Le Monde - 08.03.2020 - 09.03.2020

(Marcin) #1

16 |économie & entreprise DIMANCHE 8 ­ LUNDI 9 MARS 2020


0123


1,3 MILLIARD
C’est, en euros, la perte accusée en 2019 par la holding du distributeur
Auchan, en difficulté. La direction attribue cette perte à ses activités en
cours de cession, en Italie et au Vietnam notamment. Le produit des
activités ordinaires du groupe – l’équivalent de son chiffre d’affaires – a
baissé de 1,6 %, à 46,415 milliards. Pour tenter de s’adapter à l’évolu-
tion des habitudes de consommation, le distributeur a lancé un plan vi-
sant à moderniser ses hypermarchés, à accélérer sa numérisation et à
se concentrer sur des magasins de proximité de plus petite taille. – (AFP.)

A É R O N A U T I Q U E
Le Boeing 737 MAX
« fondamentalement
dangereux »
Le 737 MAX de Boeing, cloué
au sol depuis près d’un an, est
un avion « fondamentalement
défectueux et dangereux », a
estimé, vendredi 6 mars, la
commission des transports
du Congrès américain.
Les élus de la Chambre des re­
présentants formulent cinq
critiques principales : les pres­
sions sur les employés de
Boeing pour augmenter la ca­
dence ; des présupposés erro­
nés sur des technologies ma­
jeures ; les dissimulations
d’informations cruciales
auprès du régulateur aérien
(la FAA), les compagnies clien­
tes et les pilotes ; des conflits
d’intérêts ainsi que l’influence
de Boeing sur la FAA. – (AFP.)

M É D I A S
« France-Antilles » :
Xavier Niel améliore
son offre
La société NJJ, holding per­
sonnelle de l’homme d’affai­
res Xavier Niel (actionnaire à
titre individuel du Monde), a
amélioré son offre de reprise
de France­Antilles, le seul
quotidien de Martinique,
Guadeloupe et Guyane, en
proposant de garder 126 des
235 salariés, contre 114 dans sa
première offre, a appris l’AFP,

vendredi 6 mars, auprès de
l’administrateur. Le tribunal
de commerce doit rendre sa
décision le 10 mars. – (AFP.)

F I N A N C E
Helvet Immo : la filiale
de BNP fait appel
La principale filiale crédit de
BNP Paribas fait appel de sa
condamnation pour « prati­
que commerciale trompeuse »
au détriment de plus de 4 600
emprunteurs, pour avoir dis­
simulé les risques liés à ses
prêts toxiques en francs suis­
ses Helvet Immo. « Nous
allons lancer une procédure
pour demander la suspension
de l’exécution provisoire » du
jugement, qui contraint la
banque à verser immédiate­
ment des dizaines de millions
d’euros d’indemnités aux em­
prunteurs, a déclaré Me Ludo­
vic Malgrain. – (AFP.)

C O N J O N C T U R E
Russie : l’inflation
continue de ralentir
L’inflation poursuit son ra­
lentissement en Russie en fé­
vrier, à 2,3 % sur un an, son
plus bas niveau depuis deux
ans, selon les chiffres publiés,
vendredi 6 mars, par l’insti­
tut des statistiques Rosstat.
Après avoir atteint 4,3 %
en 2018, l’inflation annuelle
est repartie à la baisse
en 2019, à 3 %. – (AFP.)

En Allemagne, polémique sur un possible


assouplissement de la règle d’or budgétaire


Le ministre des finances, Olaf Scholz, envisage de contourner le carcan du « frein à l’endettement »


berlin ­ correspondance

O


utre­Rhin, les bons
comptes ne font pas que
de bons amis. Moins de
deux mois après l’annonce par
Berlin d’un excédent budgétaire
record de 13,5 milliards d’euros
pour 2019, une nouvelle querelle
divise la coalition gouvernemen­
tale à propos d’un éventuel assou­
plissement de la règle d’or des
finances publiques à l’équilibre.
Mercredi 26 février, l’hebdo­
madaire Die Zeit révélait que le mi­
nistère des finances envisageait
de déroger à la loi du « frein à
l’endettement », inscrite dans la
Constitution en 2009, afin de
venir en aide à 2 500 commu­
nes qui ploient sous le fardeau
de leurs dettes.
Le gouvernement s’est gardé de
confirmer ces révélations. « Le mi­
nistre fédéral des finances, Olaf
Scholz, présentera au printemps
des propositions pour résoudre le
problème des créances anciennes, a
indiqué une porte­parole du mi­
nistère. Un modèle est actuelle­
ment en cours d’élaboration et plu­
sieurs solutions sont envisagées. »
Mais la rumeur est tenace. Déjà,
juste avant Noël, M. Scholz en per­
sonne avait déclaré sans ambages
qu’il souhaitait « remettre les

