se dessiner.
« La désorganisation des chaînes
de valeur internationales va empê-
cher tout rebond rapide. Nous
n’attendons pas de reprise en forme
de V » , souligne-t-elle. Il faudra
s’armer de patience.n

lL’ OCDE projette une croissance mondiale de 2,4 % cette année, si la crise du coronavirus ne s’étend pas davantage.


lL’extension de la crise pourrait plonger le Japon et l’Europe dans la récession et les Etats-Unis dans une stagnation.


Coronavirus : l’OCDE prône une riposte

budgétaire et monétaire commune

« L’épidémie amputera l’activité d’un demi-point à un point et demi »


Propos recueillis par R. H.


La crise du coronavirus inter-
vient au moment où la croissance
mondiale donnait déjà des signes
d’essoufflement. Quel sera son
impact?

Il est vrai que cette crise se rajoute
au ralentissement observé depuis
2018 du côté du secteur manufactu-
rier et, plus récemment, de la con-
sommation et du marché de
l’emploi. En novembre dernier,
nous prévoyions que la croissance
mondiale se stabiliserait autour de
3 %. En raison de cette épidémie qui
évolue de jour en jour, nous avons
élaboré deux scénarios. Le premier
prend pour hypothèse que l’épidé-
mie reste contenue à ce qu’elle est
aujourd’hui. Le second envisage
une extension comparable à celle
que nous avons observée en Chine


pour l’Asie-Pacifique et l’hémis-
phère Nord. Et ce n’est pas le pire
scénario puisque l’hémisphère Sud
pourrait être également touché.
Dans le premier cas, la croissance
mondiale ne serait plus que de
2,4 %. La reprise s’étalerait progres-
sivement, sur les deuxième et troi-
sième trimestres de cette année, le
temps de remettre les machines en
marche. Nous ne retrouverions le
niveau de PIB observé en novembre
dernier qu’à la fin de 2021. Dans le
second scénario, le PIB mondial
pourrait être réduit de 1,5 % en
2020, trois fois plus que dans notre
scénario de base.

Les marchés financiers
ont été sévèrement secoués,
la semaine dernière. Avez-vous
pris en compte leur impact
potentiel dans vos calculs?

magne lors de la crise financière. Les
salariés peuvent travailler moins et
être payés autant grâce, notamment,
à des aides de l’Etat, directes ou indi-
rectes. Cela peut prendre la forme de
baisse de cotisations sociales pen-
dant une période difficile.
Pour les travailleurs indépen-
dants, il peut être envisagé des
transferts de cash. Pour soutenir les
entreprises et empêcher des failli-
tes liées aux mesures de confine-
ment, le report du paiement des
charges fixes, comme les impôts,
est possible. Le paiement de la TVA
peut être suspendu pour les entre-
prises affectées par les mesures de
confinement. Comme au Japon,
des prêts d’urgence ou d es garanties
de dettes pour les entreprises du
tourisme peuvent être entrepris.
On peut aussi demander aux ban-
ques d’étaler le paiement des inté-
rêts et le remboursement du capital
de leurs clients.

Et au plan macroéconomique?
Les banques centrales peuvent
envoyer un signal en indiquant
qu’elles sont prêtes à faire plus sur
leur politique accommodante. Cela
pourrait permettre de calmer
l’inquiétude des marchés financiers.
Les banquiers centraux peuvent
aussi assurer la liquidité du système
bancaire, par exemple, en réduisant
les réserves obligatoires. Il est vital
de ne pas ajouter une crise finan-
cière à une crise de santé.

Faut-il mettre en œuvre une vaste
relance budgétaire?
Il faut surtout soutenir les secteurs
pénalisés et laisser jouer les stabili-
sateurs automatiques. Il y aura une
baisse de la collecte d’impôts et une
augmentation des dépenses publi-
ques due à cette crise du coronavi-
rus. Il ne faut pas coller strictement
aux règles budgétaires du moment.
A ce jour, les aides aux personnes et
aux entreprises doivent primer. Et il
faut accepter une détérioration des
finances publiques pour soutenir les
secteurs en difficulté.

Croissance affaiblie, commerce
en repli, risque de guerre
commerciale, doit-on redouter
une récession mondiale?
Dans notre second scénario où le
coronavirus s’étend à la zone Asie-
Pacifique et à l’hémisphère Nord, le
Japon, la zone euro et les Etats-Unis

risquent de connaître une récession
ou une croissance très faible. Il me
semble important que les Etats du
G20, de l’Union européenne,
envoient un message conjoint qu’ils
se préparent activement à réagir
ensemble. Ce serait un signal de con-
fiance dans un monde où la coopé-
ration internationale est nécessaire.

