Les Echos - 03.03.2020

(Dana P.) #1
Dans ce coin pauvre d’Oakland,
où plus de la moitié des habitants
sont d’Amérique centrale et
latine, les affiches « Unidos con
Bernie » se multiplient dans les
vitrines des taquerias et bodegas
du centre-ville. « Quasiment tous
les habitants à qui nous parlons
sont pro-Bernie, à l’exception de
quelques personnes qui sont pour
Elizabeth Warren et Joe Biden » ,
assure Kadan Peters, une syndica-
liste qui forme les bénévoles en
anglais et en espagnol depuis le
début de l’année.

Un quart des électeurs
inscrits
Av ec 415 délégués directs en jeu,
la Californie est l’Etat le plus
important du Super Tuesday. Ber-
nie Sanders espère y finir en tête
grâce au vote des Latinos, comme
au Nevada, où il a gagné 70 % des
votes de la deuxième minorité de
l’Etat, selon une analyse d’Ucla.
Dans le Golden State, ils représen-
tent le groupe ethnique le plus
important (39 % de la popula-

tion), devant les Blancs, et un
quart des électeurs inscrits sur les
listes électorales.
Pour gagner leurs bulletins,
l’équipe de Bernie Sanders a
déployé t rès tôt une armée de mili-
tants grâce au réseau développé
lors de la primaire démocrate de


  1. « Dès 2018, nous avons anti-
    cipé que Bernie Sanders allait se
    représenter et nous avons com-
    mencé à former des coalitions dans
    tout l’Etat en identifiant les leaders
    sur les questions qui touchent les
    Latinos, comme le logement et
    l’environnement »
    , raconte Carlos


Marroquin, qui a cofondé le
groupe California Latinos For Ber-
nie en 2015. Le candidat de l’aile
gauche a aussi multiplié les mee-
tings dans les villes avec une large
population latino, concluant sa
tournée dimanche à San José et
Los Angeles, où 25.000 partici-
pants étaient présents.
Dans la foule, une large propor-
tion de jeunes Latinos, qui esti-
ment que le programme du séna-
teur du Vermont répond à leurs
problèmes. « Ils ne peuvent pas se
permettre d’aller à l’université et
cumulent deux ou trois jobs au
salaire minimum », souligne Car-
los Marroquin. Le groupe reste en
bas de l’échelle socio-économique
dans l’Etat le plus riche, mais aussi
le plus inégalitaire du pays, avec un
revenu médian de 56.200 dollars
pour un foyer latino en 2016, con-
tre 96.400 dollars pour les Blancs,
selon une étude de l’Oakland’s Insi-
ght Center for Community Develo-
pment. Si l’âge avancé de Bernie
Sanders, soixante-dix-huit ans,
rend certains perplexes, beaucoup

se sont pris d’affection pour lui.
« Nous le surnommons “ Tio Bernie”
[Tonton Bernie]. Dans toutes les
familles latinos, il y a un oncle grin-
cheux qui parle fort, mais au final,
c’est lui qui protège la famille »,
glisse Christian Arana, directeur
des politiques publiques de la
Latino Community Foundation.
Ses déclarations sur les bienfaits
du programme d’alphabétisation de
Fidel Castro pourraient cependant
lui coûter une partie des Latinos
plus âgés, et pas seulement chez les
immigrés cubains installés en Flo-
ride. A Fruitvale, les propriétaires
d’une pharmacie d’origine mexi-
caine ont récemment décidé de ne
pas voter comme leur fille, militante
pro-Bernie. « J’ai coché Michael
Bloomberg sur mon bulletin. J’aime
les i dées d e Bernie sur l’accès à la santé
pour tous mais je ne veux pas que
nous prenions le chemin de Cuba. J’y
ai été et n’y ai vu qu’une grande pau-
vreté » , met en avant Laura.

(


Lire l’enquête
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En Californie, les Latinos se mobilisent pour « Tio Bernie »


Anaïs Moutot
@AnaisMoutot
—Correspondante à San Francisco


Pa s besoin de préciser à Angela
Pardo où voter. Depuis le perron
de sa maison de Fruitvale (Califor-
nie), la grand-mère de soixante-
neuf ans pointe le bâtiment où elle
va glisser son bulletin pour Bernie
Sanders mardi. « Nous sommes
soixante dans ma famille et nous
allons tous voter pour lui »
, annon-
ce-t-elle fièrement à la militante
du candidat social-démocrate
venue sonner à sa porte ce diman-
che midi. La retraitée d’origine
mexicaine a été convaincue par
ses propositions sur l’immigra-
tion après « quatre années terribles
de séparation des familles »
sous
l’administration Trump.


