Les Echos - 03.03.2020

(Dana P.) #1

04 // ÉVÉNEMENT Mardi 3 mars 2020 Les Echos


Solveig Godeluck,
avec Grégoire Poussielgue

@Solwii


Lundi, le coronavirus a fait un troi-
sième mort en France, une octogé-
naire résidant à Crépy-en-Valois.
Cette commune de l’Oise est située
dans l’un des trois départements où
sont apparues ces derniers jours
des contaminations en grappe (ou
« clusters »), avec la Haute-Savoie,
et, depuis lundi, le Morbihan. En
l’espace d’un week-end, le nombre
de patients infectés a bondi de
moins de 20 à plus de 130.
Pour les Français, le point de bas-
cule est atteint : le moment où cha-
cun peut voir sa vie quotidienne
impactée par le virus, du fait des
interdictions de voyager prononcées
par leurs entreprises, du confine-
ment imposé à certains travailleurs
ou à leurs enfants scolarisés, et de
l’annulation de grands événements.
Le Salon du livre a été annulé à son
tour, après le semi-marathon de
Paris, et le Louvre est fermé en rai-
son de l’exercice par les salariés de
leur droit de retrait.


Réponse proportionnée
Dans les clusters, les mesures sont
plus drastiques encore. En Savoie,
les vacances scolaires ne sont pas
terminées ; mais dans l’Oise et le
Morbihan, près de 34.000 élèves
n’ont pas pu se rendre à l’école.
Le ministre de l’Education natio-
nale, Jean-Michel Blanquer, a
confirmé que le Centre national
d’enseignement à distance allait
mettre à disposition des enfants
déscolarisés son module « Ma
classe à la maison ».
Par ailleurs, le gouvernement a
demandé lundi au Conseil consul-
tatif national d ’éthique d e rendre un
avis sur les éventuelles « mesures de
santé publique contraignantes qui


pourraient être prises dans le cadre
de la lutte contre l’épidémie » , a
révélé « La Croix ». Et le gouverne-
ment a évoqué de possibles restric-
tions de transports en commun.
Emmanuel Macron lui-même a
modifié son agenda hebdoma-
daire : il ne se rendra pas au dîner
du Conseil représentatif des institu-
tions juives de France (qui a été
reporté) et a annulé son déplace-
ment dans le Gers. « Nous ne devons
pas générer nous-mêmes l’augmen-
tation d es risques en exposant plus d e
gens. Et nous devons aussi prendre
en compte l’émotion des Français,
même si la réalité est différente de
leur perception », justifie un minis-
tre. L es déplacements des membres
du gouvernement sont déjà limités
du fait de la période de réserve,
avant le scrutin municipal.
Maintenant que l’épidémie de
coronavirus est déclarée dans
l’Hexagone, les hôpitaux sont sous
les feux des projecteurs : tiendront-
ils le choc si le nombre de patients
hospitalisés monte en flèche? Le
changement de stratégie de l’Assis-
tance publique-Hôpitaux de Paris,
qui a décidé dimanche de ne plus
hospitaliser systématiquement les
patients atteints du coronavirus,
mais uniquement les personnes f ra-
giles, âgées, ou les cas graves, remet
en question la façon dont a été géré
le coronavirus jusqu’à présent.

Unité d’hospitalisation
dédiée à Bordeaux
L’imp ératif semble être devenu de
désengorger les services, mais
aussi, au-delà des hôpitaux, d’adop-
ter une réponse au cas par cas, pro-
portionnée au risque. Parce qu’une
économie ne peut pas être complè-
tement à l’arrêt. Cela ressemble, au
moins en région parisienne, au
stade 3 de l’épidémie, même si offi-
ciellement le pays est encore au

stade 2, celui de l’endiguement.
Alors que les Français s’interro-
gent, le Premier ministre Edouard
Philippe a voulu montrer la mobili-
sation du gouvernement et du sys-
tème de santé en passant l a matinée
de lundi avec des hospitaliers. Avec
Olivier Véran, ils ont visité le centre
hospitalier universitaire Pellegrin à
Bordeaux, qui a accueilli le premier
cas sur le territoire français, le
23 janvier, et qui soigne deux autres
malades actuellement.
Ce CHU référent pour le corona-
virus présente la particularité
d’avoir ouvert i l y a une semaine une
unité d’hospitalisation dédiée, dans

un hangar de 600 mètres carrés
attenant à l’hôpital. Tout le monde
peut s’y faire dépister et suivre en
cas d’infection, sans se mélanger
avec les patients ordinaires. « On
accueille 20 personnes et on analyse
jusqu’à 60 tests de virologie par jour,
dont certains nous sont envoyés par
d’ autres établissements. Nous avons
aussi aménagé des salles de déconta-
mination, avec des douches, en cas de
besoin » , explique Yann Bubien, le
directeur général du CHU. Un par-
cours séparé qui fait encore figure
d’exception dans le système hospi-
talier, mais qui pourrait inspirer
d’autres établissements.n

