Le Monde - 18.02.2020

(ff) #1

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FRANCE


MARDI 18 FÉVRIER 2020

0123


Mairie de Paris : Buzyn y va « pour gagner »


A quatre semaines


du premier tour,


l’ancienne ministre


de la santé remplace


Benjamin Griveaux


dans la course


aux municipales


Agnès Buzyn s’adressant à des militants LRM, à Paris, le 16 février. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

AGNÈS BUZYN 


«  EST EN SITUATION 


DE CHANGER 


L’ÉQUATION, 


DE FAVORISER LE 


RASSEMBLEMENT », 


VEUT CROIRE 


UN STRATÈGE 


DE LA MACRONIE


Des appels à plus de sévérité pour les atteintes à l’intimité sur Internet


Des élus et autres personnalités publiques veulent durcir la loi de 2016, qui prévoit une peine de deux ans de prison et 60 000 euros d’amende


L


e site sera resté moins de
trois jours en ligne : Porno­
politique, la plate­forme
sur laquelle l’artiste russe réfugié
en France Piotr Pavlenski a re­
vendiqué avoir publié deux vi­
déos intimes de Benjamin Gri­
veaux, a disparu du Web samedi
15 février, vingt­quatre heures
après le retrait de l’ancien secré­
taire d’Etat de la campagne pour
la Mairie de Paris.
Le site « a été bloqué par les
autorités françaises », a expliqué
M. Pavlenski sur Facebook, sa­
medi matin. « C’est ça, la liberté
de parole et d’expression! Mais je
ne laisserai aucun pouvoir dé­
truire ce à quoi j’ai mis tant d’ef­
forts et de temps. Et je promets à
tous les spectateurs et lecteurs de
Pornopolitique que la ressource
porno sera restaurée. »
Le site ne semble cependant pas
avoir fait l’objet d’une mesure
de blocage : il est totalement

inaccessible, quel que soit le pays,
et son serveur ne répond plus,
comme s’il avait été entièrement
effacé. Il était hébergé sur la pla­
te­forme israélienne Wix, qui
permet de créer rapidement des
sites Web simplifiés. Sollicitée
par Le Monde, l’entreprise n’avait
pas donné suite au moment de la
publication de cet article.

« Réguler les torrents de boue »
Contrairement à d’autres scan­
dales récents, dont la diffusion
d’e­mails de la campagne d’Em­
manuel Macron, les vidéos de
Benjamin Griveaux n’ont pas été
mises en ligne de manière ano­
nyme. M. Pavlenski avait signé la
plupart des articles publiés sur le
site avec deux autres personnes
se présentant sous leur vrai nom.
Le site utilisait également une
plate­forme commerciale sur
laquelle il faut s’inscrire et qui
est gérée par une entreprise, là

où les « MacronLeaks » avaient
été diffusés par le biais d’outils
permettant un anonymat beau­
coup plus grand.
Cette différence majeure n’a pas
empêché certains élus, ou encore
l’avocat Eric Dupont­Moretti, de
réclamer, dès samedi, des mesu­
res contre « l’anonymat sur les
réseaux sociaux ». Le député (La
Répulique en marche, LRM) du
Rhône Bruno Bonnell a ainsi fus­
tigé les « déviances que l’anony­
mat cautionne, comme la calom­
nie ou la diffamation », tandis que
le président (Les Républicains, LR)
du Sénat, Gérard Larcher, estimait
qu’il fallait « réguler les torrents
de boue qui se déversent sur les
réseaux sociaux ».
La publication en ligne d’images
intimes est déjà punie par la loi
française. Une loi de 2016 prévoit
une peine de deux ans de prison
et 60 000 euros d’amende pour
la diffusion de ce type d’enregis­

trements ; c’est plus sévère que
pour les atteintes à la vie privée
qui ne présentent pas de carac­
tère sexuel.

Initiative législative
Ces sanctions pourraient, en
théorie, concerner toutes les per­
sonnes ayant contribué à la dif­
fusion des vidéos. Mais les tribu­
naux l’appliquent essentielle­
ment aux personnes qui ont ini­
tialement mis le fichier en ligne.
Poursuivre l’ensemble des per­
sonnes ayant diffusé des liens
ver le site serait impossible : des
dizaines ou des centaines de mil­
liers d’internautes l’ont partagé
jeudi et vendredi, notam­
ment dans de très populaires
groupes Facebook du mouve­
ment des « gilets jaunes ». Selon
M. Pavlenski, certaines pages de
son site ont été vues par plus de
130 000 personnes avant qu’il ne
soit mis hors ligne.

Selon les informations de LCI,
un groupe de députés LRM réflé­
chit d’ores et déjà à une « initia­
tive législative » dès « la semaine
prochaine » pour « améliorer » le
texte de 2016.
Le gouvernement semble, lui,
vouloir prendre davantage de
temps : « La crise actuelle, comme
d’autres, interroge sur le respect
de l’Etat de droit dans un monde

numérique, écrit le secrétaire
d’Etat au numérique Cédric O.
Nous avons besoin d’une ré­
flexion collective sur ce sujet. Mais
la fin de l’anonymat (qui n’est sou­
vent qu’un “pseudonymat”) est
un mauvais combat, dangereux
et probablement vain. »
M. Pavlenski et sa compagne,
soupçonnée d’avoir été la des­
tinataire originale des vidéos mi­
ses en ligne, qui datent de 2018,
ont été placés en garde à vue
samedi. Elle a été prolongée di­
manche soir. M. Pavlenski était
recherché dans le cadre d’une
autre affaire – il est soupçonné
d’avoir donné des coups de cou­
teau à deux personnes, le 31 dé­
cembre 2019, lors d’une soirée
dans un appartement parisien.
Benjamin Griveaux a, lui, porté
plainte samedi pour « atteinte à
l’intimité de la vie privée » et une
enquête a été ouverte.
damien leloup

