Les Echos - 03.03.2020

(Dana P.) #1

Les Echos Mardi 3 mars 2020 MONDE// 09


EUROPE


Catherine Chatignoux
@chatignoux


Depuis samedi, c’est la panique au
nord-est de la Grèce. Les déclara-
tions du Premier ministre turc,
Recep Tayyip Erdogan, indiquant
qu’il n’empêcherait plus les réfugiés
de franchir la frontière vers l’Europe
n’ont pas tardé à produire leurs
effets. Des milliers de réfugiés, sou-
vent amenés de différentes villes
turques dans des autocars turcs, se
sont retrouvés à proximité du poste
frontière de Pazarkule. Durant le
week-end, plus de 10.000 migrants,
Afghans, Congolais et Syriens, se
sont retrouvés nez à nez avec les for-
ces de police grecques à Kastanies,
déterminées à les empêcher
d’entrer sur le sol grec. Quelques
canots ont toutefois réussi à traver-
ser le fleuve frontalier Evros tandis
qu’un demi-millier d’hommes et de
femmes sont parvenus à accoster
sur l’île de Lesbos.
Depuis 2015, année où plus d’un
million de réfugiés avaient traversé la
Grèce pour remonter vers le nord de
l’Europe, l’Union européenne et les
pays de première entrée se sont pré-


Le gouvernement de Kyriákos Mit-
sotákis a annoncé dès vendredi un
doublement des patrouilles terres-
tres et des gardes-côtes, le déploie-
ment de l’armée et suspendu toute
demande d’asile pendant un mois.
Elle a reçu lundi le soutien de l’agence
européenne de contrôle des frontiè-
res Frontex qui a lancé une opération
rapide de soutien. Dans les 5 jours, les
Etats européens devraient envoyer
des hommes pour accompagner les
garde-côtes grecs.

3,6 millions de réfugiés
Cette nouvelle situation de crise aux
frontières de l’Europe est née de
l’offensive meurtrière de Damas
pour reprendre la province d’Idleb,
au nord-ouest de la Syrie que le
régime de Bachar A l Assad considère
comme le dernier bastion djihadiste.
Ces attaques poussent à nouveau des
milliers de Syriens à se réfugier en
Turquie, qui accueille déjà plus de
3,6 millions de réfugiés. Recep
Tayyip Erdogan rêvait de créer dans
cette région une zone tampon qui,
tout en éloignant ses ennemis kur-
des, permettrait aux Syriens installés
chez elle parfois depuis le début de la
guerre en Syrie de regagner leur p ays.
Faute d’y parvenir, le président
turc a mis à exécution les menaces

teur de la Malaisie moderne,
mais elle réduit considérable-
ment les chances d’un passage
de relais avec son successeur
désigné, Anwar Ibrahim.
Mahathir Mohamad, qui
était, jusqu’à la nomination de
Muhyiddin, le plus vieux diri-
geant en exercice au monde,
avait proposé de former un gou-
vernement d’union. En
vain. Depuis son retour au pou-
voir en 2018, le vieil homme n’a
pas réussi à convaincre. Lui qui
avait déjà dirigé le pays de 1981 à
2003 a retrouvé la lumière
quinze ans plus tard grâce à la
victoire du Pacte de l’espoir, une
coalition qui comprenait nom-
bre de ses anciens opposants,
parmi lesquels Anwar Ibrahim,
longtemps son ennemi juré.

Les relations houleuses
entre les deux hommes ont
dominé la vie politique en
Malaisie depuis plus de vingt
ans. Leur dernière alliance,
après de nombreuses péripé-
ties, était destinée à renverser,
en 2018, l’ex-Premier ministre
Najib Razak, lui-même empê-
tré dans un énorme scandale
de détournement de fonds.
La coalition Pacte de l’espoir
a implosé, il y a une semaine,
lorsqu’un groupe de ses parle-
mentaires s’est joint à des partis
d’opposition pour barrer la
route du pouvoir à Anwar Ibra-
him et tenter de former un gou-
vernement. L’initiative ayant
échoué, les deux rivaux ont
tenté chacun de leur côté de
jouer leur carte, en vain.
Muhyiddin Yassin en revan-
che a rapidement engrangé des
soutiens, dont celui de l’Umno
(Organisation nationale des
Malais unis), le parti historique
de l’ancien Premier ministre
Najib Razak et, avant, celui de
Mahatir, et d’un parti islamiste
radical. Muhyiddin Yassin a été
membre de l’Umno depuis des
décennies et a occupé plusieurs
postes de haut n iveau. Il a été P re-
mier ministre adjoint dans le
gouvernement de Najib Razak,
avant d’être limogé à cause de ses
critiques contre la corruption.n

