Le Monde - 18.02.2020

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12 |france MARDI 18 FÉVRIER 2020


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Retraites : un marathon à l’Assemblée nationale


Au menu des discussions à partir de lundi, 75 articles, 29 ordonnances et... 41 000 amendements


A

réforme d’ampleur, dé­
bats inédits à l’Assem­
blée nationale. Les dé­
putés entament lundi
17 février la deuxième phase de
discussions parlementaires sur la
réforme des retraites. Après avoir
passé dix jours pleins en commis­
sion spéciale à débattre du texte,
ils se retrouvent à partir de
16 heures dans l’hémicycle. Théo­
riquement, le vote du texte est
prévu le 3 mars, mais personne ne
croit à ce délai au Palais­Bourbon.
Enième incertitude dans une
procédure dont les conditions
d’organisation questionnent et
seront invoquées lors de la vrai­
semblable saisine du Conseil
constitutionnel.
Mardi 11 février dans la soirée,
les débats en commission se sont
achevés sans atteindre la fin du
texte. « C’est une première depuis
2008 », note l’historien Christo­
phe Bellon, maître de confé­
rences en histoire contempo­
raine à l’Université catholique de
Lille, spécialiste de l’histoire par­
lementaire. Il constate aussi que
« c’est la première fois qu’il y a eu
une manœuvre d’obstruction en
commission ».
Les délais d’examen du texte
choisis par la majorité et le gou­
vernement étaient trop courts
pour passer en revue l’ensemble
des 22 000 amendements qui
avaient été déposés – un record
pour ce quinquennat –, dont
19 000 par le groupe de La France
insoumise (LFI). Au total, les dé­
putés en ont examiné 5 566.
« L’ensemble des sujets ont pu être
abordés même si on n’est pas allés
au bout de l’examen des articles
à proprement parler », relativisait,
mardi, Marie Lebec, vice­prési­
dente du groupe La République
en marche (LRM), renvoyant la
responsabilité de cette situation
au groupe LFI.
Comme le permet la Constitu­
tion dans ce cas de figure, les dé­
putés reprendront le texte à zéro
en séance publique, lundi, en tra­
vaillant à partir de la version du
gouvernement et non celle de la
commission. Et cette fois pas
moins de 41 000 amendements
ont été déposés – un nouveau
record –, dont 23 000 de LFI et
13 000 des communistes.
Les députés devraient donc sié­
ger les week­ends. Les vacances
parlementaires prévues à partir
du 6 mars, avant les élections mu­
nicipales, peuvent être annulées.
« Ça va durer le temps que ça du­
rera, mais on va devoir être tous et
toutes présents. (...) Ça va être un
combat et on va avoir besoin de
toutes les énergies », a prévenu
Guillaume Gouffier­Cha, rappor­
teur général LRM du texte, mardi
soir, lors d’une rencontre des dé­
putés de la majorité avec Macron.

Pour le député socialiste de
l’Ardèche Hervé Saulignac, cette
situation résulte des conditions
d’examen du texte imposées par
l’exécutif. « Une provocation à la­
quelle LFI [en déposant des mil­
liers d’amendements] répond par
une provocation, a­t­il expliqué
sur La Chaîne parlementaire mer­
credi. Il y a une concertation d’un
an et demi, puis un texte de
300 pages et une étude d’impact
de 1 000 pages déboulent quatre
jours avant le débat. »
Le délai d’examen du texte est
« extraordinairement court », se­
lon le constitutionnaliste Didier
Maus. Le texte a été présenté en
conseil des ministres le 24 janvier,
et les députés ont eu une semaine
pour l’étudier avant de proposer
des amendements.