A P R È S L A R E N O N C I A T I O N D E B E N J A M I N G R I V E A U X


« LA FIN DE L’ANONYMAT 


(QUI N’EST SOUVENT 


QU’UN “PSEUDONYMAT”) 


EST UN MAUVAIS COMBAT, 


DANGEREUX ET 


PROBABLEMENT VAIN »
CÉDRIC O
secrétaire d’Etat au numérique

I


l est 20 heures, ce dimanche 16 fé­
vrier, et la pluie commence à tomber
devant la brasserie Mon Paris, où
Agnès Buzyn doit rencontrer pour la
première fois ceux qui feront campa­
gne avec elle. Pour se réchauffer et
faire arriver la candidate qui tarde, militants
et têtes de liste des arrondissements se met­
tent à scander « Agnès! »
Ils enchaînent avec Bella Ciao, puis hur­
lent « On va gagner! On va gagner! » Malgré
la pluie de plus en plus drue, ils sourient. Et
si cette victoire à laquelle ils ne croyaient
plus redevenait possible? Oui, « j’y vais pour
gagner », assure la nouvelle candidate.
Renverser la table. Repartir à zéro, et ten­
ter de remporter les municipales à Paris,
après des mois d’une campagne à moitié ra­
tée et l’abandon soudain de Benjamin Gri­
veaux à trente jours du scrutin. Telle est la
mission confiée par le président de la Répu­
blique, Emmanuel Macron, à Agnès Buzyn.
La ministre des solidarités et de la santé a
été choisie dimanche pour prendre au pied
levé la relève du candidat mis hors course
par la révélation d’une vidéo à caractère
sexuel. Elle a immédiatement démissionné
du gouvernement, et a été remplacée par le
député La République en marche (LRM) de
l’Isère Olivier Véran. Elle est désormais la
candidate officielle du parti présidentiel
dans la capitale, face notamment à deux
autres femmes, la socialiste sortante Anne
Hidalgo et Rachida Dati, la tête d’affiche du
parti Les Républicains (LR).

CRÉER UNE NOUVELLE DYNAMIQUE
Bombardée à la tête d’une équipe de quelque
500 candidats qu’elle découvre en partie,
Agnès Buzyn ne devrait guère toucher aux
listes déjà élaborées, qui doivent être dépo­
sées en préfecture avant le 27 février. Tout
juste devra­t­elle choisir un arrondissement
où être elle­même candidate. Peut­être le 17e,
à la place laissée par Benjamin Griveaux. Elle
pourrait revoir davantage le programme.
« On va sans doute enlever des trucs qui ne
collaient pas, comme le déménagement de la
gare de l’Est en banlieue », avance un élu.
L’objectif officiel ne consiste pas seule­

ment à sauver les meubles, après les diffi­
cultés en série de Benjamin Griveaux, passé
peu à peu du statut de favori à celui de troi­
sième ou quatrième candidat dans les in­
tentions de vote. A 57 ans, Agnès Buzyn est
chargée de créer une nouvelle dynamique.
« Elle est en situation de changer l’équation,
de favoriser le rassemblement », veut croire
un stratège de la Macronie. « Par son poids
personnel, elle peut modifier le rapport de
force, même si c’est dégradé et compromis »,
appuie un proche du chef de l’Etat.
Pas facile. Pour renforcer les chances de
la nouvelle venue, les macronistes ont tenté
de mettre un terme à la guerre fratricide
avec Cédric Villani, qui a tant compliqué la
tâche de son prédécesseur. Dès samedi, le
patron de LRM, Stanislas Guerini, a rencon­
tré le dissident. Plusieurs autres soutiens
d’Emmanuel Macron lui ont parlé : « Main­

tenant que Griveaux a renoncé, toi aussi tu
dois te retirer, pour qu’une nouvelle figure
puisse gagner », lui a dit l’un d’eux. « Si j’étais
Agnès Buzyn, je passerais dès ce soir un
coup de fil à Villani, conseillait, dimanche
après­midi, un responsable macroniste. Il
faut vraiment renouer le dialogue, et qu’il
réintègre l’équipe. »

VILLANI NE COMPTE PAS S’EFFACER
Une demi­heure plus tard, l’ancien mathé­
maticien douchait cependant les espoirs de
réconciliation rapide. Même s’il n’a aucun
contentieux avec elle, pas question de s’effa­
cer derrière Agnès Buzyn. « Le 15 mars, au pre­
mier tour, il y aura des bulletins de vote des
candidats de Cédric Villani », a fait savoir son
équipe. Et de critiquer vivement la décision
présidentielle : « Après de longs conciliabules,
l’appareil LRM finit par choisir une candidate

qui n’aura que quatre semaines pour se
plonger dans les dossiers parisiens. Ce choix
fragilise l’exécutif en pleine crise sanitaire,
au détriment d’un rassemblement et d’une
victoire possibles derrière Cédric Villani. On
ne s’improvise pas maire de Paris à trente
jours de l’échéance. »
S’il doit intervenir, le rapprochement entre
les deux camps macronistes n’aura donc
lieu qu’au second tour. Et l’alliance paraît
très incertaine, tant Cédric Villani et son
équipe ont de ressentiment à l’égard du
parti. Ils défendent en outre une ligne un peu
plus à gauche que celle de LRM, et envisagent
dans ce cadre de s’entendre plutôt avec les
écologistes menés par David Belliard.
Agnès Buzyn peut­elle gagner malgré tout?
L’Elysée, Matignon et les dirigeants du parti
estiment en tout cas qu’elle est de loin la
mieux placée. « Seule Agnès Buzyn est à
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