compteurs à zéro » pour ces nom­
breuses villes surendettées.
Près du quart des 11 000 commu­
nes allemandes sont étranglées
par des dettes qu’elles ont contrac­
tées, dans certains cas, dans les an­
nées 1970 ou 1980. Leur endette­
ment cumulé s’élève désormais à
42 milliards d’euros. Avec leurs fi­
nances exsangues, ces municipali­
tés, qui se concentrent surtout
dans la région de la Ruhr, en Rhé­
nanie­Palatinat ainsi qu’en Sarre,
peuvent difficilement entretenir
leurs écoles et leurs routes. En
théorie, le gouvernement a les
moyens de voler à leur secours.
Après cinq années consécutives
d’excédents budgétaires, les finan­
ces fédérales sont au beau fixe et
Berlin a pu se constituer un bas de
laine de 48 milliards d’euros.

Le marbre de la Constitution
Cependant, un obstacle de taille
entrave ce projet cher à M. Scholz :
le frein à l’endettement. Cette loi
de rigueur budgétaire, votée au
moment de la crise financière,
limite le déficit fédéral structurel
à 0,35 % du PIB, soit environ
12,5 milliards d’euros pour 2020.
C’est trop peu pour éponger les
colossales dettes municipales.
Pour modifier cette loi, gravée
dans le marbre de la Constitution,

le parti social­démocrate de
M. Scholz aurait besoin d’une ma­
jorité des deux tiers des députés
au Parlement. C’est là que le bât
blesse. Les deux autres partis qui
forment la majorité parlemen­
taire, l’Union chrétienne­démo­
crate (CDU, centre­droit), parti de
la chancelière Angela Merkel,
ainsi que la CSU bavaroise, ne veu­
lent rien savoir. « La Constitution
n’est pas un jouet que chacun peut
bidouiller à sa guise, a sèchement
rétorqué le député CDU Eckhardt
Rehberg. Scholz ne peut mettre en
œuvre son rachat des dettes muni­
cipales qu’en violant la Constitu­
tion. Il devrait enterrer ce projet
aussi vite que possible. »
Les partisans d’un relâchement
budgétaire ne désarment pas.
Lundi 2 mars, la commission des
finances du Bundestag (Chambre
basse du Parlement) recevait un
aréopage d’économistes pour dé­
battre de la pertinence d’un as­
souplissement de la règle d’or. Les
experts se sont montrés aussi dé­
sunis que les députés. Les détrac­
teurs du frein à la dette ne propo­
sent pas forcément sa suppres­
sion. « En fait, ce ne sont pas les
moyens qui manquent pour
contourner la règle, explique Jens
Boysen­Hogrefe, économiste à
l’institut IfW, à Kiel. Par exemple,

l’Etat pourrait racheter la dette des
communes par le biais de structu­
res para­étatiques. De telles tran­
sactions ne seraient pas comptabi­
lisées dans le déficit public. »
Par ce biais, le gouvernement fé­
déral pourrait emprunter jusqu’à
35 milliards d’euros par an, soit
1 % du PIB, tout en maintenant les
apparences de rigueur budgé­
taire. L’économiste Achim Truger,
membre du conseil des cinq « sa­
ges » désignés par le gouverne­
ment, a exhorté lundi les députés
à délier les cordons de la bourse.
« Le refus de recourir à l’emprunt
pénalise non seulement la généra­
tion actuelle, car il s’accompagne
d’une hausse des impôts ou d’une
diminution des dépenses publi­
ques, mais aussi les générations
futures, car il freine l’investisse­
ment », a­t­il argumenté.
Toutefois, ces blocages politi­
ques ne sont pas les seuls obsta­
cles à une augmentation des in­
vestissements publics allemands.
« L’Etat a des milliards d’euros à dé­
penser, mais faute de structures
publiques adéquates, il y a beau­
coup de goulets d’étranglement
en matière d’investissements, dé­
plore Jens Boysen­Hogrefe. Une
grande réforme institutionnelle
s’impose. »
jean­michel hauteville

