Libération - 17.02.2020

(Martin Jones) #1

18 u Libération Lundi 17 Février 2020


A


u loin, un horizon ondulé et
verdoyant. Celui dessiné par
la cime du puy de Dôme,
volcan majestueux et endormi, dans
le ciel bleu d’un matin d’hiver. Voilà
le paysage que peuvent observer les
«longues peines» de la prison de
Riom, en Auvergne-Rhône-Alpes,
depuis la fenêtre de leur cellule indi-
viduelle. Une «chance», à en croire
le taxi qui nous dépose devant l’éta-
blissement pénitentiaire flambant
neuf, en périphérie de la ville
de 19 000 habitants. Ni miradors ni
filins anti-hélicoptère : ici, la popu-
lation pénale présente «un degré de
dangerosité modéré», écrivait le
Contrôleur général des lieux de pri-
vation de liberté à l’été 2017 dans un
rapport de visite de cette prison in-
augurée un an et demi plus tôt.
Derrière les murs, entre 550
et 650 détenus au total : de la mai-
son d’arrêt, où sont affectés séparé-
ment les hommes et les femmes en
attente de leur procès ou condam-
nés à moins de deux ans de prison,
au centre de détention où sont pla-
cés les condamnés à plus de

de peine (PEP) souligne : «Comment
pourraient-ils échapper à la stigma-
tisation en détention, alors qu’ils
sont d’abord rejetés par la société ?»
Beaucoup ont perdu leur famille
après la révélation des faits, d’autres
ont la trouille de représailles : «J’ai
l’impression d’être épié à chaque
coin de rue, de pouvoir prendre un
coup de fusil à tout moment», a con-
fié un détenu après une permission
encadrée.

TRAVAIL DE FOURMI
Le matin de notre arrivée, un prison-
nier qui s’était porté volontaire pour
échanger avec nous fait finalement
défection. La crainte d’être pointé du
doigt parcourt son courrier de bout
en bout : «Je ne tiens pas à ce que l’on
sache pourquoi je suis ici. [...] Je ne
suis pas un prédateur sexuel», se dé-
fend-il, craignant d’être réduit à
cette figure monstrueuse. Un dis-
cours symptomatique chez les dé-
linquants et criminels sexuels, entre
honte de soi, déni partiel ou total des
faits et peur d’être jugé.
«Il y a un véritable travail d’accepta-
tion et de reconnaissance des faits à
engager avec les AICS, qui ont par-
fois tendance à minimiser leurs ac-
tes», rebondit Nathalie Grand, la
responsable du service pénitentiaire
d’insertion et de probation (SPIP) du
Puy-de-Dôme. Surtout lorsque les

faits se sont déroulés dans un huis-
clos familial qui a fini par voler en
éclats. «Ces infractions de l’ordre de
l’intime restent encore taboues»,
commente la directrice de l’établis-
sement, Magalie Brutinel.
Depuis la loi du 17 juin 1998 «rela-
tive à la prévention et à la répres-
sion des infractions sexuelles ainsi
qu’à la protection des mineurs», les
AICS peuvent être condamnés à un
suivi socio-judiciaire, assorti d’une
injonction de soins. Selon la chan-
cellerie, cette peine visant à préve-
nir la récidive est ordonnée pour
plus d’un auteur de viol sur deux.
Durant sa détention, une personne
condamnée peut toutefois ne pas
consentir à une prise en charge so-
ciale, médicale et psychologique.
Or, «si aucun travail n’a été entamé,
quand la personne va passer du de-
dans au dehors, ça va être compliqué
de pouvoir gérer toutes les émotions
et excitations qui vont survenir»,
prévient une psychologue. «Dès le
départ, on va donc inciter le détenu
à se faire soigner», explique Magalie
Brutinel. Un travail de fourmi et
d’accompagnement qui passe aussi
par des leviers comme la perspec-
tive d’une réduction de peine, d’une
libération conditionnelle ou l’ob-
tention d’une permission.
Une fois éliminée la possibilité
d’une pathologie psychiatrique (il

Par
CHLOÉ PILORGET-
REZZOUK
Envoyée spéciale à Riom
(Puy-de-Dôme)
Photos ALBERT FACELLY

deux ans d’enfermement. Lors de
notre visite, ils étaient 162 – unique-
ment des hommes – dans ce quar-
tier. Parmi eux, plus de la moitié
sont des «auteurs d’infraction à ca-
ractère sexuel» (AICS). Autrement
dit des violeurs, des pédocriminels,
des pères ou beaux-pères inces-
tueux, des détenteurs d’images pé-
dopornographiques... Et pour
cause, Riom est l’un des 23 établis-
sements pour peine (sur 96) labelli-
sés dans leur prise en charge et rat-
tachés à un établissement
de santé afin d’assurer
un suivi psychologi-
que et médical
adapté. Alors que
12 000 condamna-
tions pour crimes
et délits sexuels
sont prononcées
chaque année, selon
la Fédération fran-
çaise des centres de res-
sources pour les interve-
nants auprès des auteurs de
violences sexuelles (Criavs), com-
ment sont suivis ceux que leurs co-
détenus traitent de «pointeurs»?
Des coursives au terrain de pétan-
que, on croise quelques silhouettes
bedonnantes, des crânes dégarnis
et des tempes grisées par le temps.
L’âge moyen des prisonniers
condamnés pour des infractions

sexuelles s’élève à 47,3 ans, contre
32 ans en moyenne pour les autres
détenus, selon les chiffres transmis
par le ministère de la Justice à Libé-
ration. Car entre le temps des victi-
mes, dont la parole peut mettre des
années à se libérer, et le temps de la
justice, les AICS sont souvent
condamnés des années après la
commission des faits.
Derrière les barreaux, ceux qui oc-
cupent le bas de l’échelle carcérale


  • loin derrière l’aura des braqueurs –
    font souvent l’objet
    d’une ostracisa-
    tion qui passe par
    la violence verbale,
    voire physique.
    «Y a pas de gros
    bras, ici, se félicite
    Michel (1), cheveux
    en brosse et look
    tiré à quatre épin-
    gles. Avant, à la mai-
    son d’arrêt, c’était plus
    compliqué... La cour de pro-
    menade n’était pas protégée : on se
    faisait tout le temps traiter de “poin-
    tus”.»
    Auprès de ses codétenus, Mi-
    chel préfère donc cacher les raisons
    de sa présence, même si «un jour ou
    l’autre, ça finit toujours par se sa-
    voir. Entre les réseaux sociaux, les
    parloirs avec la famille, la presse et
    les rediffusions à la télé...»
    Une psy-
    chologue du parcours d’exécution


10 km

PUY
DEDÔME

Clermont-
Ferrand

ALLIER

LOIRE

HAUTE
CANTAL LOIRE

CORRÈZE

CREUSE

Riom

Dans la prison de Riom, dans le Puy-de-Dôme,


où la majorité des «longues peines» ont commis des


infractions sexuelles, un suivi psychologique est


mis en place. Le but : aider les condamnés à prendre


conscience de leurs actes et prévenir la récidive.


Dans l’établissement pénitentiaire flambant neuf, ni miradors ni filins

REPORTAGE


CRIMES ET DELITS SEXUELS


«Faut que


tu te bouges,


que tu te soignes»


FRANCE

Free download pdf