Le Monde - 18.02.2020

(ff) #1

20 |sports MARDI 18 FÉVRIER 2020


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A Dortmund, pas de nostalgie Thomas Tuchel


Mardi, l’entraîneur allemand du PSG affronte son ancien club lors des 8
es
de finale de la Ligue des champions

FOOTBALL
dortmund ­ envoyé spécial

C’

est un petit mot ve­
nant de l’anglais
aussi valable en Alle­
magne. « Nerd » :
terme à connotation souvent pé­
jorative, désignant un individu
obsédé de mathématiques et
d’informatique, au risque de se
couper de la société. A Dortmund,
divers interlocuteurs du Monde
ont eu recours à la même analo­
gie pour présenter l’Allemand
Thomas Tuchel. Un nerd du foot­
ball, selon eux. Un grand tacti­
cien. Mais un entraîneur sans le
supplément d’âme nécessaire.
Pas assez raccord avec le Borussia
Dortmund, objet de toute la fer­
veur locale, qu’il a quitté plus tôt
que prévu : en 2017, après seule­
ment deux saisons, à un an du
terme de son contrat.
Voilà maintenant que l’inté­
ressé s’apprête à revenir dans la
Ruhr. Cette fois comme entraî­
neur du Paris­Saint­Germain,
mardi 18 février, à l’occasion du
huitième de finale aller de la Li­
gue des champions. Il sera « ac­
cueilli amicalement ». Promesse
diplomatique de Michael Zorc, le
directeur sportif de son ancien
club, il y a deux mois.
La rédaction bénévole du site
Schwatzgelb.de attend les retrou­
vailles. Dans son local, entre un
baby­foot aux couleurs du club et
un barbecue entreposé, le fanzine
des supporteurs noir et jaune a
déjà eu l’occasion de travailler sur
le paradoxe Tuchel. Bilan sportif
indéniable : un titre en Coupe d’Al­
lemagne, une finale perdue, deux
places sur le podium du cham­
pionnat de Bundesliga et une atta­
que prolifique. Mais des relations
humaines plus compliquées.

« Emotion »
« A sa toute première conférence
de presse au Borussia, Tuchel
s’était lui­même présenté comme
quelqu’un qui entraînait avec
émotion. C’est ce qu’il avait dit.
Mais, cette émotion, il ne l’a pas du
tout laissée transparaître », re­
grette le rédacteur Kay­Uwe Hoff­
mann. « Il a eu très peu de contacts
avec les supporteurs », résume
Christian Fritzkowski, un autre
membre de la rédaction.
Qui cite, par ailleurs, un « bel
exemple » d’incompréhension
mutuelle : le 10 avril 2016, sur le
terrain de Schalke, le grand rival

de la région, Tuchel mettait au re­
pos les titulaires habituels (2­2,
score final). C’était pour tout mi­
ser sur un quart de finale décisif
contre Liverpool en Coupe d’Eu­
rope (défaite 4­3 et élimination).
« Certains supporteurs l’ont très
mal pris. Pour eux, le match le plus
important de l’année, cela reste le
derby de la Ruhr. Tuchel l’avait
sous­estimé. »
L’état­major du club n’a pas ré­
pondu à nos sollicitations. Lui
aussi a eu du mal avec Tuchel. Le
30 mai 2017, la direction annon­
çait la fin prématurée de son

contrat par une lettre ouverte de
Hans­Joachim Watzke, directeur
général. Le même jour, l’entraî­
neur ouvrait son propre compte
Twitter pour court­circuiter cette
communication (« Dommage que
cela ne continue pas », écrivait­il).
« Depuis, a­t­il beaucoup
tweeté? », feint de s’interroger
M. Fritzkowski. Réponse négative.
Même dans les pires circonstan­
ces, Tuchel et sa direction ont
manqué de concertation. Un
mois plus tôt, le 11 avril 2017, stu­
peur : un attentat à l’explosif vi­
sait le bus de l’équipe avant la ré­
ception de Monaco (quart de fi­
nale de Ligue des champions).
L’entraîneur exprimait très vite
son désir de ne pas rejouer le
match dès le lendemain, laissant à
sa hiérarchie cette responsabilité.
« Manière de passer pour le défen­
seur des joueurs et de présenter
Watzke comme un monstre », es­
time le journaliste Dietrich Schul­
ze­Marmeling, auteur de nom­
breux livres (non traduits) sur le
football, dont trois sur le Borussia.
Comme nombre de supporteurs,

Watzke regrette toujours Jürgen
Klopp (2008­2015) : deux titres de
champion d’Allemagne, une
coupe nationale, et une finale de
Ligue des champions, jusqu’à son
départ pour Liverpool. Or, « il n’y a
qu’un seul Jürgen Klopp dans le
monde », reconnaît Thomas
Krause, représentant d’un groupe
de supporteurs, le Fanclub Hein­
rich Czerkus. Sous­entendu : per­
sonne d’autre pour se mettre
aussi facilement dans la poche les
joueurs, les dirigeants et le public.

