Le Monde - 08.03.2020 - 09.03.2020

(Marcin) #1
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DIMANCHE 8 ­ LUNDI 9 MARS 2020

FRANCE


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Edouard Philippe joue son avenir au Havre


Le premier ministre reste favori dans la ville, mais ses opposants sont remobilisés par le contexte national


le havre (seine­maritime)
envoyé spécial

I


l faut différencier le premier
ministre du candidat. C’est
en tout cas ce que veut faire
valoir Edouard Philippe
depuis qu’il s’est lancé dans la
course aux élections municipales
des 15 et 22 mars au Havre (Seine­
Maritime). « Quand je suis au Ha­
vre, je parle du Havre », répète le
chef du gouvernement. Et de rien
d’autre. Jeudi 5 mars, alors qu’Em­
manuel Macron déclare « inexora­
ble » la survenue en France de
l’épidémie due au coronavirus,
Edouard Philippe déambule pour
sa part sur l’estrade de la salle des
fêtes de Graville, télécommande
en main, et fait défiler les diaposi­
tives présentant son programme
des six années à venir : nouvelle
ligne de tramway, suppression
d’une décharge...
Difficile, pourtant, d’ignorer le
contexte qui entoure sa campa­
gne. Ces rues adjacentes bou­
clées par des forces de l’ordre qui
repoussent à coups de gaz lacry­
mogènes des petits groupes d’op­
posants à la réforme des retraites.
Ces policiers en civil qui contri­
buent à peupler le public d’une
salle à moitié vide, où se sont glis­
sés discrètement le ministre des
collectivités territoriales, Sébas­
tien Lecornu, et le député Thierry
Solère, amis du locataire de Mati­
gnon. Sur scène, Edouard Philippe
se montre reconnaissant envers
ses troupes : « Merci d’avoir bravé
la pluie froide... Et les manifestants
parfois un peu chauds. »

« Beaucoup à perdre »
Le juppéiste joue son avenir poli­
tique dans cette ville qu’il a diri­
gée entre 2010 et 2017. En se décla­
rant candidat comme tête de liste,
fin janvier, il a montré qu’il se pro­
jetait – de l’aveu d’un proche – sur
« l’après­Matignon » ; pas question
d’arrêter la politique une fois son
bail terminé auprès du président
de la République. Un bail qu’il es­
père d’ailleurs le plus long possi­
ble : s’il l’emporte aux municipa­
les, c’est le maire actuel, Jean­Bap­
tiste Gastinne, qui le remplacera à
l’hôtel de ville. Le temps pour lui
d’achever sa tâche à Paris.
« Edouard Philippe a beaucoup à
perdre avec cette élection : Le Ha­
vre, Matignon... En plus, il n’a plus
de parti politique derrière lui pour
l’accueillir en cas de défaite »,
souligne le candidat écologiste,
Alexis Deck, qui mène une liste
d’union entre Europe Ecologie­les
Verts et le Parti socialiste. Beau­
coup à perdre, certes, mais aussi
un peu à gagner. « La municipale

au Havre aura une implication na­
tionale », prévient un député de
La République en marche (LRM).
En cas de victoire, M. Philippe
pourrait voir sa position renfor­
cée au sein d’une Macronie qui
n’aura pas beaucoup de trophées
à brandir au soir des municipales.
Mais s’il venait à perdre, l’issue
semble inéluctable aux yeux de
beaucoup : il devra partir.
Depuis quelques jours, d’ail­
leurs, le candidat Philippe ne se
montrerait « pas fanfaron », aux
dires d’un ami. Un sondage IFOP,
publié par CNews mercredi 4 mars,
le place à 42 % d’intentions de vote
au premier tour du scrutin, devant
le candidat communiste Jean­Paul
Lecoq (25 %). Suivent Alexis Deck, à
16 %, et la tête de liste du Rassem­
blement national, Frédéric Grous­
sard, à 10 %. Une avance conforta­
ble, sur le papier, mais qui a fondu
comme neige au soleil en quel­
ques mois : à l’automne 2019, une
enquête confidentielle comman­

dée par LRM le donnait en effet
vainqueur dès le premier tour.
Comme en 2014, lorsqu’il avait
emporté la mairie dans un fau­
teuil, avec 52 % des voix.