Les pouvoirs publics adaptent leur

stratégie pour endiguer le coronavirus

l Un 3
e
décès a eu lieu en France.


lLa stratégie des acteurs du système


de santé balance entre endiguement


du virus et préservation de l’activité


économique.


Maintenant que l’épidémie de coronavirus est déclarée dans l’Hexagone, les hôpitaux sont sous les feux des projecteurs. La semaine
dernière, le chef de l’Etat s’était rendu à la Pitié-Salpêtrière. Phot o Martin Bureau/AP/Sipa

Se laver les mains


et changer de pied


LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE

Cécile
Cornudet

O


n n’a pas tous les jours
une pensée
compatissante pour
les communicants politiques :
ce jour-là est arrivé. Ils doivent
se montrer au chevet des
Français sans diffuser
la panique. Marcher sur une
crête, et être prêts à changer
de pied. L’imprécision est
l’ennemie. Si Emmanuel
Macron allège son agenda,
le bruit aussitôt court d’une
contamination ou d’une peur.
Président confiné? En aucun
cas, il se consacre au sujet,
doit préciser l’Elysée. Dans
ces moments de crise, il faut
parler, informer et donner les
consignes. L’équipe s’y attelle,
mais bute sur la défiance.
Parole publique égale parole
contestée. Réserver le port du
masque aux seuls soignants
n’est-il pas la meilleure façon
d’épuiser les stocks? Les
pharmacies sont dévalisées.
Les experts à la rescousse :
toute parole est appuyée
sur celle des médecins.
Dans ces moments, il faut
penser à tout, anticiper,
prévoir le pire et le tout petit
détail. Ce samedi de Conseil
des ministres, plusieurs
ministres plaident pour
un report des élections
municipales. Non, il faut tout
faire pour tenir, défendent
les deux têtes de l’exécutif, « il y

va de l’intérêt démocratique
du pays ». Va pour les élections.
Mais comment gérer ce stylo
unique qui sert à signer
les listes d’émargement,
s’inquiète un ministre?
Le plus dur est à venir.
Après quinze jours de
consignes qui commencent
à infuser, l’équipe se prépare
à conseiller... exactement
l’inverse. Fini le confinement,
vive la circulation! Les écoles
fermées quand l’épidémie
était embryonnaire
pourraient rouvrir lorsqu’elle
se généralisera.
Contre-intuitif? Certes,
mais indispensable. Au stade 1,
il fallait empêcher le virus
d’arriver en France, d’où
le confinement des élèves
venant d’Italie. Au stade 2,
il faut éviter qu’il circule
en France. Cette fois, ce sont
les élèves de l’Oise qui doivent
rester chez eux. Au dernier
stade, il faudra faire
fonctionner le système
de soins et donc empêcher
le blocage du pays. Ne pas
confiner les élèves pour que
leur maman infirmière puisse
aller travailler à l’hôpital,
ne pas bloquer les transports
pour que le matériel sanitaire
arrive à destination. Ordres
et contre-ordres, adaptation
au local, et sans doute
préoccupations économiques,
elles, beaucoup moins
avouables... Autant dire qu’il
y a parfois un vrai confort
à revenir aux messages
basiques. « Il faut se laver les
mains toutes les heures pendant
20 à 30 secondes » , déclare
Edouard Philippe à Bordeaux.
[email protected]

Après quinze jours de consignes pour se protéger du
coronavirus, les pouvoirs publics vont devoir
changer de message. Voici pourquoi.