Pour l’heure, la Chine paie le plus
lourd tribut à cette crise...
Nous avons revu de 5,7 % à 4,9 % la
croissance pour cette année. Le pays
a connu une chute de production
d’ampleur similaire à celle de la crise
de 2008. Il va se poser la question de
la reprise de la production et le ris-
que d’un redémarrage de l’épidémie
si cela se passe trop tôt. Tout risque
n’est pas encore écarté en Chine.

Cette crise est-elle de nature
à remodeler la mondialisation
des échanges?
Cette crise s’insère dans un contexte
de tensions commerciales et d’une
réforme de la fiscalité internationale
qui modifient le paysage mondial. A
cela s’ajoutent les tensions obser-
vées sur les chaînes de valeur inter-
nationales. Les entreprises tra-
vaillent en flux tendu. Il me semble
évident que les entreprises vont se
pencher sur le modèle organisation-
nel de leur production. Sans oublier
le risque climatique qui va aussi
dans ce sens.n

No n. Le repli des marchés ne s’est
opéré que ces derniers jours. Il n’en
demeure pas moins que c’est un ris-
que financier qui se rajoute dans un
contexte de gonflement des dettes
de moindre qualité. Nous avons déjà
alerté sur cette tendance. La fai-
blesse des marchés boursiers reflète
une perte de confiance qui nous
inquiète.

Les banques centrales et les
ministres des Finances peuvent-
ils conjurer cette crise ou en
atténuer les effets? Et comment?
De notre point de vue, nous avons
répertorié quatre domaines d’inter-
vention possible. Ils concernent la
santé, les personnes, les entreprises
et la politique macroéconomique.
Dans le secteur de la santé, il nous
paraît important de s’assurer que le
personnel hospitalier travaille dans
de bonnes conditions et soit correc-
tement rémunéré. Il importe aussi,
comme la FDA aux Etats-Unis,
d’élargir la production de tests et la
recherche de médicaments. Et il faut
promouvoir les bons comporte-
ments. Pour les personnes, en parti-
culier les salariés, il faut encourager
toutes les formes de travail aux heu-
res réduites comme l’avait fait l’Alle-

LAURENCE BOONE
Economiste en chef
de l’OCDE

« Les banques
centrales peuvent
envoyer un signal.
[...] Il est vital
de ne pas ajouter
une crise financière
à une crise
de santé. »

RETROUVEZDOMINIQUE SEUX
DANS «L’ÉDITOECO »
À7H
DULUNDIAUVENDREDI

SUR


Richard Hiault
@RHIAULT


Déjà peu vaillante en début d’année,
la croissance mondiale se trouve
maintenant sérieusement compro-
mise par l’é pidémie de coronavirus.
En présentant ses nouvelles prévi-
sions, lundi à Paris, l’Organisation
de coopération et de développe-
ment économiques (OCDE) donne
une première évaluation des effets
de cette crise sanitaire.


Tout en se montrant prudente
face à une situation qui évolue rapi-
dement de jour en jour. Comme l’a
souligné Laurence Boone, écono-
miste en chef de l’organisation, les
calculs ont été arrêtés à partir des
données disponibles en début de
semaine dernière. Le r ecul d es mar-
chés financiers, ces derniers jours,
n’a pas été pris en compte, ni les cas
de coronavirus apparus depuis une
semaine. Or, chaque jour apporte
son lot d’informations inquiétantes
où l’épidémie semble s’étendre de
plus en plus.


Deux scénarios envisagés
A cette réserve près, l’OCDE estime
dans son scénario de base que la
croissance mondiale atteindra 2,4 %
cette année et non 2,9 % comme
espéré en novembre dernier.
Les prévisions pour la Chine ont
été amputées de près d’un point à
4,9 %. « La contraction de la produc-
tion en Chine a eu des effets dans le
monde entier, témoignant de
l’importance c roissante du p ays dans
les chaînes d’approvisionnement


La situation évolue
rapidement et chaque
jour apporte
son lot d’informations
inquiétantes.

ÉPIDÉMIE


Un G7 Finance
convoqué

Le département du Trésor
américain a confirmé,
lundi, une réunion télé-
phonique des ministres
des finances et des
banquiers centraux du G7.
Elle se tiendra ce mardi.
Auparavant, le ministre
des Finances français,
Bruno Le Maire, avait
évoqué une telle réunion
« pour coordonner » les
réponses du G7 à la crise.

ÉVÉNEMENT


Mardi 3 mars 2020 Les Echos

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