Michel De Grandi
@MdeGrandi

Clap de fin pour Mahathir
Mohamad, dont la démission,
le 24 février, a plongé le pays
dans l’incertitude politique.
L’ancien homme fort de la
Malaisie est remplacé par
Muhyiddin Yassin, l’ancien
ministre de l’Intérieur désor-
mais chef du gouverne-
ment. L’annonce a été faite par
des responsables du Palais
royal. A peine nommé, Muhyid-
din Yassin, soixante-douze ans,
a prêté serment. « Le processus
de désignation d’un Premier
ministre ne peut pas être différé
parce que le pays a besoin d’un
gouvernement pour le bien-être
du peuple et de la nation » , avait
fait valoir le palais.

Mahatir, le plus vieux
dirigeant du monde
L’une de ses priorités va aller à
la relance de l’économie qui
connaît son rythme de crois-
sance le plus lent de ces dix der-
nières années. Même si le PIB
continue de croître au-dessus
de 4 %, l’économie reste très l iée
à la Chine. En outre, le c oronavi-
rus a fortement ralenti le tou-
risme, ce qui va inévitablement
peser sur la croissance. L’indice
boursier apparaît comme l’un
des moins performants de la
zone depuis l’élection de Maha-
tir en 2018. Quant à la monnaie,
elle a atteint la semaine der-
nière son plus bas niveau
depuis deux ans.
Cette annonce est un boule-
versement d ans le paysage politi-
que. Non seulement elle marque
la fin du pouvoir de Mahathir
Mohamad, 94 ans, considéré p ar
certains comme le père fonda-

ASIE


L’ inoxydable
Premier ministre,
Mahathir
Mohamad, a dû
laisser sa place
à l’ancien ministre
de l’Intérieur,
Muhyiddin Yassin.

Déjà à la peine,
l’économie du pays
va devoir amortir
le contre-choc
du coronavirus.

Malaisie : le défi


économique


du nouveau


Premier ministre


Même si le PIB
continue de croître
au-dessus de 4 %,
l’économie reste
très liée à la Chine.

parés à un nouveau choc de ce type.
La Bulgarie, voisine de la Turquie, a
érigé un mur long de plus de 120 kilo-
mètres pour bloquer les migrants.
A Athènes où s’est i nstallé e n juillet
un gouvernement conservateur,
décidé à ne pas voir se reproduire la
crise migratoire de 2015, l’attitude
s’est durcie vis-à-vis des migrants. A
Lesbos, où 40.000 demandeurs
d’asile sont toujours entassés, la
population refuse d’accueillir un sur-
plus de migrants. Dimanche, des
habitants ont incendié un centre
d’accueil inoccupé de migrants pour
éviter qu’il soit à nouveau utilisé.

« Depuis que nous
avons ouvert
nos frontières,
le nombre de ceux
qui se sont dirigés
vers l’Europe
a atteint
les centaines
de milliers. »
RECEP TAYYIP ERDOGAN
Premier ministre turc

en bref


L’ Italie enregistre une croissance
faible de 0,3 % en 2019

ÉCONOMIE L’Italie a enregistré une croissance de 0,3 % e n 2019,
en net recul par rapport à la hausse de 0,8 % de 2018 et surtout
celle de 1,7 % de 2017, selon l’Institut national des statistiques
(Istat). Le chiffre de la croissance pour l’an passé est le pire
connu en Italie depuis 2014 quand la hausse du PIB avait été
nulle. Malgré sa faiblesse, ce chiffre marque néanmoins une
légère amélioration par rapport à une première estimation de
+0,2 % communiquée fin janvier par l’Istat.

qu’il proférait depuis des mois. En
laissant fuir les migrants vers
l’Europe, il met la pression sur ses
dirigeants et sur l’Otan qu’il accuse
de ne rien faire p our l’aider dans son
entreprise expansionniste « Depuis
que nous a vons ouvert n os frontières,
le nombre de ceux qui se sont dirigés
vers l’Europe a atteint les centaines
de milliers. Bientôt, ce nombre
s’exprimera en millions », a affirmé
lundi le dirigeant turc.
« Personne ne peut faire chanter
ou intimider l’Union européenne », a
rétorqué Margaritis Schinas, com-
missaire européen aux Migrations.
La chancelière allemande Angela
Merkel a jugé « inacceptable » q ue l a
Turquie fasse pression sur l’Union
européenne « sur le dos des réfu-
giés ». Elle attend de la Turquie
qu’e lle respecte l’accord de 2016
visant à empêcher les migrants
d’atteindre l’Europe. Pour mieux
convaincre son président, les Euro-
péens ont fait savoir qu’ils étaient
disposés à « accroître encore leur
soutien financier à la Turquie » :
6 milliards d’euros ont déjà été
mobilisés en faveur de l’aide aux
réfugiés (dont 3,2 milliards versés
aux ONG). Mais i l semble que le pré-
sident turc préférerait avoir la
haute main sur ces subsides.n

lLa Grèce fait face à un afflux de migrants en provenance de Turquie.


lL’ Europe n’a pas de réponse collective à proposer.


