Le Monde - 08.03.2020 - 09.03.2020

(Marcin) #1

32 | 0123 DIMANCHE 8 ­ LUNDI 9 MARS 2020


0123


J


acques Rossi s’était promis
de ne pas briguer un troi­
sième et dernier mandat à la
tête de La Perche, commune
de 205 habitants dans le sud
du Cher. En ce mois de janvier
2019, il l’avait annoncé à ses admi­
nistrés, lors de ses vœux de bonne
année. Un âge avancé (77 ans) et
des pépins de santé l’avaient
convaincu d’arrêter là l’aventure
municipale, c’était acté.
Un an plus tard, cet ancien mili­
taire de carrière a décidé de rem­
piler. Il sera tête de liste de la seule
liste déposée à La Perche pour les
élections municipales. Son revire­
ment n’est pas une histoire de re­
mords ou de goût inassouvi pour
le pouvoir. S’il y retourne, c’est
« contraint et forcé », explique­t­il,
parce que personne, au village, ne
souhaitait prendre sa place.
Jacques Rossi a pourtant
cherché, au sein de son équipe et
en dehors, un ou une postulant(e).
Aucune épaule à ceindre de
l’écharpe tricolore pourtant pro­
mise ne s’est présentée. Aussi peu
d’enthousiasme ne l’a guère sur­
pris. En 2008, la maire de l’époque
lui avait proposé de lui succéder
« seulement deux jours avant la fin
des inscriptions », se souvient­il. Il
avait accepté sans imaginer qu’il
se retrouverait, douze ans plus
tard, dans la situation de prolon­
ger sa mission contre son gré.
Son choix final permet à La Per­
che de ne pas figurer parmi les
106 communes françaises à ne
pas avoir déposé de liste avant la
date fatidique du 27 février. Pour
celles­ci, l’avenir se révèle incer­
tain. Le code des collectivités terri­
toriales prévoit, certes, l’organisa­
tion d’élections partielles dans
trois mois, partout où un conseil
municipal n’aura pu être formé.
Mais si personne ne se dévoue, le
préfet sera habilité à prononcer la
dissolution de la commune afin
de la rattacher à une voisine.
C’est pour éviter ce scénario ca­
tastrophe que Jacques Rossi a
choisi de rependre du service. « Je
me sens un peu piégé », confie­t­il
en projetant toutefois de passer la
main à son premier adjoint en
cours de mandat, d’ici deux ou
trois ans. Dans l’intervalle, l’élu
espère que le « grand projet » qu’il
vient de déposer en préfecture
aura été lancé : l’installation de
sept éoliennes sur la commune


  • une opération destinée à rap­
    porter 40 000 euros par an au
    budget municipal. « Nous aurions
    tort de cracher sur cette manne
    alors que les dotations de l’Etat ne
    cessent de baisser. Etre maire, c’est
    apprendre à tirer le diable par la
    queue », assène­t­il.
    Etre maire, c’est aussi accepter
    d’être dépossédé d’un certain
    nombre de compétences et d’at­
    tributions au profit des commu­
    nautés de communes. C’est égale­
    ment, en milieu rural, tolérer
    d’être appelé pour tout et n’im­
    porte quoi, vingt­quatre heures
    sur vingt­quatre : le chien du
    voisin qui aboie, des vaches qui
    divaguent sur la route, le volet
    d’une résidence secondaire qui
    claque, une boîte aux lettres en­
    dommagée par le passage du ca­
    mion poubelle... Il est également
    arrivé à Jacques Rossi de se rendre
    au domicile d’un candidat au sui­
    cide pour le raisonner. « On est à
    la fois le garde champêtre et l’as­
    sistante sociale », résume­t­il.


Il suffit d’aller pas bien loin (5 ki­
lomètres) pour trouver un autre
maire repartant en campagne par
défaut. A La Celette (181 habitants),
Philippe Château, 58 ans, s’est éga­
lement cherché un successeur,
après quatre mandats de suite


  • en vain. L’élu n’est pas, il est vrai,
    le meilleur promoteur qui soit de
    la fonction de maire. L’intercom­
    munalité élargie n’en finit pas de
    le navrer, notamment quand il
    s’agit de voter une subvention
    pour un bourg situé à 25 km où il
    n’a « jamais mis les pieds ».


Entre « lassitude et usure »
Les normes en matière d’urba­
nisme le désespèrent pareille­
ment, au point qu’il a menacé, il y
a quelques années, de détruire
l’église du village afin de viabiliser
des terrains à construire. Un autre
conflit pointe aujourd’hui : le
projet... d’éoliennes de La Perche.
Celles­ci seront en effet visibles de
La Celette où une association de
riverains s’est créée afin d’entra­
ver leur installation. « Cela va être
la guerre entre nos villages », re­
doute Philippe Château.
Entre « lassitude et usure », cet an­
cien patron de PME rappelle que la
gestion municipale suppose avant
tout d’être « très disponible, ce qui
n’est pas donné à tout le monde
quand on n’est pas à son compte ni
retraité ». La taille d’une commune
n’est pas proportionnelle, par
ailleurs, au temps passé à l’admi­
nistrer. A La Perche, Jacques Rossi
en sait quelque chose, lui qui re­
cense, sur un carnet, chaque dépla­
cement fait dans le cadre de sa
fonction : en 2019, la participation
à 281 réunions lui a valu de rouler
10 607 km avec sa voiture person­
nelle – à ses frais, s’entend.
A la campagne, les indemnités
octroyées aux élus ne permettent
pas d’en faire un métier, souligne
de son côté Gérard Cardonel,
69 ans, le maire de Saulzais­le­Po­
tier, l’ex­chef­lieu du canton.
Lui non plus ne voulait pas y re­
tourner, après trente­sept années
passées comme conseiller muni­
cipal, puis premier édile. Mais per­
sonne n’a souhaité reprendre le
flambeau. Ce retraité d’une coopé­
rative agricole l’a d’autant plus
mauvaise, qu’à trois unités près, la
population du village (497 âmes,
selon le dernier recensement) ne
lui permettra pas de toucher l’in­
demnité prévue pour les maires
des communes de plus de 500 ha­
bitants, soit 1 178 euros (contre
645 euros pour la tranche infé­
rieure).
Votée au Parlement, en décem­
bre, la revalorisation de 20 % à
50 % des indemnités des élus atté­
nue légèrement son dépit. Mais le
compte n’y est pas pour M. Cardo­
nel qui estime à « quarante­cinq
heures par semaine » son investis­
sement municipal. L’élu explique
ne pas avoir ménagé sa peine, ces
dernières années, pour maintenir
la vitalité de Saulzais­le­Potier, où
demeurent encore une école, une
agence postale, une gendarmerie,
une caserne de pompiers volon­
taires, un médecin et une demi­di­
zaine de commerces. « Le meilleur
moyen de préserver tout ça est de
ne pas abandonner son poste », a­
t­il fini par se raisonner.

