Le Monde - 18.02.2020

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INTERNATIONAL


MARDI 18 FÉVRIER 2020

0123


washington ­ correspondant

D

onald Trump exulte.
Plus que jamais en
campagne pour sa
réélection, le prési­
dent des Etats­Unis part, lundi
17 février, dans l’ouest du pays
pour une tournée qu’il va mettre
à profit en tenant trois meetings
de campagne dans l’Arizona, le
Colorado puis le Nevada, à la veille
de la primaire démocrate qui s’y
tiendra samedi. Donald Trump
avait fait de même dans l’Iowa et
le New Hampshire et il récidivera
en Caroline du Nord le 2 mars, à la

veille d’un Super Tuesday décisif
pour la course à l’investiture dé­
mocrate. Entre­temps, ce prési­
dent si sensible aux chiffres de ses
publics aura été gratifié à Ahme­
dabad, en Inde, par le premier mi­
nistre Narendra Modi, d’une dé­
monstration de force des mili­
tants de son parti nationaliste.
Libéré de l’affaire ukrainienne
depuis son acquittement par les
sénateurs républicains, le 5 fé­
vrier, rasséréné par la résilience
de l’économie américaine qui ne
montre pour l’instant aucun
signe de ralenti, même si sa
croissance reste inférieure aux
promesses du candidat républi­
cain en 2016, Donald Trump affi­
che une assurance qui le pousse
plus que jamais à mettre à
l’épreuve le cadre institutionnel
dans lequel sa présidence est
théoriquement insérée.

Pétition d’anciens fonctionnaires
Jeudi 13 février, il a ainsi remis en
question la pratique qui veut que
ses appels téléphoniques avec
des dignitaires étrangers soient
suivis en direct par ses con­
seillers. « Je pourrais y mettre fin,
parfois vingt­cinq personnes
écoutent », a­t­il déclaré. L’affaire
ukrainienne était partie du si­
gnalement d’un lanceur d’alerte
informé du marchandage pro­
posé par le président américain à
son homologue ukrainien, en
juillet 2019 : le déblocage d’une
aide militaire et une invitation à
la Maison Blanche, en échange
d’enquêtes par Kiev visant des
adversaires politiques de Donald
Trump.
La pression se concentre cepen­
dant sur le département de la jus­
tice. Les interventions publiques
de Donald Trump au bénéfice de
l’un de ses proches, Roger Stone,
accusé d’avoir menti au Congrès
et menacé un témoin dans l’af­
faire « russe » – les interférences
pendant la campagne de 2016 – en
ont témoigné. Elles ont contraint

l’attorney général des Etats­Unis
(ministre de la justice), William
Barr, à une mise au point specta­
culaire, le 13 février. « Avoir des dé­
clarations publiques et des Tweets
sur le département, sur les gens du
département, les hommes et les
femmes qui travaillent ici, sur les
affaires en cours au sein du dépar­
tement et sur les juges devant les­
quels nous avons des dossiers fait
qu’il m’est impossible de faire mon
travail et d’assurer aux tribunaux
et aux procureurs du département
que nous travaillons avec inté­
grité », a assuré cet ancien de l’ad­
ministration Bush père. « Je ne
peux pas faire mon travail ici, au
département, avec un commen­
taire de fond constant », a­t­il
ajouté, soucieux de dissiper
l’image d’une justice aux ordres
de la Maison Blanche.
Reprenant une citation de
William Barr, qui avait assuré que
le président ne lui avait jamais de­
mandé « de faire quoi que ce soit
dans une affaire pénale », Donald
Trump lui a répondu le lende­
main que « cela ne veut pas dire
que je n’ai pas le droit légal de le
faire en tant que président. Je l’ai,
mais j’ai jusqu’ici choisi de ne pas
le faire! ». Il a le mérite de la cons­
tance sur ce point : « Je peux faire
tout ce que je veux avec le minis­
tère de la justice », avait­il déclaré
en décembre 2017, lors d’un entre­
tien accordé au New York Times.
La démarche de William Barr n’a
d’ailleurs pas convaincu plus d’un
millier d’anciens fonctionnaires
du département de la justice. Ses
« actes sont malheureusement
plus éloquents que ses paroles »,
ont­ils estimé dans une pétition
rendue publique dimanche. « Les
dommages qu’elles ont causés à la
réputation d’intégrité du départe­
ment de la justice et à l’état de droit
obligent M. Barr à démissionner »,
ont­ils ajouté. Les interventions
publiques du président à propos
de Roger Stone, qui sera fixé sur
son sort jeudi, ne relèvent pas

uniquement de leur vieille com­
plicité. Donald Trump ne cache
pas sa volonté de réécrire à sa ma­
nière l’affaire « russe ». Pour cette
raison, il ne cesse de s’en prendre,
près d’un an après la remise de
son rapport, au procureur spécial
Robert Mueller. Ce dernier avait
conclu à la réalité de l’interfé­
rence russe, mais à l’absence de
coordination avec l’équipe de
campagne de Donald Trump.
Jeudi 13 février, le président amé­
ricain a une nouvelle fois dé­
noncé « une honte », assurant que
cet épisode devrait être « effacé ».