Dessins Kim Roselier pour

« Les

Echos »

pas d’homme plus charmant et atten-
tionné » , témoigne l’un de ses amis
dans l’administration.
Son truc à lui, c’est plutôt la vira-
lité. A l’internat, il a choisi la spécia-
lité « médecine de santé publique »,
alors considérée comme une disci-
pline mineure. Il s’est très tôt inté-
ressé aux épidémies et a été pris en
stage à la Direction générale de la
santé (DGS), avant d’être recruté au
cabinet du ministre Bernard Kouch-
ner à la fin du quinquennat Jospin.
Sa thèse de médecine portait sur les
maladies à prion, alors que l a crise de
la vache folle n’avait pas encore dégé-
néré en maladie de Creutzfeld Jacob.
Plus tard, au sein du cabinet de la
ministre de la Santé, Marisol Tou-
raine, comme conseiller en sécurité
sanitaire, il a dû faire face a ux risques
Ebola, Zika, Chikungunya.
De la connaissance des mécanis-
mes de diffusion virale aux réseaux
sociaux, il n’y a qu’un pas. Depuis
son arrivée à la Direction générale
de la santé en 2018, Jérôme S alomon
a donné un coup de jeune à la com-
munication, en démultipliant les
interventions via Facebook, Twitter
ou LinkedIn. Réservé et discret, le
haut fonctionnaire n’est toutefois
pas allé jusqu’à orner son profil Lin-
kedIn de sa photo. « Il n’a pas un ego
encombrant » , constate l’un de ses
proches. Ce musicien de bon

du service sanitaire obligatoire pour
les étudiants en médecine, en 2017.
Jérôme Salomon a aussi mis en
musique les nouvelles obligations
vaccinales des moins de deux ans, et
doit accompagner les fumeurs dans
l’arrêt du tabac alors que le prix du
paquet de cigarettes est progressive-
ment porté à 10 euros.

De Notre-Dame à Lubrizol
Et puis il y a la thématique mon-
tante de la gestion « santé-environ-
nement », comme on dit au minis-
tère : les émanations de p lomb s uite
à l’incendie de Notre-Dame de
Paris, les gaz toxiques autour de
l’usine Lubrizol, etc. Ces catastro-
phes environnementales sont
désormais largement abordées
sous l’angle de la santé.
Enfin, parmi ses attributions,
Jérôme S alomon parle au nom d e la
France dans les enceintes interna-
tionales de santé. « Il adore l’Organi-
sation mondiale de la santé, où il a de
nombreux contacts du fait de son
ancienneté dans les cabinets ministé-
riels » , témoigne Benoît Vallet, son
prédécesseur à la DGS, qui l’a vu
plaider auprès de la ministre Mari-
sol Touraine pour qu’elle se rende à
l’Assemblée mondiale de la Santé.
Une diplomatie sanitaire qui a de
l’avenir, quand la crainte de la pan-
démie assombrit l’horizon.n

Jérôme Salomon, l’homme-rempart


Solveig Godeluck
@Solwii


Le nouveau François Molins, c’est
lui. Depuis qu’a éclaté la crise du
coronavirus fin janvier, Jérôme
Salomon incarne la République qui
fait face. A la façon du procureur
qui annonçait les mauvaises nou-
velles au plus fort des attentats de
2015, ce médecin fait figure d’hom-
me-rempart contre l’épidémie. Il
tient un point presse quotidien, o ù il
relate la progression du nombre de
malades dans l’Hexagone et délivre
les consignes.
Point de raideur, pourtant, chez le
directeur général de la Santé. En
conférence de presse, le quasi-quin-
qua au visage rond et au crâne lisse
déroule ses exposés tranquillement,
façon causerie. Ce Parisien de nais-
sance n’a ni l’accent chantant, ni la
diction un brin empesée de l’ex-pro-
cureur de la République. « Ce n’est
pas la figure du directeur d’adminis-
tration centrale tueur. Je ne connais


Le directeur général
de la Santé a pour mission
de protéger la santé
des Français. Cet inconnu
du grand public est en train
de se faire un visage avec
sa conférence de presse
quotidienne.


niveau, qui s’est f ait livrer chez lui un
piano demi-queue par la fenêtre,
préfère jouer collectif plutôt que de
se mettre en avant. En dépit de ces
préventions, le stratège de l ’endigue-
ment du coronavirus est en train de
se faire un visage. Mais les Français
savent-ils seulement ce que recou-
vrent ses fonctions? Sa mission à la
DGS consiste en un mot à protéger
la santé des Français. C’est lui qui
pilote au ministère de la Santé, pour
le compte d’Agnès Buzyn d’abord,
puis d’Olivier Véran à présent, l’éla-
boration et l e suivi de la stratégie Ma
Santé 2022 – fin d u numerus
clausus pour les médecins, création
d’assistants médicaux, etc.
Mais la priorité de ce quinquen-
nat, en santé, c’est la prévention. Il a
soufflé à Emmanuel Macron l’idée

« Il adore
l’Organisation
mondiale
de la santé, où
il a de nombreux
contacts. »
BENOÎT VALLET
Directeur général de la Santé
avant Jérôme Salomon
Free download pdf