E


n septembre 2015, la photo du corps
sans vie d’Alan Kurdi, petit enfant sy­
rien gisant, le visage tourné vers le
sable, sur la plage turque de Bodrum après
le naufrage d’un bateau de migrants avait
ému le monde entier. Cinq ans plus tard, les
vidéos retraçant l’agonie de Mohammed
Al­Arab, un Syrien de 22 ans mortellement
blessé, lundi 2 mars, par un tir de garde­
frontière grec alors qu’il tentait de passer
de Turquie en Grèce en traversant le fleuve
Evros, n’ont guère suscité de compassion.
La terrible qualité du cliché de l’enfant,
l’identification universelle immédiate qu’il
déclenchait sont loin d’expliquer ces réac­
tions pour le moins contrastées.
Voila cinq ans, l’Europe découvrait cons­
ternée les drames humains provoqués par

le soulèvement en Syrie. Le continent, en
dépit de discours ambigus, n’a pas fermé sa
porte aux migrants. L’Allemagne d’Angela
Merkel décida d’accueillir un million et
demi de réfugiés. Mais le terme « mi­
grants » ne tarda pas à être accolé au mot
« crise ». Par les effets conjugués des se­
cousses économiques, des crispations
identitaires et des attentats terroristes, l’Eu­
rope s’est refermée.
Il serait vain de nier le lien entre la han­
tise de l’immigration et les vagues populis­
tes qui ont déferlé ensuite sur le continent.
Dès octobre 2015, la Pologne basculait avec
la victoire du parti conservateur nationa­
liste Droit et justice (PiS) dont le chef évo­
quait « les parasites » véhiculés par les réfu­
giés. En Hongrie, Viktor Orban exploitait le
même filon, faisant construire un mur de
clôture à la frontière sud du pays. Depuis
lors, l’extrême droite a participé au pouvoir
en Italie et en Autriche, tandis que l’AfD en
Allemagne et le Rassemblement national
en France consolidaient leurs positions.
Sans oublier le Brexit britannique de 2016,
suscité en partie par un réflexe xénophobe.
Tétanisée, l’Union européenne a large­
ment failli : elle a échoué à adopter une po­
litique concertée de répartition des deman­
deurs d’asile, et elle a mégoté sa solidarité
matérielle avec les pays placés en première
ligne, comme l’Italie. Aujourd’hui, la détes­
table manipulation des migrants à laquelle

se livre le président turc Recep Tayyip
Erdogan, en leur faisant croire que la fron­
tière de l’UE est ouverte et en les aidant
même à gagner ses abords, représente un
acte manifeste d’hostilité auquel les Vingt­
Sept sont fondés à réagir. Certes, en remer­
ciant Athènes de servir de « bouclier » à l’UE,
la présidente de la Commission euro­
péenne, Ursula von der Leyen, a recouru à
un registre guerrier mal venu.
Mais l’ambition de l’Union de « protéger »
ses citoyens dans un contexte géopolitique
différent de celui de 2015 suppose d’assu­
mer ses frontières et d’affirmer sa capacité
à parler d’une seule voix. Entre­temps,
Frontex est devenue une véritable agence
de gardes­frontières disposant d’effectifs
propres. Là où Angela Merkel s’était impo­
sée en 2015, l’UE a su cette fois dépêcher à
Ankara ses dirigeants Charles Michel et Jo­
sep Borrell pour faire valoir son point de
vue auprès de M. Erdogan.
Mais ni la diplomatie ni les barbelés ne
peuvent suffire à maîtriser des flux de po­
pulation nourris par les crises proche­orien­
tales et africaines. « Protéger » l’Europe sup­
pose aussi que les Vingt­Sept établissent des
mécanismes permanents et solidaires de
régulation des migrations qui leur permet­
tent de rester fidèles à leur tradition d’asile,
tout en évitant de se trouver à la merci de
puissances promptes à instrumentaliser les
peurs de leurs ressortissants.

C’EST POUR ÉVITER 


LE SCÉNARIO 


CATASTROPHE D’UNE 


DISSOLUTION DE 


SA COMMUNE QUE 


JACQUES ROSSI 


REPREND DU SERVICE


MIGRANTS : 


L’EUROPE 


DÉFIÉE


L’AIR DU TEMPS |CHRONIQUE
pa r f r é d é r i c p o t e t

Maires malgré


eux, ou presque


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