Après le Nevada,
où il a gagné 70 % des votes
des Latinos, le sénateur
social-démocrate espère
confirmer l’essai
en Californie.


Les élections


s’acheminent


vers un record


de dépenses


Vé ronique Le Billon
@VLeBillon
—Bureau de New York

De l’argent, par seaux entiers. La
campagne présidentielle améri-
caine s’achemine tout droit vers un
nouveau record de dépenses. A huit
mois de l’élection présidentielle
prévue le 3 novembre, les candidats
ont déjà dépensé p lus de 1,4 milliard
de dollars (1,3 milliard d’euros),
selon les chiffres de la Commission
électorale fédérale (FEC). Pour
comparer, les candidats à la prési-
dentielle de 2017 en France avaient
collectivement dépensé... 74 mil-
lions d’euros, selon la Commission
des comptes de campagne.
La présence de 3 milliardaires
dans la campagne américaine expli-
que largement ces records. Fonda-
teur de l’agence d’informations
financières qui porte son nom,
Michael Bloomberg a prévenu qu’il
dépenserait sans limite pour battre
Donald Trump. Il a déjà signé des
chèques pour près de 410 millions de
dollars, selon la FEC. C’est même
davantage, selon Advertising Analy-
tics, qui trace les montants dépensés
en publicités.

L’ hérita ge d’Obama
Un autre milliardaire, Tom Steyer, a
dépensé plus de 250 millions de dol-
lars de sa fortune personnelle, avant
de jeter l’éponge. Le troisième mil-
liardaire – Donald Trump – a, lui,
engagé 133 millions de dollars (sur
près de 220 millions de dollars réu-
nis), mais ses dépenses de campagne
sont issues de levées de fonds auprès
de ses partisans et de riches dona-
teurs. Pour lever des fonds, les candi-
dats démocrates disposent d’un
atout sur les républicains : une plate-
forme commune de paiements en
ligne, ActBlue, qui détient déjà les
coordonnées bancaires de près de
9 millions de donateurs.
Les flots d’argent dans la campa-
gne n’ont pas toujours été à ce niveau.
C’est Barack Obama qui a impulsé la
tendance en 2008, en préférant se
passer du financement public
(85 millions de dollars) pour s’affran-
chir des plafonds de dépenses. Une
stratégie qui lui avait permis au final
d’amasser près de 800 millions de
dollars... Avec 1,8 milliard de dollars
levés, la campagne 2008 détient jus-
qu’à présent le record.
Le sujet est devenu un marqueur
politique entre candidats démo-
crates. Comme Bernie Sanders, la
sénatrice Elizabeth Warren a
fondé sa campagne sur les petits
donateurs, fustigeant ceux qui
« achètent l’élection » comme
Michael Bloomberg. Si l’ancien
maire de New York n’allait pas en
finale, il pourrait néanmoins met-
tre son argent à disposition
d’autres candidats. L’équipe de Ber-
nie Sanders refuse aujourd’hui
cette éventualité, mais le
modéré Joe Biden, à la peine dans
les levées de fonds, pourrait bien
avoir besoin de financements.n

A huit mois de l’élection, les
candidats ont déjà dépensé
plus de 1,4 milliard de
dollars. Le sujet est devenu
un marqueur politique
entre candidats démocrates.

lQuinze Etats et territoires votent ce mardi et désignent un tiers des délégués démocrates qui choisiront le candidat.


lFace à la montée de Bernie Sanders, l’establishment démocrate hésite quant à la stratégie à adopter.