« Cette réforme est un gruyère »
Le gouvernement a opté pour la
procédure accélérée, employée
quasiment pour tous les textes
depuis plusieurs années, mais qui
compacte les délais d’examen du
texte en les limitant à un aller­re­
tour entre l’Assemblée nationale
et le Sénat. Un calendrier justifié
par le souhait du gouvernement
de voir le projet de loi définiti­
vement voté « avant le début du
mois de juillet », explique Marc
Fesneau, ministre chargé des rela­
tions avec le Parlement. L’hémicy­
cle du Palais­Bourbon sera en ef­
fet hors d’usage cet été et jusqu’en
octobre en raison de travaux. Et
pas question pour l’exécutif de re­
porter de plusieurs mois l’abou­
tissement de ce feuilleton.
« Cela fait dix­huit voire vingt­
quatre mois que les termes du dé­
bat et les fondements de la réforme
ont été posés », rappelle toutefois
M. Fesneau. Le hic : les modalités
précises de sa mise en œuvre ne
sont pas toutes arrêtées. « Cette ré­
forme des retraites est un gruyère,
il y a plus de trous que de matière »,
ironisait Olivier Faure, premier
secrétaire du Parti socialiste, mer­
credi, devant l’Association des
journalistes parlementaires.
Plusieurs discussions sur des su­
jets­clés sont toujours en cours.
C’est notamment le cas sur un
point central : le financement à
court et moyen terme du système.
Il a été renvoyé à une confé­
rence réunissant les partenaires
sociaux et qui doit rendre ses
conclusions d’ici à la fin avril – soit

une fois que l’Assemblée aura fini
l’examen du texte en première
lecture. Idem pour d’éventuelles
avancées sur la pénibilité ou le
minimum de pension. « Tous les
jours arrivent de nouvelles propo­
sitions qui n’ont pas été discutées
ni mesurées. Plus ça va, moins cette
réforme est simple. On se demande
si c’est de l’amateurisme ou une vo­
lonté de brouiller les cartes », réagit
Régis Mezzasalma de la CGT. La ré­
forme « n’est pas prête, truffée d’or­
donnances, accompagnée d’une
étude d’impact lacunaire et ten­
dancieuse. (...) Vous devriez donc la
retirer, plutôt que de forcer le pas­
sage au Parlement », a dénoncé le
communiste Pierre Dharréville
(Bouches­du­Rhône), mardi, lors
des questions au gouvernement.
Les députés sont agacés. Le
texte de soixante­cinq articles
compte vingt­neuf ordonnances
qui, quoique fréquentes, les pri­
vent d’une partie de la rédac­
tion du texte. D’autant que le
Conseil d’Etat s’est lui­même
ému du recours à ce véhicule
« pour la définition d’éléments

structurants du nouveau système
de retraite », ce qui « fait perdre
la visibilité d’ensemble qui est
nécessaire à l’appréciation des
conséquences de la réforme et,
partant, de sa constitutionnalité
et de sa conventionnalité ».
A ces incertitudes se sont ajou­
tées les interrogations de certains
macronistes. Mercredi, deux pi­
liers de la commission des finan­
ces de l’Assemblée, Laurent Saint­
Martin et Emilie Cariou, ont écrit
au premier ministre pour deman­
der des réponses sur les implica­
tions financières de la réforme.

« Les députés vont voter dans le
noir! », a ironisé le président Les
Républicains (LR) du Sénat, Gé­
rard Larcher, mercredi sur la pla­
te­forme de vidéo Twitch. « C’est
dans le droit fil de l’élaboration de
cette réforme, il n’y a pas la volonté
de concerter les rouages basi­
ques de la démocratie politique »,
s’insurge le président (LR) de la
commission des finances de l’As­
semblée nationale, Eric Woerth.
Le renvoi à la « confiance » dans
le dialogue social a été constam­
ment invoqué par la majorité
pour justifier cette situation. « On
ne peut pas nous avoir reproché
pendant des mois de ne pas avoir
parlé avec les syndicats et ensuite
nous reprocher de discuter », as­
sène Marc Fesneau. « Les parte­
naires sociaux ne sont pas des ac­
teurs constitutionnels. Ce n’est pas
le Conseil économique, social et
environnemental [CESE] qui vote
la loi, mais l’Assemblée nationale
et le Sénat », rappelle toutefois le
constitutionnaliste Didier Maus.
« Je n’ai jamais vu ça sur un texte
aussi majeur qui va changer la vie