Affrontement classique
« Le dernier sondage n’est pas favo­
rable. S’il y a un second tour, c’est
une forme de désaveu et d’échec »,
veut croire un député « mar­
cheur ». « Nous n’avions jamais en­
visagé une élection au premier tour
possible, y compris après le son­
dage de l’automne. Le contexte na­
tional ne s’est pas formidablement
arrangé depuis », défend un philip­
piste. Encore moins ces derniers
jours. Le sondage a été réalisé juste
avant le recours à l’article 49.3 de la
Constitution pour faire adopter
sans vote des députés la réforme
des retraites. Certains, au sein de
son équipe, craignent que cette dé­
cision n’aboutisse à « une mobili­
sation des forces de gauche, peut­
être plus que d’habitude ».

Les réserves de voix de l’ancien
député Les Républicains (LR) ap­
paraissent faibles, quoi qu’il en
soit, dans cette ville dirigée par la
droite depuis 1995, après trois dé­
cennies de règne communiste.
« Ce sondage montre qu’il faudra
mobiliser toutes nos forces dès le
premier tour. Il faut que les élec­
teurs de droite sachent que la désu­
nion est mortifère », insiste la
sénatrice LR de Seine­Maritime,
Agnès Canayer. Ici, point de « dé­
passement » ou de recomposition
du paysage politique. C’est un
classique affrontement droite­
gauche que sont invités à
trancher les électeurs. Edouard
Philippe, d’un côté, promeut l’at­
tractivité économique et touristi­
que du Havre, quand son princi­
pal adversaire, Jean­Paul Lecoq,
déplore l’abandon des quartiers
populaires. S’il arrivait en troi­
sième position, l’écologiste Alexis
Deck se dit prêt à fusionner sa
liste avec celle de son concurrent

communiste au second tour. « Il y
a de la place pour passer », veut
croire M. Lecoq. De quoi faire
frémir l’électorat de droite.
Vendredi 6 mars, Edouard Phi­
lippe retrouve une petite ving­
taine de décideurs économiques


  • dont deux femmes – au siège de
    l’Union maritime et portuaire
    du Havre. L’assemblée ne se mon­
    tre guère hostile. « Tu es un grand
    politique, lui lance Jean­Louis
    Le Yondre, président du syndicat
    des transitaires du Havre. On te


A Marseille, Le Pen et Ravier mettent l’immigration au premier plan


En campagne pour les municipales dans les Bouches­du­Rhône, la présidente du RN a participé, vendredi, au meeting du maire du 7e secteur


REPORTAGE
marseille ­ envoyé spécial

M


arine Le Pen est évi­
demment une icône
chez ses militants,
mais lors de son seul grand
meeting de campagne dans le
cadre des élections municipales,
vendredi 6 mars à Marseille, c’est
Stéphane Ravier, son candidat à
la mairie, qui a fait un triomphe.
Le sénateur Rassemblement
national (RN) des Bouches­du­
Rhône, cabotin en diable, connaît
ses troupes comme sa poche et a
su parler aux quelque 800 per­
sonnes chauffées à blanc – dont
une forte proportion de rapa­
triés – quand sa présidente s’est
égarée dans de longs tunnels sur
la Turquie et l’article 49.3, qui

n’ont pas fait déborder d’enthou­
siasme le Vieux­Port.
La présidente du Rassemble­
ment national était certes un peu
fatiguée. Elle avait fait escale dans
la matinée à La Ciotat, où son
parti a obtenu 29,5 % des suffra­
ges aux européennes, puis à
Aubagne (30,8 %) et surtout à Al­
lauch (34,6 %). L’accueil, dans les
Bouches­du­Rhône, est enthou­
siaste. Marine Le Pen a égrené à
chaque fois un discours cons­
truit : « La gestion des mairies RN
a fait ses preuves, les résultats sont
excellents, et plébiscités par les ha­
bitants » ; le parti présente certes
moins de listes qu’aux municipa­
les de 2014, mais il est le premier
s’il s’agit de les présenter sous ses
propres couleurs. Elle a dénoncé
« le comportement irresponsable »