Une nouvelle crise migratoire


aux frontières de la Grèce


que les deux négociations seront
menées en parallèle.
« Le NHS [le système public de
santé britannique] ne sera pas sur la
table. Le prix auquel il paie les médi-
caments ne sera pas sur la table. Les
services qu’il f ournit ne seront pas s ur
la table », prévient d’emblée le
Royaume-Uni dans un document
de 184 pages, où il fixe ses objectifs et
lignes rouges. Pas question d’offrir
cet actif national aux appétits de
l’ogre américain. « Nous ne transige-
rons pas sur le niveau élevé de nos
normes sur l’environnement, le bien-
être animal et la sécurité alimen-
taire », ajoute le texte. Là où certains
voyaient déjà le pays a ccueillir à bras
ouverts les poulets javellisés et les
bœufs aux hormones américains.

Exportations de cheddar
et de whisky
En revanche, Londres espère con-
vaincre Washington de baisser ses
droits de douane pour ouvrir de
nouveaux débouchés à ses cons-
tructeurs automobiles, entreprises

textiles, fabricants de céramique et
industrie créative. Idem pour ses
producteurs de produits laitiers, là
où ses exportations de cheddar
sont actuellement taxées à hauteur
de 17,6 %. Le pays espère aussi la
levée des droits punitifs imposés
par l’administration Trump sur le
whisky écossais et l’acier, en
réponse aux aides d’Etat européen-
nes octroyées à Airbus. Il nourrit
enfin de grandes ambitions sur le
commerce de data, l es technologies
quantiques ou encore les voitures
autonomes. « En échangeant des
saumons fumés écossais contre des
chapeaux Stetson, nous o ffrirons des
prix plus bas et un choix plus étendu
à nos consommateurs », a résumé
Boris Johnson dans une de ces for-
mules dont il a le secret.
Le gouvernement de Boris
Johnson reconnaît néanmoins en
filigrane que l’enjeu est de moin-
dre importance qu’avec l’Union
européenne. Les échanges avec les
Etats-Unis atteignent aujourd’hui
221 milliards de livres, et il espère

les augmenter de 15,8 milliards.
Mais un accord particulièrement
complet ne lui permettrait d’espé-
rer qu’une amélioration de 0,16 %
du PIB britannique à horizon


  1. A titre de comparaison, le
    Brexit assorti d’un accord avec
    l’UE sur le modèle canadien rédui-
    rait le PIB de 4,9 % d’ici à 2025,
    avait estimé fin 2018 le gouverne-
    ment de Theresa May.
    Les ordres de grandeur sont ainsi
    loin d’ê tre équivalents. Les Etats-
    Unis représentent moins de 15 % des
    exportations britanniques de mar-
    chandises, l’UE 45 %. Ils pèsent 21 %
    des exportations de services du
    Royaume-Uni, et l’UE 43 %. Un
    accord de libre-échange avec les
    Etats-Unis représenterait cependant
    une vraie victoire pour les partisans
    du Brexit. Le Royaume-Uni devrait
    fixer ses objectifs de négociation
    pour nouer d’autres accords com-
    merciaux avec l’ Australie, le Japon et
    la Nouvelle-Zélande, l’objectif étant
    de couvrir ainsi 80 % de ses échanges
    commerciaux d’ici à 2022.n


Londres affiche sa fermeté vis-à-vis de Washington


sur l’accord de libre-échange


Getty Images

Alexandre Counis
@alexandrecounis
— Correspondant à Londres


Il n’y a pas qu’avec l’Union euro-
péenne que le Royaume-Uni durcit le
ton en amont des prochaines négo-
ciations commerciales. Londres a
aussi affiché sa fermeté, lundi, vis-à-
vis de Washington. En prenant bien
soin de publier – le jour même de
l’ouverture des discussions avec
Bruxelles – son mandat de négocia-
tion en vue des pourparlers transat-
lantiques qui démarreront ce
mois-ci. Une manière de rappeler


BILATÉRAL


Londres espère
convaincre Washing-
ton de baisser
ses droits de douane
pour ouvrir
de nouveaux débou-
chés à ses entreprises.

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