de millions de personnes. Ils ont
contraint les débats dans des limi­
tes rarement atteintes », se désole
un fin connaisseur des retraites.
« Des délais aussi courts ne sont
pas contraires au règlement, dit
Didier Maus. Mais si quand on
vote sur l’état d’urgence, on com­
prend l’urgence, là on ne peut pas
dire qu’on était à huit jours près.
Il n’est pas raisonnable de dire “on
a mis deux ans à monter un projet
et il faudrait que le Parlement déli­
bère en trois mois”. »

Débat illisible
« On est dans un climat où la dis­
cussion parlementaire est considé­
rée comme retardant une réforme
inéluctable ; on est dans une réduc­
tion des droits du Parlement, ren­
chérit Bruno Daugeron, profes­
seur de droit public à l’université
Paris­Descarte. Ça me semble mal­
sain : soit on considère que le temps
parlementaire est un temps où l’on
peut changer les choses, soit on
considère que c’est dans le pro­
gramme, décidé dans les ministères
et on supprime le Parlement! »
Tout cela risque d’aboutir,
comme en commission, à un dé­
bat illisible, dont la majorité s’in­
terroge sur la capacité à aboutir.
Dans ce contexte, le spectre de
l’utilisation de l’article 49.3 de la
Constitution, qui permet de pro­
voquer un vote sur un texte sans
le discuter, a ressurgi. Un objectif
visé par LFI : « On va faire en sorte
qu’ils ne puissent pas finir le 3 mars
ou alors qu’ils aient besoin du
49.3 », a déclaré Eric Coquerel.
Cette option divise franchement
la majorité. « Cela reviendrait à
tuer le débat », estime Marie Lebec,
vice­présidente du groupe LRM.
Pour Laurent Berger, secrétaire gé­
néral de la CFDT, « le 49.3 serait un
scandale ». « Le Parlement doit
avoir le temps nécessaire pour étu­
dier tous les amendements, dit­il
au Monde. S’il faut plus de quinze
jours, il faut plus de quinze jours. »
Dans ce contexte, cet ensemble
de facteurs pourrait être consi­
déré, en cas de saisine du Conseil
constitutionnel, comme une at­
teinte à la sincérité des débats.
« Chaque élément pris individuel­
lement n’est pas inconstitutionnel
mais c’est la juxtaposition qui créé
le risque, estime Didier Maus.
Le Conseil constitutionnel hésite
beaucoup à annuler la totalité
d’une procédure. » « S’il ne le fait
pas là, il ne le fera jamais, estime
un haut fonctionnaire. C’est
comme une arme de dissuasion
massive. C’est fait pour ne pas s’en
servir mais si vous êtes agressé et
que vous ne l’utilisez pas, elle de­
vient inutile. » Un risque qui n’in­
quiète pas l’exécutif. « Pas à ce
stade », précise Marc Fesneau.
raphaëlle besse desmoulières
et manon rescan

Habitat indigne : l’ex­adjointe au logement de Marseille épinglée


Le mari d’Arlette Fructus, actuelle vice­présidente de la métropole, loue des chambres considérées comme « impropres à l’habitation »


marseille ­ correspondant

E


n novembre 2018, le maire
Les Républicains (LR) de
Marseille, Jean­Claude
Gaudin, avait pointé la responsa­
bilité des « marchands de som­
meil » dans la catastrophe de la
rue d’Aubagne, qui venait de faire
huit morts dans l’effondrement
de deux immeubles dégradés du
centre­ville. Dix­huit mois plus
tard, six élus de sa majorité sont
désormais touchés par des affai­
res d’habitat indigne.
La dernière, révélée le 10 février
par le site d’investigation Mar­
sactu, concerne cette fois Arlette
Fructus, membre du Mouvement
radical, adjointe en charge du loge­