Mise sous tension
Le trouble créé à la justice est
comparable à celui suscité au dé­
partement d’Etat par la gestion
de l’affaire ukrainienne par le se­
crétaire d’Etat Mike Pompeo. Ce
dernier a toujours refusé de dé­
fendre publiquement l’ambassa­
drice à Kiev mise en cause par les
proches de Donald Trump, limo­
gée, puis attaquée par le prési­
dent lui­même. Dans les deux
cas, les rouages de l’Etat fédéral
ont été ou sont mis à l’épreuve
par la pratique du pouvoir de
Donald Trump.
Cette mise sous tension inter­
vient alors que la garde rappro­
chée du président ne cesse de ga­
gner en importance. Donald
Trump a ainsi rappelé auprès de
lui deux éléments essentiels de
sa campagne de 2016 : son ex­di­

rectrice de la communication
Hope Hicks, et son ancien assis­
tant John McEntee. La première
avait quitté la Maison Blanche
en 2018 pour rejoindre la direc­
tion de la chaîne conservatrice
Fox News, qui compte de nom­
breux partisans déclarés de
Trump. Le second avait été
évincé brutalement par John
Kelly, alors chef de cabinet du
président, après un problème
d’accréditation lié, à l’époque, à
sa pratique de paris en ligne.
John McEntee avait alors immé­
diatement rejoint l’équipe de
campagne de Donald Trump que
dirige Brad Parscale. Il y avait cô­
toyé le fils aîné du président, Do­
nald Jr., la compagne de ce der­
nier, Kimberly Guilfoyle, une an­
cienne de Fox News, et Lara
Trump, l’épouse d’Eric Trump, le
troisième enfant du président,
qui y sont très actifs. La présenta­
tion du plan concernant le conflit
israélo­palestinien par son gen­
dre Jared Kushner, en janvier, a
souligné la prééminence de ce
dernier à la Maison Blanche.
Hope Hicks travaillera d’ailleurs
sous son autorité. Le président,
enfin, ne manque jamais une oc­
casion pour louer le travail prêté à
sa fille Ivanka, conseillère à son
côté, régulièrement créditée de la
création de « 14 millions d’em­
plois », bien que le total des créa­
tions s’élève depuis trois ans à un
peu plus de 6 millions d’emplois.
Alors que la course à l’investi­
ture démocrate n’a, pour l’ins­
tant, pas encore produit la décan­
tation espérée par les adversaires
de Donald Trump, la passe favora­
ble traversée par ce dernier ne l’a
pas orienté vers une attitude plus
magnanime. Sa longue interven­
tion à la Maison Blanche, le 6 fé­
vrier, après son acquittement, a
été teintée de ressentiment.
Il ne cesse, depuis, d’accabler le
seul sénateur républicain à lui
avoir fait défaut, Mitt Romney
(Utah). Donald Trump a égale­

Donald Trump
montre la « une »
du « Washington
Post » annonçant
son acquittement
dans la procédure
d’impeachment,
le 6 février, à la
Maison Blanche.
JOSHUA ROBERTS/REUTERS

« Il m’est impossible
d’assurer
aux tribunaux
du département
que nous faisons
notre travail
avec intégrité »
WILLLIAM BARR
attorney general des Etats-Unis

ment vivement attaqué un séna­
teur démocrate élu de Virginie­
Occidentale et situé à la droite de
sa formation, Joe Manchin, dont
il espérait un vote en faveur de
son acquittement qui aurait pu
lui permettre de revendiquer une
exonération bipartisane.

Limogé de façon humiliante
Donald Trump s’est aussi montré
virulent à l’encontre de John
Kelly, qui avait pris ses distances
avec certaines de ses décisions, le
12 février, lors d’une conférence
dans une université du New Jer­
sey. L’ancien général des marines
avait notamment exprimé son
soutien à l’un des anciens con­
seillers de Donald Trump, le colo­
nel Alexander Vindman. Ce der­
nier a été limogé de manière hu­
miliante au surlendemain de
l’acquittement du président,
pour avoir témoigné devant le
Congrès dans l’affaire ukrai­
nienne. Il s’était alarmé de la te­
neur de l’échange téléphonique à
l’origine de la mise en accusation
du président. « Il a fait exacte­
ment ce que nous leur apprenons
à faire pendant toute leur carrière
(...). Il a dit à son chef ce qu’il avait
entendu », a assuré l’ancien chef
de cabinet.
Donald Trump a assuré sur
Twitter qu’il aurait dû se débar­
rasser plus tôt de John Kelly, pré­
sent à son côté de juillet 2017 à
janvier 2019, jugé pas à la hauteur
de sa tâche. Un autre limogé, John
Bolton, ancien conseiller à la sé­
curité nationale, s’en est ému.
« John et moi avons eu parfois des
désaccords, comme c’est courant à
ce niveau de responsabilités, mais
il a toujours servi fidèlement son
pays. Les conservateurs doivent re­
jeter les attaques sans fondement
contre lui », a­t­il écrit sur son
compte Twitter. Bien peu de voix
se sont élevées dans les rangs ré­
publicains, cependant, pour dé­
fendre l’ancien général.
gilles paris

Donald Trump tente d’accroître son pouvoir

Acquitté dans la procédure d’impeachment, le président américain teste maintenant les limites des institutions


LE  PROFIL


William Barr
A 69 ans, le républicain William
Barr est attorney général
(ministre de la justice) depuis
février 2019. Avant d’être nommé
par Donald Trump, il avait fait
un long passage dans le privé,
après avoir déjà occupé le poste
de procureur général des Etats-
Unis, sous l’administration de
George Bush, en 1992 et 1993.
M. Barr a été critiqué pour
sa gestion du rapport Mueller
sur les ingérences russes dans
la campagne de 2016. Avant
la publication du rapport, il en
a fait une synthèse qui minimise
les soupçons d’obstruction à
la justice de la part du président
américain. « Personne ne
m’obligera à faire quoi que ce
soit que je jugerai inapproprié,
ni les éditorialistes, ni le Congrès,
ni le président », avait-il assuré
devant le Sénat, en février 2019.
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