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DIMANCHE 8 LUNDI 9 MARS 2020 planète | 7
L’exécutif craint « un
choc » pour l’économie
Edouard Philippe anticipe un « coup de frein
violent » de la croissance dû à l’épidémie de Covid
L
a propagation du Covid
en France et dans le monde
vatelle contraindre le
gouvernement à revoir ses priori
tés budgétaires et économiques?
Alors que le pays se prépare au
passage au stade 3 de l’épidémie,
l’exécutif prend le sujet économi
que autant au sérieux que le
risque sanitaire.
Vendredi 6 mars, lors d’une
rencontre avec les représentants
de l’Union maritime et portuaire
du Havre, le premier ministre,
Edouard Philippe, en campagne
pour les élections municipales des
15 et 22 mars dans la ville, est
revenu sur les conséquences pos
sibles de l’épidémie. « On a vu le
ralentissement mondial intervenir
dès le milieu de l’année dernière. A
cela s’est ajoutée la grève en France.
Et si vous ajoutez les effets du coro
navirus, vous allez avoir un choc,
un coup de frein, a prévenu le loca
taire de Matignon. Le coup de frein
peut être violent et durable. Vous
allez avoir une chute du transport
aérien, qui va en cascade entraîner
des conséquences, notamment sur
l’industrie aéronautique. On va
vers une situation difficile. »
Jusqu’ici, à Bercy, on ne chiffre
pas plus précisément l’ampleur
du ralentissement économique
qui pourrait découler de la chute
du tourisme sur le territoire, du
repli des investissements des
entreprises en Chine ou encore
des exportations. Le ministre de
l’économie et des finances, Bruno
Le Maire, s’est refusé à parler de
récession (techniquement, deux
trimestres consécutifs de baisse
du PIB), alors que la croissance
française avait déjà accusé un
recul inattendu de 0,1 point au
dernier trimestre 2019.
Silence radio
Lundi 2 mars, l’OCDE s’était
montrée pessimiste : la croissance
française pourrait passer sous 1 %
cette année, à 0,9 % en 2020,
avait précisé l’organisation. C’est
0,3 point de moins que sa dernière
prévision de fin novembre 2019. A
Bercy, les dernières prévisions, qui
datent de l’automne lors du projet
de loi de finances, prévoient 1,3 %
de croissance cette année. Lorsque
l’épidémie était encore contenue à
la Chine, Bruno Le Maire avait évo
qué 0,1 point de PIB en moins. De
puis, silence radio.
« L’effet sera évidemment plus
important, mais les gens ne raison
nent pas en point de PIB, argue
ton dans l’entourage du ministre
de l’économie. Notre souci, c’est
d’être au plus près des entreprises,
et que ces dernières puissent faire
appel à notre plan de soutien, no
tamment dans l’événementiel, le
tourisme et les transports. »
Bruno Le Maire a annoncé,
mardi 3 mars, un renforcement
de l’arsenal de mesures de sou
tien aux entreprises (étalement
de charges, dispositifs d’activité
partielle, suppression des pénali
tés en cas de retard de livraison
aux collectivités publiques,
rééchelonnement de crédits...).
Insuffisant, selon les cinq gran
des fédérations du commerce
qui, dans un communiqué com
mun, ont tiré vendredi la
sonnette d’alarme. Elles deman
dent un renforcement des aides
gouvernementales et appellent à
la solidarité les bailleurs, les
banquiers et les assureurs pour
faire face aux conséquences de
cette crise, « la troisième en qua
torze mois après les grèves contre
la réforme des retraites et les ma
nifestations des “gilets jaunes” ».
Bruno Le Maire tiendra
d’ailleurs lundi 9 mars une troi
sième réunion, à Bercy, avec les
acteurs économiques, parmi les
quels le Medef, la Fédération
bancaire française, la Confédéra
tion des petites et moyennes en
treprises, la Fédération du com
merce et de la distribution ou en
core les organisations profession
nelles de l’hôtellerie et du voyage.
« Remettre du jus »
A Matignon, en tout cas, on ne
cache plus l’inquiétude devant les
indicateurs qui se dégradent.
« Avec l’adoption définitive du pro
jet de loi sur les retraites cet été, on
espérait pouvoir reprendre les ré
formes. Si la situation économique
continue de se tendre, cela va être
compliqué », estime un conseiller.
