Libération - 17.02.2020

(Martin Jones) #1

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C


ela paiera... un jour. La droite
s’en persuade : renvoyer dos
à dos l’exécutif et son opposi-
tion de gauche la positionnera, aux
yeux de l’électorat réformateur,
comme le seul acteur raisonnable du
dossier des retraites. En séance, les
députés LR diront donc tout le mal
qu’ils pensent d’une réforme jugée
«bâclée» et d’un calendrier des dé-
bats qu’ils trouvent «intenable». Sans
suivre pour autant leurs collègues
insoumis dans la stratégie de l’en-
gorgement. «Je pense qu’on aura en-
tre deux et trois mille amendements
en séance (2 197) , une centaine portés
par le groupe et le reste par les dépu-
tés individuels, anticipe le président
du groupe LR à l’Assemblée natio-
nale, Damien Abad. Cela fait une
trentaine d’amendements pour cha-
cun de nos 104 députés, donc on n’est
pas du tout dans l’obstruction.»
Mais pas d’indulgence vis-à-vis d’un
exécutif qui «dit aux députés : votez
ce texte et surtout votez le vite, parce
qu’on a autre chose à faire», a pré-
venu jeudi le président de LR, Chris-

très macronisées, notamment en Ile-
de-France, s’interdiront de voter
comme LFI et le PS. Surtout après un
mouvement de grève qui a fait ch...
tout le monde.» Improbable, estime
pourtant Abad : «On n’a pas défini de

position de vote pour l’instant car la
priorité est d’obtenir des conditions
dignes de débat. Mais si rien ne
bouge, je ne vois pas qui s’abstien-
drait parmi nous.»
DOMINIQUE ALBERTINI

tian Jacob. En séance, la droite
concentrera son effort sur «six ou
sept amendements clés», visant no-
tamment à allonger la durée de tra-
vail, accélérer l’extinction des régi-
mes spéciaux, préserver les régimes
autonomes tels que celui des avo-
cats, ou encore mettre en place un
«régime universel de pénibilité»
ouvrant droit à des départs anticipés


  • la touche «droite sociale» de ri-
    gueur dans le LR post-Fillon. Ces
    points figuraient dans un contre-
    projet présenté par le parti mi-dé-
    cembre, en plein mouvement social.
    LR, qui renvoyait déjà dos à dos gré-
    vistes et exécutif, rejouera dans l’hé-
    micycle une partition similaire.
    «Macron considère que tant qu’il a un
    Philippe Martinez
    [secrétaire général
    de la CGT, ndlr] face à lui, une partie
    de l’électorat de droite le soutient
    , es-
    time Abad. Donc ça lui va très bien
    que Mélenchon prenne la place de
    Martinez à l’Assemblée.»

    Moins immédiatement lisible que
    l’opposition insoumise, cet entre-
    deux reflète les contraintes stratégi-
    ques de la droite. Celle-ci sait qu’une
    partie de ses sympathisants voient
    la réforme d’un bon œil. Au point
    qu’un petit nombre de députés LR
    pourraient s’abstenir sur le texte, se-
    lon un membre du groupe : «Cer-
    tains dont les circonscriptions sont


LR préfère dire non à tout le monde


Pour la droite, l’enjeu est
de trouver l’équilibre entre
opposition au texte et
assurance d’une volonté
de réforme des retraites.

Edouard Philippe
face aux députés
lors des questions
au gouvernement,
en décembre 2018.
PHOTO ALBERT FACELLY

Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale en octobre. PHOTO DENIS ALLARD

U


ne attaque sur tous les
fronts. Les députés installés
à gauche de l’hémicycle
se retroussent les manches pour
accueillir la réforme des retraites.
La victoire paraît compliquée face
au rouleau compresseur En mar-
che. Mais les gauches tentent d’ou-

vrir les portes et les fenêtres du
Palais-Bourbon pour se faire en -
tendre. Ils souhaitent prouver au
monde entier que l’avenir des
retraités s’annonce sombre.

Bataille. Ce lundi matin, une soi-
xantaine de députés (il en faut 58,

comme pour une motion de cen-
sure) doivent déposer une motion
référendaire avant l’ouverture de
la séance. Les communistes, in-
soumis et socialistes sont en pre-
mière ligne. L’idée est née la se-
maine passée, dans les colonnes
du journal l’Humanité , avec un
chiffre clé : 67 % des Français sou-
haitent un référendum. L’opposi-
tion n’y croit pas vraiment, elle sait
que le pouvoir ne prendra pas le
risque de convoquer une élection
qui pourrait dépasser le sujet des
retraites et se transformer en rè-
glement de compte à l’endroit du
président de la République. Le dé-
puté insoumis Eric Coquerel dit
seulement : «Notre devoir est d’uti-
liser tous les outils pour stopper
cette réforme.»
A l’intérieur de l’hémicycle, la ba-
taille s’annonce âpre et longue. Les
députés de La France insoumise
ont déposé 12 904 amendements et
le chiffre atteint 15 797 en y ajou-
tant ceux des communistes et des
so cialistes. Les marcheurs dénon-
cent une «obstruction» et les gau-
ches se marrent. Elles ne cachent
pas le double objectif : lever «tous
les lièvres» du texte et maîtriser le
temps. «La majorité veut aller au
plus vite, si possible avant les muni-
cipales, pour ne pas se faire punir
dans les urnes, mais ce n’est pas une
manière de faire. La réforme est

importante donc nous devons pren-
dre le temps de débattre», explique
un député socialiste.

Baston. Ce lundi après-midi, les
insoumis organisent une «une as-
semblée populaire» sur la place du
Président-Edouard-Herriot. Au pro-
gramme, plusieurs prises de parole
de politiques, syndicalistes et gré-
vistes. LFI a toujours tenté de conci-
lier l’Assemblée nationale et la rue.
Pas toujours une réussite.
Si les députés de la gauche de l’hé -
micycle s’accordent contre Macron,
ils se divisent sur la ligne. Le député
Coquerel estime que le climat actuel
est «mûr» pour la baston et que
l’heure est venue de mélanger les
colères afin de tordre le bras au gou-
vernement. Les socialistes, eux,
mettent en doute cette stratégie. Ils
estiment que l’espace s’est «ouvert»
cet hiver, durant les grèves, mais
qu’il s’est «refermé».
Et Jean-Luc Mélenchon et les siens,
qui souhaitent déposer rapidement
une motion de censure contre le
gouvernement, ne peuvent le faire
sans les communistes et les socia-
listes. Il y a de nombreuses discus-
sions sur le sujet. Pour la présidente
du groupe PS, Valérie Rabault, il est
trop tôt. Le «débat d’abord», dit-elle.
Une réponse qui irrite les insoumis.
Et les oblige à être patients.
RACHID LAÏRECHE

A gauche, les députés unis pour s’opposer


Dans l’hémicycle,
communistes, insoumis
et socialistes tentent de
contrer la majorité. Un
front commun contre
Macron qui n’empêche
pas les divergences.
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