ment jusqu’à sa démission en jan­
vier. L’affaire implique également
Jacques Ansquer, administrateur
du Centre communal d’action so­
ciale nommé par le maire de Mar­
seille en 2014. L’ex­président de la
Banque alimentaire des Bouches­
du­Rhône est un des soutiens af­
firmés de la candidate LR aux mu­
nicipales, Martine Vassal.
En novembre 2018, M. Ansquer a
piloté, à la demande de cette der­
nière, les Assises citoyennes de
l’habitat. Cette consultation sou­
haitée par la présidente de la
métropole Aix­Marseille devait
apporter des réponses à la crise du
logement insalubre, qui a entraîné
l’évacuation de 4 000 Marseillais
dans plus de 350 immeubles.

Dans le quartier de Périer, au
9, rue Mireille, M. Ansquer loue
depuis des années une série de
chambres que le service d’hygiène
de la municipalité juge désormais
« impropres à l’habitation ». Des
pièces de moins de 9 m^2 , selon les
enquêteurs qui se sont rendus sur
place, non équipées de chauffage
fixe, ni de système d’aération,
dont certaines apparaissent forte­
ment dégradées et dont le loyer
oscille entre 300 et 400 euros. Mi­
chel Fructus, avocat et époux d’Ar­
lette Fructus, possède, lui, trois
chambres dans cette copropriété.
Interrogée, Arlette Fructus, qui
est toujours adjointe à la politi­
que de la ville et à la rénovation
urbaine et vice­présidente de la

métropole Aix­Marseille, expli­
que qu’elle ignorait l’existence de
ces chambres dans le patrimoine
familial. Les actes d’achat ne font,
en effet, apparaître que le nom de
son conjoint, avec qui l’élue est
toutefois mariée sous le régime
de la communauté des biens.

Arrêté préfectoral d’insalubrité
Dès le 11 février, le parquet de Mar­
seille a ouvert une enquête préli­
minaire pour « conditions d’hé­
bergement contraires à la dignité
de la personne ». Le cas du 9, rue
Mireille doit être rapidement
étudié par la commission dépar­
tementale de l’environnement,
des risques sanitaires et technolo­
giques. Un arrêté préfectoral d’in­

salubrité pourrait suivre. A un
mois des élections municipales,
l’impact de ces affaires à répéti­
tion se fait sentir. A gauche, la can­
didate du Printemps marseillais,
Michèle Rubirola, reproche ainsi à
Martine Vassal d’avoir confié la
responsabilité des assises de l’ha­
bitat à un « marchand de som­
meil ». Dans ses listes révélées ce
vendredi 14 février, la candidate
Les Républicains n’a retenu
aucun des élus concernés par ces
différents scandales. Ainsi le na­
geur médaillé olympique Frédé­
rick Bousquet, dont la presse mar­
seillaise révélait en janvier qu’il a
revendu, avec une plus­value de
52 %, un immeuble en péril à une
société contrôlée par la municipa­

lité, n’y figure pas. De même, les
conseillers municipaux Bernard
Jacquier, André Malrait et Thierry
Santelli, épinglés pour des loca­
tions d’appartements indignes.
Non concerné par les joutes mu­
nicipales, le conseiller régional Xa­
vier Cachard, dont Le Monde a ré­
vélé qu’il possédait un logement
dans un des immeubles effondrés
de la rue d’Aubagne a, lui, quitté sa
fonction de vice­président de la
collectivité tout en conservant
son mandat. En décembre 2019,
une pétition lancée par des uni­
versitaires a obtenu son rempla­
cement au sein du conseil d’admi­
nistration d’Aix­Marseille Univer­
sité, où il représentait la Région.
gilles rof

« Il n’y a pas
la volonté
de concerter les
rouages basiques
de la démocratie
politique »
ÉRIC WOERTH
député LR

Dans l’hémicycle,
les députés
reprennent le
texte en partant
de la version du
gouvernement
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