Aussi surprenant que cela
puisse paraître, l’exécutif s’inter
roge dès lors sur l’opportunité de
« remettre du jus dans la machine »
Oise
Somme
Val-d’Oise
Yvelines
Seine-
et-Marne
Crépy-
en-Valois
Beauvais
Paris
Creil
20 km
JUSQU’ICI, À BERCY,
ON NE CHIFFRE PAS PLUS
PRÉCISÉMENT L’AMPLEUR
DU RALENTISSEMENT
ÉCONOMIQUE QUI
POURRAIT DÉCOULER DE
LA CHUTE DU TOURISME
« Les plus inquiets,
on ne les voit pas,
ils restent chez eux »
A CrépyenValois, l’une des villes de l’Oise
les plus touchées par l’épidémie,
les habitants ne cèdent pas à la panique
REPORTAGE
crépyenvalois (oise)
envoyé spécial
U
ne baguette tradition?
Bien sûr, et vous ne vou
lez pas un pain aux fruits,
je vous l’offre... » La fermeture est
pour bientôt, et la boulangère de
la rue CharlesdeGaulle, au cœur
du bourg de CrépyenValois
(Oise), distribue à chaque client
un pain aux fruits confits, jeudi
5 mars. « C’est un client qui nous les
avait commandés et qui n’en a plus
besoin », ajoute la commerçante.
Dans cette ville de 15 500 habi
tants, l’une des plus touchées par
l’épidémie de Covid19, on vit au
ralenti. A quelques dizaines de
mètres de la boulangerie, le char
cutiertraiteur du Valois raconte la
même histoire. « On a perdu 20 %
de la clientèle, avec les plateauxre
pas destinés aux réunions dans les
entreprises, toutes annulées, té
moigne Antoine Cousin, respon
sable du magasin. Depuis le début
de la crise, je compte trois récep
tions avec buffet annulées. Les
gens ne traînent pas trop dans la
rue, garent leur voiture devant la
boutique, entrent et repartent. »
Dans les rues, ce n’est certes pas
la cohue, mais nombre d’habi
tants vaquent à leurs occupa
tions. « Le sentiment général, c’est
que la vie continue. Avec des
restrictions certes, mais le plus
normalement possible. La popu
lation commence probablement
à être agacée par la focalisation
sur le département et certaines
communes », analyse Cyriaque
Bayle, souspréfet et directeur du
cabinet du préfet de l’Oise.
Le maire confiné chez lui
CrépyenValois fait partie des
neuf communes du département
de l’Oise où des mesures plus
strictes ont été prises contre l’épi
démie due au coronavirus. Ici, le
collège et le centre gériatrique
ont fait les gros titres des médias
puisqu’un certain nombre de cas
de contamination y ont été recen
sés et que deux personnes sont
décédées. L’annonce, jeudi, du dé
cès d’une troisième personne ori
ginaire de la ville ne semble pour
tant pas accroître l’angoisse.
Ni le fait que le maire (sans éti
quette) de la ville, Bruno Fortier,
se trouve luimême confiné chez
lui depuis dimanche. « Mon test
est positif et donc je suis porteur de
cette cochonnerie. Je suis donc en
train d’établir la liste des person
nes que j’ai rencontrées depuis les
quatorze derniers jours. Je pense
que beaucoup de cas vont appa
raître dans les jours qui viennent »,
atil écrit, dimanche, sur sa page
Facebook. Cela a aussi entraîné
le confinement du préfet du dé
partement, à qui il avait serré la
main et celui d’une partie du per
sonnel municipal.
Dans l’ancienne cité fortifiée
des comtes de Valois, la mairie,
imposante demeure datant de la
fin du XIXe siècle, semble vide. Le
standard ne répond pas, et les
services tournent au ralenti. « Les
mesures de confinement touchent
de nombreux cadres, des élus
aussi, ceux qui participent aux réu
nions avec le maire, qui le côtoient
régulièrement, ceux aussi qui font
fonctionner au quotidien la mai
rie. De fait, on a du mal à assurer la
continuité du service », confie
Jérôme Pin, directeur général des
services, luimême confiné.
Des binômes ont été mis en
place à la mairie, avec une per
sonne présente dans les locaux et
l’autre en télétravail, afin d’éviter
les contacts directs entre les quel
que 300 employés municipaux.
Les établissements accueillant la
petite enfance sont fermés, de
même que les écoles, collèges et
lycées, soit environ 4 000 jeunes.
Les salles de sport, le centre aqua
tique, le cinéma, la MJC... autant
de lieux aux portes closes.
« Les clients ne parlent que de ça »
La Nuit de la chouette, qui devait
se tenir samedi 29 février, a été
annulée. Son animateur, Jérémy
Thomas, se retrouve désœuvré.