Présidentielle américaine :

un Super Tuesday décisif

Nicolas Rauline
@nrauline
—Bureau de New York


C’est l’heure de vérité pour le Parti
démocrate. Si les sondages et la ten-
dance des premières primaires se
confirment, Bernie Sanders pour-
rait bien prendre une avance déci-
sive lors du Super Tuesday, organisé
ce mardi à travers tout le pays. Lors
de ce rendez-vous, ce sont 15 Etats et
territoires qui votent, dont deux des
trois plus grands, la Californie et le
Texas, qui apporteront à la conven-
tion démocrate de juillet le plus de
délégués (avec New York). Au total,
un tiers des délégués seront attri-
bués sur cette seule journée.
Cette année, ce Super Tuesday
revêt encore plus d’importance. Il
s’accompagne d’une reconfiguration
du paysage, après l’abandon de Tom
Steyer, Pete Buttigieg et Amy Klobu-
char, qui devait se rallier lundi à Joe
Biden. Pour ce dernier, le moment est
décisif. L’ex-favori des sondages a
connu un début de campagne diffi-
cile. Sa victoire en Caroline du Sud et
le retrait de candidats proches de lui
idéologiquement, lui redonnent de
l’espoir, et il est parvenu à lever
10 millions de dollars ce week-end
(plus que sur le seul mois de janvier).
Quant à Michael Bloomberg, il fait
son entrée d ans le scrutin, après avoir
déjà dépensé 500 millions de dollars.


La Californie objet
de toutes les attentions

Au tre facteur : le vote en Californie.
Le scrutin y a été avancé par rapport
aux années précédentes, ce qui
donne un nouveau pouvoir à l’un des
bastions démocrates. Ce mardi, ce
sont 415 délégués qui y sont en jeu.
Pour Bernie Sanders, ce pourrait
être le jackpot. Les derniers sonda-
ges le donnent vainqueur, avec plus
de 30 % des voix. Aucun autre candi-
dat n’est assuré d’atteindre les 15 %
nécessaires pour obtenir des délé-
gués. En l’état, « Bernie » empoche-
rait donc la quasi-totalité des
415 délégués.
Face à un possible « raz-de-marée
Bernie », l’establishment démocrate
semble hésiter. L’ampleur du phéno-
mène semble avoir pris de court la


ÉTATS-UNIS


direction du parti, plus favorable à
l’un des candidats modérés. « La
direction du parti est divisée, entre
ceux qui pensent qu’il faut s’opposer à
Sanders et ceux pour qui il peut être
une recette aux maux d u parti, un peu
comme le trumpisme pour le Parti
républicain » , indique Célia Belin,
politologue à la Brookings Institu-
tion et auteure du livre « Des démo-
crates en Amérique. L’heure des
choix face à Trump » (coédition
Fondation Jean-Jaurès - Fayard.

Le sénateur du Vermont a certes
été la cible de toutes les attaques, lors
du dernier débat télévisé. « Mais Pete
Buttigieg ou Joe Biden ont contesté
avant tout son éligibilité, ils ont fait
attention à ne pas abîmer l’avenir, n ote
Célia Belin. Seule la campagne de
Bloomberg est très agressive et le parti
n’est p as très à l’aise avec cela. » Dans le
camp Bloomberg, on a testé l’idée
d’une convention ouverte ou d’une
convention contestée, en juillet à
Milwaukee. Si Bernie Sanders
n’obtient pas la majorité absolue des
délégués, les super-délégués (des
cadres du parti) entreront alors en
jeu. Et ils ne lui sont pas favorables.
Le « New York Times » a récemment
parlé à 93 d’entre eux : la quasi-tota-
lité refuserait de donner la nomina-
tion à Sanders sans majorité absolue.
« Ce serait un risque énorme pour
les démocrates , estime toutefois Célia
Belin. Cela ne pourrait être envisagea-
ble que si quatre ou cinq candidats
étaient dans un mouchoir de poche. Si
l’écart était trop grand avec Sanders, le
choix serait très difficile à légitimer. »
Dans l’ère moderne des primaires, ce
type de convention n’a jamais eu lieu.
La dernière fois, c’était en 1952 et le
candidat ainsi nommé avait échoué
lors de l’élection générale.

(


Lire l’éditorial
de Lucie Robequain
Page 15

Si Sanders n’obtient
pas la majorité
absolue des délégués,
les super-délégués
entreront alors en jeu.
Et ils ne lui sont pas
favorables.

« Quasiment
tous les habitants
à qui nous parlons
sont pro-Bernie. »
KADAN PETERS
Syndicaliste

MONDE


Mardi 3 mars 2020 Les Echos

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