La faillite de Yes Bank confirme


la mauvaise santé de l’Inde


Ecrasée par ses créances douteuses et des malversations présumées,


la quatrième banque privée du pays est sauvée par un groupe étatique


bombay ­ correspondance

L


a banque numérique n’est
pas nécessairement la
banque du futur. En Inde,
le naufrage de Yes Bank,
survenu vendredi 6 mars, suggère
même que ce modèle n’est qu’une
chimère. Cet établissement privé
lancé en 2004 par un banquier
venu d’Amérique, Rana Kapoor, se
voulait un symbole de modernité,
en surfant sur la dématérialisation
de la finance. Il va être sauvé par
une banque d’Etat, State Bank of
India (SBI), la plus grande et la plus
traditionnelle du pays.
Celle­ci a promis de « retenir Yes
Bank au bord de la falaise », en ac­
quérant pour une durée minimale
de trois ans 49 % de son capital, au
prix de 10 roupies l’action (12 cen­
times d’euros), à la suite de quoi
elle y injectera de l’argent frais

pour 26,5 milliards de roupies
(322 millions d’euros).
Une humiliation pour Yes Bank,
qui avait réussi à se hisser au
quatrième rang des banques pri­
vées – derrière ICICI, HDFC et Ko­
tak Mahindra – et à devenir le nu­
méro un des transactions en ligne
dans le sous­continent, avec
514 millions d’opérations au mois
de janvier, sur un total national de
1,31 milliard. Jeudi 5 mars en fin de
journée, la banque avait été placée
sous le contrôle direct de la ban­
que centrale (Reserve Bank of In­
dia, RBI). Vendredi, le cours de son
action a fondu de 56 % à la Bourse
de Bombay, à 16,2 roupies (20 cen­
times d’euros). Il y a trois mois, le
titre valait quatre fois plus.
Les clients de Yes Bank en sont
pour leurs frais. En attendant
d’être fixés sur leur sort, beaucoup
ont fait la queue à la veille du
week­end dans les 1 200 agences
de l’établissement, dans l’espoir
de retirer au plus vite leurs avoirs.
C’était peine perdue : les retraits
au guichet ont été plafonnés à
50 000 roupies (608 euros) par
personne et tous les paiements et
retraits par carte ont été bloqués.
Ces restrictions vont durer un
mois minimum.
Les difficultés de Yes Bank vien­
nent pour l’essentiel, d’après la
RBI, de son « incapacité à couvrir
les pertes potentielles dues à ses

créances douteuses », autrement
dit les prêts accordés à des
débiteurs qui ne les remboursent
pas, lesquels valent actuelle­
ment à l’ensemble du secteur fi­
nancier indien d’être secoué par
une crise grave. Au 30 septem­
bre 2019, ces prêts représentaient
pour Yes Bank un encours de
2 milliards d’euros.

Domicile perquisitionné
A cela s’ajoutent les critiques por­
tées contre Rana Kapoor, devenu
milliardaire avant d’être poussé
dehors en janvier 2019. Porté par
son charisme, l’homme qui a fait
profiter sa banque de sa notoriété
lorsqu’il présidait le réseau des
chambres de commerce de l’Inde
(Assocham) a longtemps été le
chouchou des médias. Soupçonné
de blanchiment d’argent, il a vu
son domicile perquisitionné ven­
dredi, à Bombay.
La ministre des finances, Nir­
mala Sitharaman, a juré aux épar­
gnants que leur argent était « en sé­
curité » et qu’une solution serait
trouvée « rapidement » pour qu’ils
puissent en jouir librement.
Quant aux 20 000 salariés, il leur a
été promis qu’ils ne subiraient
aucun licenciement pendant un
an et qu’ils continueraient de tou­
cher le même salaire.
Cette affaire va laisser des traces.
Selon Palaniappan Chidambaram,
ministre des finances de 2012 à
2014, la chute de Yes Bank « met en
question la capacité du gouverne­
ment Modi à diriger et gouverner
les institutions financières » de
l’Inde. La finance indienne a
commencé à tanguer en octo­
bre 2018, avec la faillite retentis­
sante de IL & FS, le plus grand fi­
nanceur national d’infrastructu­
res. En juin 2019, c’est la société
spécialisée dans les prêts immobi­
liers Dewan Housing Finance
Corporation Ltd (DHFL) qui était

placée en redressement. Puis en
septembre 2019, une autre ban­
que, la Punjab & Maharashtra
Cooperative (PMC), a été mise sous
tutelle de la RBI. Et maintenant
Yes Bank. « Qui sera le prochain? »,
s’interroge l’ancien ministre.
L’inquiétude des marchés est
d’autant plus grande que le coro­
navirus vient de faire son appari­
tion dans le pays. Hormis trois cas
isolés au Kerala (sud) en février qui
se sont soldés par des guérisons,
une trentaine de contaminations
ont été recensées ces derniers
jours, notamment au Rajasthan,
près du Taj Mahal et dans la capi­
tale, Delhi. Le Sensex, principal in­
dice de la Bourse de Bombay, est
tombé à son plus bas depuis six
mois, dans un contexte macroéco­
nomique déjà très préoccupant.
L’économie indienne a terminé
l’année 2019 avec un taux de crois­
sance de 4,7 % en rythme annuel,
le plus mauvais chiffre depuis
douze ans. Entre les tensions
sociales que génère la politique
discriminatoire du gouvernement
Modi à l’égard des musulmans,
le ralentissement brutal de l’éco­
nomie et maintenant l’épidémie
liée au Covid­19, il y a de quoi « s’in­
quiéter profondément pour le rang
économique et démocratique de
l’Inde dans le monde », estime
Manmohan Singh.
L’homme du Parti du congrès
qui a dirigé le pays de 2004 à 2014
et qui fut, en tant que ministre des
finances, l’artisan des grandes ré­
formes libérales des années 1990,
a publié vendredi 6 mars une tri­
bune alarmante dans le quotidien
The Hindu. « Des tensions commu­
nautaires alimentées volontaire­
ment, une mauvaise gestion écono­
mique et un choc sanitaire externe
menacent de faire dérailler l’Inde.
La situation actuelle est très som­
bre », estime­t­il.
guillaume delacroix