« Le maire est passé me saluer
dans mon bureau, on s’est serré la
main. Résultat, je suis confiné.
Egalement au chômage technique
parce que j’effectue d’ordinaire de
nombreuses animations scolaires,
et les écoles sont fermées », expli
que ce responsable d’animations
sur l’environnement pour la ville.
Se glissant dans la mairie après
l’heure de fermeture, pour passer
à son bureau tout en ne croisant
personne, Jérémy Thomas fait
comme les habitants touchés par
cette crise sanitaire : il s’adapte.
Dans sa brasserie, Onay Bunul,
lui, commence à s’angoisser. Il
vient de racheter Les Ateliers de
Mira à son cousin, et les affaires
ne sont pas florissantes depuis
une semaine. « C’est mort, j’ai fait
6 couverts à midi, 47 pour l’ensem
ble de la journée hier, alors que j’en
fais deux fois plus habituellement.
De nombreux restaurants et bars
sont fermés. Les gens ne sortent
pas, se font livrer des repas. Même
mon cuisinier a fait ses propres
provisions pour une semaine. Et
les clients ne parlent que de ça »,
énonce Onay Bunul, qui ne man
que pas de serrer chaleureuse
ment la main à chaque habitué
venu boire une bière.
De fait, dans les rues de Crépy
enValois, pas un habitant croisé
jeudi ne porte de masque de pro
tection. « Les plus inquiets, on ne
les voit pas, ils restent chez eux.
Mais les autres viennent pour des
renouvellements d’ordonnance et,
bien sûr, pour des masques et du
gel hydroalcoolique. Il n’y a pas de
dramatisation. Seulement l’envie
de ne pas être traités en pestifé
rés », confie Dorothée, l’une des
pharmaciennes de la ville. Ici, le
virus doit se faire discret.
rémi barroux
Dans le monde samedi
7 mars au matin, le bilan
des personnes atteintes
par le Covid19 s’élève à
102 188 individus. 3 491 décès
sont dénombrés tandis que
l’on recense 57 389 malades
guéris. La Chine demeure
l’épicentre de l’épidémie
(80 758 cas). Les trois autres
pays les plus touchés sont
la Corée du Sud (6 767), l’Iran
(4 747) et l’Italie (4 636).
Inquiétude de l’OMS L’Orga
nisation mondiale de la santé
juge la propagation du virus
« très préoccupante » avec
92 pays désormais concernés.
Le Togo, les Territoires palesti
niens, la Serbie, le Vatican,
la Slovaquie, le Pérou et
le Bhoutan ont annoncé des
premiers cas vendredi 6 mars.
En France Deux personnes
sont mortes vendredi,
portant à neuf le nombre de
décès, et 190 nouveaux cas
étaient recensés. Le 7 mars
au matin, la France
compte 653 contaminations
au coronavirus.
CE QU’IL FAUT SAVOIR
▶▶▶
afin de relancer la croissance.
Sous quelle forme? « Cela doit être
discuté au niveau européen. Bruno
Le Maire va porter le sujet à Bruxel
les dans les prochaines semaines »,
indique l’entourage d’Edouard
Philippe. « En France, le sujet c’est
l’accompagnement de la trésorerie
des entreprises », préciseton.
« Nous appelons à un plan de re
lance budgétaire avec nos homolo
gues européens, mais il faudra le
faire au bon moment, lorsque la
crise sanitaire sera calmée, afin de
soutenir le rebond des entrepri
ses », abonde l’entourage de
Bruno Le Maire.
De quoi remettre en cause la tra
jectoire budgétaire de l’exécutif,
qui espérait contenir le ralentisse
ment de l’économie française
cette année et poursuivre la baisse
du déficit public (2,2 % attendus
pour le moment). « Nous verrons
en fonction des conséquences de
l’épidémie. Si toute l’économie
française est paralysée, ce n’est pas
la même chose que s’il y a juste une
période un peu difficile à passer. Il
ne sert à rien de se faire peur »,
commente un conseiller de Bercy.
En tout état de cause, « il y aura
un travail à faire en termes budgé
taires en France, pour faire en
sorte que les entreprises puissent
redémarrer après la crise. Nous
prônons toujours une politique de
l’offre », expliqueton dans l’en
tourage de Bruno Le Maire. Pas
question que le coronavirus ait la
peau du « en même temps ».
olivier faye,
cédric pietralunga,
et audrey tonnelier
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