du gouvernement dans la crise du
coronavirus, et insisté sur les pou­
voirs des maires, « même s’ils doi­
vent lutter contre un vent mauvais
des gouvernants », en reprenant à
Aubagne une célèbre formule de
Philippe Pétain.
Au soir, Stéphane Ravier, élu
en 2014 du 7e secteur de Marseille
avant de laisser la place à sa nièce
pour rejoindre le Palais du
Luxembourg, a fait le spectacle. A
la poignée de militants de gauche
qui tentaient d’interdire l’entrée,
il a jeté au meeting : « Il faudra
bien qu’un jour on se débarrasse de
cette racaille d’extrême gauche, de
ces crasseux » (tonnerre d’applau­
dissements). Il s’est longuement
étendu sur son amour pour sa
ville, et est certain d’être réélu. « Je
n’envisage pas autre chose qu’une

victoire dès le premier tour, a dit le
sénateur. Pourquoi tant de fanfa­
ronnade, diront certains? Parce
que je suis marseillais » (rires).
Il a fait huer un à un tous les poli­
tiques de la ville, de droite comme
de gauche, a fulminé contre « les
clandestins islamistes » et en­
chaîné sur les rapatriés qui n’ont
pas reçu le même accueil. Bien des
peuples sont venus à Marseille
« pour se fondre dans ce creuset
français, a dit le candidat. Faites
l’effort qu’a fait ma mère italienne.
Ce message, je l’adresse à ceux qui
ne sont pas assez français. Je vous
tends la main à vous aussi, votre
histoire est la même que la nôtre.
Comme vous, j’ai grandi dans les
quartiers nord. Si je l’ai fait, vous
pouvez le faire. Si vous ne voulez
pas le faire, alors il faut partir ».

Marine Le Pen a elle aussi lour­
dement insisté sur l’immigra­
tion : « Marseille doit être française
et plus encore marseillaise. » Elle l’a
d’ailleurs répété dans la journée :
« Le lien entre l’insécurité et l’immi­
gration massive ne fait plus aucun
doute pour les gens de bonne foi. »
Elle a dénoncé « l’ensauvagement
de la vie quotidienne », les ba­
tailles au couteau, les mafias de la
drogue. Elle exige « une tolérance
zéro », entend « engager la respon­
sabilité civile des parents de délin­
quants et expulser leurs familles
des logements sociaux ».

« Compromission abjecte »
Son autre cheval de bataille, c’est
le communautarisme, et « la
compromission abjecte avec l’isla­
misme » – « ceux qui veulent impo­

ser leurs interdits religieux sont
priés d’aller voir ailleurs ». L’arrêt
de l’immigration est pour elle un
impératif, et elle est bien certaine
qu’avec Stéphane Ravier à la mai­
rie, « l’Aquarius n’est pas prêt d’ac­
coster à Marseille ». Marine Le Pen
exige de suspendre les accords de
Schengen, assure que Frontex, les
gardes­côtes aux frontières, sont
« des hôtesses d’accueil des mi­
grants ». Et elle n’a pas trouvé de
mots assez durs pour dénoncer la
Turquie, « un pays asiatique qui
veut islamiser l’Europe » et rac­
kette une « Union européenne qui
lui a donné les clés ». Elle a fait fré­
mir l’assistance en décrivant « les
centaines de milliers, voire les mil­
lions » de migrants qui s’apprête­
raient à débarquer en Europe.
franck johannès

Edouard Philippe, au Havre (Seine­Maritime), le 6 mars. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

Depuis quelques
jours, et au vu
des sondages,
Edouard Philippe
ne se montrerait
« pas fanfaron »,
selon un ami

soutient tous, il faut que tu le
saches. » Quelques nez se sont
bien tordus ces derniers mois
lorsque le premier ministre Phi­
lippe s’est rangé à l’avis d’Emma­
nuel Macron de lancer le chantier
du canal Seine­Nord, perçu par ici
comme « un aspirateur à conte­
neurs » et un « cheval de Troie » du
port d’Anvers, en Belgique. Mais le
candidat Philippe laisse entendre
qu’il pourrait influer en faveur de
l’implantation au Havre du siège
d’Haropa, instance de réunion
des ports de l’axe Seine. Paris et
Rouen lorgnent aussi ce butin.
« Le premier ministre a décidé que
la décision serait prise en avril,
souligne Edouard Philippe dans
un sourire. Il se trouve que Le Ha­
vre a des arguments sérieux. Je
pense que je pourrai les faire va­
loir, y compris auprès du premier
ministre. » Il y a parfois du bon à
ne pas différencier le candidat du
premier ministre.
olivier faye
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