Les retraits au
guichet ont été
plafonnés à
50 000 roupies
par personne
et les opérations
par carte ont été
bloquées

Starbucks a annoncé, fin février
la réouverture de 85 % de ses ca­
fés en Chine. Un mois plus tôt, la
chaîne américaine avait dû bais­
ser le rideau de la moitié de ses
4 200 points de vente au logo de
sirène. Mesures drastiques prises
sous la houlette du gouverne­
ment chinois pour circonscrire
l’épidémie due au coronavirus à
la région du Hubei où elle est ap­
parue et lui faire rendre gorge.
Reste à savoir si les clients chi­
nois sont déjà d’humeur à aller
siroter un americano ou un cap­
pucino. Starbucks anticipe une
baisse de 50 % de son chiffre d’af­
faires en Chine sur le trimestre.
Pendant ce laps de temps, où
les nuages noirs se sont accumu­
lés sur les perspectives de la
croissance chinoise et donc
mondiale, nombre de matières
premières ont plongé. En parti­
culier le pétrole, mais aussi le
cuivre et l’aluminium. A contre­
courant, le cours de l’arabica, va­
riété la plus prisée du fruit du ca­
féier, lui, s’est enflammé. Le café,
comme immunisé contre le
coronavirus. Il a progressé de
près de 15 % en un mois.
Il est vrai que les spéculateurs
ne cessent de souffler le chaud et
le froid sur le petit noir. Jusqu’à
l’automne 2019, la livre d’arabica
se négociait à moins d’un dollar,
du jamais­vu depuis 2005. Les
producteurs broyaient du noir.
Soudain, fin octobre, les déclara­
tions brésiliennes faisant état de
stocks moindres qu’escomptés
face à une demande robuste ont
échauffé les esprits.
La Bourse a été secouée par une
fièvre du café dont elle a le secret.

Le cours s’est envolé de plus de
25 %, culminant mi­décembre.
En janvier, les spéculateurs ont
appuyé sur le bouton descente
rapide et le cours du café
a été moulu. Avant de relancer
la pression en février pour faire
remonter les cours. Cœurs fragi­
les s’abstenir.

Bulletins météo
Le grand huit de la spéculation
des matières premières secoue
le marché du café. Alimenté,
non par l’état d’avancement du
coronavirus jouant à saute­fron­
tières, mais par les bulletins
météo du Brésil. La pluie qui
s’abat sur le plus grand pays pro­
ducteur et exportateur de café
inquiète. Les régions caféières
n’ont jamais été aussi arrosées
en début d’année que depuis
près d’un siècle. Même si la pluie
est a priori bénéfique à cette
saison, un trop­plein pourrait
susciter des maladies fongiques
et des chutes de fruit.
Toutefois, le Brésil pourrait
malgré tout bénéficier d’une
plantureuse récolte si les craintes
actuelles s’avéraient infondées.
Ce qui aurait pour effet immé­
diat de refroidir à nouveau rapi­
dement les cours. Surtout, si la
fréquentation des cafés était tou­
chée par la diffusion du corona­
virus aux quatre coins de la pla­
nète. Comme par exemple à
Seattle, dans l’Etat de Washing­
ton, siège de la société Starbucks.
Les grands groupes technologi­
ques incitent leurs salariés à tra­
vailler de chez eux. Dans cette
ville américaine, le petit noir ne
se boit plus au comptoir...

MATIÈRES  PREMIÈRES
PAR  LAURENCE  GIRARD 

Le café immunisé


contre le coronavirus


LES  CHIFFRES


2
C’est, en milliards d’euros,
le montant des créances douteu-
ses de Yes Bank. Comme la plu-
part des banques indiennes,
l’établissement a prêté à des
clients qui s’avèrent insolvables

20 
C’est le nombre des salariés
de la banque

4,7 %
C’est le rythme de croissance
du PIB au quatrième trimestre


  1. Le ralentissement écono-
    mique de l’Inde, observé depuis
    le début de 2018, se confirme
    trimestre après trimestre

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