Personne d’autre, non plus, pour
taper le carton avec Watzke
autour d’une partie de skat, un jeu
de cartes populaire outre­Rhin.
Là où Tuchel paraissait plutôt fo­
calisé sur ses titulaires et « en re­
trait » de tout le reste, Klopp se
voulait « omniprésent » dans l’en­
vironnement du club, raconte
Kay­Uwe Hoffmann. « Parfois, au
lendemain d’un match, on pouvait
l’apercevoir sur le bord du terrain
pour regarder jouer l’équipe ré­
serve », se souvient M. Fritzkowski.

Aux célébrations de son premier
titre de champion, Klopp s’affi­
chait avec une écharpe : celle du
Fanclub Heinrich Czerkus, recon­
naissable à ses deux étoiles rouges
et au visage du résistant commu­
niste ayant travaillé à l’intendance
du club, avant d’être assassiné,
en 1945, par les nazis. Face à la gare
principale de la ville, un « musée
allemand du football » expose un
autre exemple de lien avec le pu­
blic : une photographie d’un sup­
porteur se faisant tatouer sur le
dos le visage de « Kloppo ».
Tuchel, lui, n’a pas eu le droit à
un surnom. Ni à un tatouage, jus­
qu’à preuve du contraire. Et il
n’est pas le seul à avoir souffert de
la comparaison. Depuis 2017, trois
autres entraîneurs ont déjà pris
place sur le banc du Borussia : le
Néerlandais Peter Bosz, l’Autri­
chien Peter Stöger et, à présent, le
Suisse Lucien Favre.
« Tuchel a donné l’impression de
quelqu’un de plus replié sur lui,
comme s’il s’agissait d’une petite
entreprise à lui seul », considère
M. Schulze­Marmeling. L’auteur
parle aussi tactique : « Klopp avait
mis en place un football très offen­
sif, avec un pressing permanent. »
Un football où il faut trimer dur.
Parfait, dans le contexte histori­
que : « Dortmund est maintenant
une ville de services, mais, avant,
il s’agissait surtout d’une ville
ouvrière. Et les petits­enfants ont
gardé cet ethos du travail. »
Le Westfalenstadion, à présent,
porte justement le nom d’une
société de services financiers :
Signal Iduna Park. Il fallait voir la
chorégraphie de la tribune sud,
vendredi 14 février, pour un sim­
ple match de championnat contre
Francfort (4­0). Et ce tifo repré­
sentant les vieux symboles de la
ville, comme surgis de nulle part :
l’ancienne grande brasserie et
l’ancien complexe sidérurgique.
Affluence en ce jour de semaine et
de Saint­Valentin : 81 365 specta­
teurs. Dont plus de 24 000 places
en « Sudtribüne », le gigantesque
« Mur jaune ».
Dans un entretien au quotidien
Die Welt, deux jours plus tard,
Thomas Tuchel évite d’« accorder
une trop grande signification » à
sa prochaine confrontation face
au Borussia Dortmund. Sans s’ap­
pesantir sur les contrariétés pas­
sées. « J’ai traité et analysé ces
choses, maintenant, elles restent
où elles se trouvent. »
adrien pécout

Manchester City : « L’UEFA a montré qu’elle prenait le sujet au sérieux »


Antoine Duval, chercheur en droit européen du sport, revient sur la sanction imposée au club anglais pour non­respect du fair­play financier


ENTRETIEN


L


e match judiciaire com­
mence, et il s’annonce
aussi crucial qu’une ren­
contre à élimination directe de
Ligue des champions. Vendredi
14 février, Manchester City, l’un
des clubs de football les plus ri­
ches du monde, a été exclu pour
les deux prochaines saisons de
Coupes d’Europe, par le « gen­
darme » financier de l’Union des
associations européennes de
football (UEFA). Motif? Avoir
commis de « sérieuses violations
en surévaluant les revenus issus
des contrats de sponsoring dans
ses comptes portant sur la période
2012­2016 ». Et avoir ainsi en­
freint les règles du fair­play fi­
nancier, un mécanisme introduit
en 2010 en vertu duquel les clubs
ne doivent pas dépenser plus
qu’ils ne gagnent.
Pour Antoine Duval, chercheur
en droit européen du sport à l’Ins­
titut Asser, aux Pays­Bas, cette dé­
cision constitue « le début d’une

histoire judiciaire », l’équipe
championne d’Angleterre en titre
ayant saisi le Tribunal arbitral
du sport (TAS) pour faire annuler
cette sanction.

Comment décryptez­vous
la décision prise par l’UEFA?
A­t­elle voulu envoyer un
message à d’autres clubs?
Tout part des « Football Leaks »
[publiés depuis novembre 2018
dans l’hebdomadaire allemand
Der Spiegel et mettant notam­
ment au jour le système fraudu­
leux mis en place par le club an­
glais pour gonfler artificiellement
ses recettes]. Ils ont révélé la fai­
blesse de l’UEFA et ses difficultés :
le fair­play financier était facile­
ment contournable, et même
quand l’instance avait des infor­
mations, elle n’était pas prête à
agir fortement.
Cette fois, elle a eu besoin de
montrer qu’elle prenait ce sujet
au sérieux. Surtout, les « Football
Leaks » ont montré des forts
soupçons de manipulations des

comptes de la part de Manchester
City pour contourner les règles, et
c’est la première chose que l’UEFA
a voulu sanctionner.

D’autres clubs, qui ont été
visés pour non­respect du fair­
play financier, comme le PSG,
ont­ils des raisons de s’inquié­
ter au vu de cette sanction?
Le message qui est adressé à
tous les clubs est que si vous tri­
chez, si vous ne donnez pas votre
véritable situation financière et
que l’UEFA arrive à mettre la
main sur les informations, la
sanction sera très sévère. Si, au
contraire, vous coopérez, l’UEFA
est prête à discuter et à trouver
des sanctions plus douces et
adaptées à votre situation. C’est
ce qu’il s’est passé avec le PSG [en
juin 2018, la chambre d’instruc­
tion de l’Instance de contrôle fi­
nancier des clubs avait décidé de
ne pas poursuivre le club, après
une enquête lancée à la suite
des recrutements de Neymar et de
Kylian Mbappé, à l’été 2017].

Avec le recours devant le TAS,
quelle chance cette sanction
a­t­elle d’être appliquée?
Le TAS devrait, dans un premier
temps, suspendre provisoire­
ment l’exclusion en attendant de
se prononcer sur le fond de l’ap­
pel. Il serait judicieux, au vu de
l’affaire et des conséquences, que
les débats des parties se tiennent
au printemps et que la décision
intervienne assez vite. Mais ce ne
sera pas avant l’été.
Sur le fond, le TAS a déjà conclu
que le fair­play financier était
compatible avec le droit de
l’Union européenne dans une
décision contre Galatasaray
[en 2016, le club turc avait con­
testé son exclusion de toute com­
pétition européenne pendant un
an et avait été débouté par le tri­
bunal]. Un renversement de ju­
risprudence serait très improba­
ble. Ce ne sera sans doute pas un
test au niveau du TAS.

Le recours de Manchester City
est­il donc sans espoir?

Pas nécessairement, il est pos­
sible que le Tribunal arbitral
du sport considère que la ma­
nière dont les règles ont été ap­
pliquées est problématique. Par
exemple, il pourrait considérer
qu’il y a une rupture d’égalité en
comparaison avec le traitement
du PSG par l’UEFA [une enquête
du quotidien américain New York
Times avait montré que l’ins­
tance n’avait pas fait beaucoup de
zèle lors de l’enquête]. Si le TAS
rend une décision favorable au
club anglais, ce serait plus sur
l’application des règles que sur
leur compatibilité avec le droit
de l’Union. C’est difficile à éva­
luer, car on ne connaît pas les dé­
tails des affaires dans ces deux
cas. Il y a un manque de transpa­
rence dans la manière dont les
affaires sont traitées. Ce serait
d’ailleurs une bonne chose si
l’audience au TAS pouvait être
publique.

Le fair­play financier est­il
assez solide juridiquement?

Manchester City a déjà affirmé
[dans des e­mails internes, publiés
lors des « Football Leaks »] qu’il se­
rait prêt à investir « 30 millions de
livres sterling [36 millions
d’euros] pour recruter les cin­
quante meilleurs avocats » pour
contester la décision devant les
instances européennes. Si le TAS
donne raison à l’UEFA, l’affaire
pourrait se retrouver devant les
instances européennes, comme
la Commission et la Cour de jus­
tice à Luxembourg.
Ce serait une bataille juridique
ouverte pour poser la question
fondamentale de la compatibilité
avec le droit de la concurrence et
le droit de la liberté d’entrepren­
dre prévus dans les traités euro­
péens. Ce serait là le vrai test pour
le fair­play financier. A titre per­
sonnel, je pense que l’UEFA peut
le démontrer. La décision de ven­
dredi est loin d’être la fin d’une
procédure, mais bien plutôt le dé­
but d’une histoire judiciaire.
propos recueillis par
florian soenen

Thomas Tuchel, entraîneur du PSG, au Parc des Princes, à Paris, le 9 février. THIBAULT CAMUS/AP

« Au Borussia,
Tuchel a donné
l’impression
de quelqu’un
de replié sur lui »
DIETRICH
SCHULZE-MARMELING
journaliste
et auteur allemand

La présence de Neymar incertaine


Après la victoire du PSG en quarts de finale de la Coupe
de France face à Dijon, mercredi 12 février, l’entraîneur du club
parisien, Thomas Tuchel, avait indiqué que Neymar n’était pas
certain de jouer le 8e de finale aller de Ligue des champions face
à Dortmund. En cause, sa blessure aux côtes, contractée face
à Montpellier au début du mois, qui fait toujours souffrir le Brési-
lien. Vendredi 14 février, Tuchel a ménagé le suspense : « Il ne va
pas arriver à Dortmund dans les meilleures capacités, en tout cas,
pas celles d’il y a deux semaines. Mais il va nous aider, c’est sûr. »
Le capitaine, Thiago Silva, s’est dit, lui, confiant sur la présence
de son compatriote : « Il est bien, il a fait une bonne semaine
de préparation et, mardi, je suis sûr qu’il va être là. »
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