Libération - 17.02.2020

(Martin Jones) #1

Libération Lundi 17 Février 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 19


Dans une cellule du centre pénitentiaire de Riom.

y en a très peu), on prend en charge
au cas par cas. Il y a des détenus
«lisses» que rien n’accroche, des
«pervers» – qui viennent plus rare-
ment consulter. Mais pas de profil
type, si ce n’est que ce sont majori-
tairement des hommes (lire ci-con-
tre). Beaucoup partagent une souf-
france notable, une faible estime
d’eux-mêmes, «des environnements
affectifs et éducatifs carencés», des
«failles narcissiques», énumère un
psychiatre de l’unité sanitaire. Et
«une proportion non négligeable
d’auteurs ont subi des violences
sexuelles durant leur enfance», sou-
ligne-t-il. En revanche, très peu
prennent des traitements chimi-
ques, assure le médecin, à l’excep-
tion d’antidépresseurs.

PRISE DE CONSCIENCE
Pour ce psychiatre, «la reconnais-
sance des faits est un élément très
important». C’est même la première
étape d’un long travail de compré-
hension des origines et des condi-
tions du passage à l’acte. «Quand on
m’a arrêté, j’ai commencé par nier»,
se souvient Alain (1), qu’on rencon-
tre dans un parloir familial de quel-
ques mètres carrés, dessins d’en-
fants aux murs. Il a fallu presque
trois ans à celui qui voit le psy une
à deux fois par mois pour «sortir les
mots», «tout balancer». Les mains

agitées, il déplie une lettre, liste en
quatre points : prise de conscience,
engagement, responsabilité, par-
don. On dirait qu’il récite. Il dit : «Ça
a pris du temps d’accepter de se par-
donner soi-même.» Et les victimes?
Le procès a été dur, souffle-t-il.
«Tout ce que je leur souhaite, c’est

d’avoir une vie de femme, qu’il n’y ait
pas de séquelles...» «Au départ,
j’étais totalement dans le déni», ra-
conte à son tour Michel, qui a vécu
son incarcération comme «un coup
de bambou». Le début d’une prise de
conscience : «Par devoir pour ma fa-
mille, je me suis dit : faut que tu te

b o u g e s , q u e t u t e s o i g n e s. »
Aujourd’hui, s’il n’a pas «tout résolu»


  • «Est-ce que ça peut l’être ?» –, ce
    quinquagénaire affirme avoir réalisé
    les «dommages collatéraux énor-
    mes»
    de ses actes. Il parle beaucoup,
    comme Alain, de sa propre vie qui a
    volé en éclats : famille, amis, statut
    social. Mais n’a que peu de mots
    spontanés pour les victimes, même
    s’il finit par lâcher : «J’ai commis
    quelque chose, je ne suis pas victime.
    Il ne faut pas confondre les rôles.»
    Le
    médecin psychiatre rappelle : «En
    tant que thérapeute, on n’est pas là
    pour juger.»
    Même si cela implique
    parfois de lutter contre soi-même.
    Comme cette fois où un soignant a
    noté la présence d’un patient pédo-
    phile, dont il assurait le suivi hors de
    la prison, sur une ligne de bus régu-
    lièrement empruntée par sa fille.


OUTILS LUDIQUES
Depuis octobre 2019, des groupes de
parole ont été mis en place dans le
cadre d’un programme de préven-
tion de la récidive pour les condam-
nés pour viol ou agression sexuelle
sur mineur. «L’introspection est sou-
vent difficile. Ils développent des mé-
canismes de défense : si certains in-
tègrent la gravité des faits qu’ils ont
commis, ils s’effondrent», raconte la
conseillère pénitentiaire d’insertion
et de probation (CPIP) en charge de
l’animation des séances.
Dès la première réunion, un détenu
s’est désisté : «Je ne veux pas parler
de mes faits devant les autres», a-t-il
invoqué. «Ça peut les confronter à
certaines choses qu’ils n’acceptent
pas», commente la CPIP. Autour
d’outils ludiques, ils sont une petite
dizaine à se pencher sur les condi-
tions de leur passage à l’acte, la ges-
tion de leurs émotions, la place de la
victime dans leur discours ou leur
représentation de la femme.
Qu’est-ce qui fait que je vais devenir
violent? Comment puis-je l’empê-
cher? «Les délinquants sexuels ap-
prennent parfois un discours par
cœur : “J’ai fait du mal, je ne récidive-
rai pas”, note la CPIP. Mais ne se ren-
dent pas compte qu’ils peuvent re-
commencer à la sortie, au contact de
nouveaux stimulus.» Alors on réflé-

chit à des «stratégies d’évitement»,
aux codes sociaux... «Ce sont des per-
sonnes qui n’ont pas intégré la loi et
ses interdits. Pour eux, la victime n’est
pas considérée comme une personne
mais comme un objet», analyse Na-
thalie Grand. Car c’est toute la ques-
tion : comment limiter les risques de
récidive? Et comment préparer le
passage du dedans au dehors après
une longue peine (le quantum
moyen d’une peine pour viol s’élève
à 9,6 ans)? «Certains ont peur de sor-
tir. La libération est quelque chose de
très angoissant pour eux», rapporte
la directrice de l’établissement.
«C’est compliqué, la prison est un mi-
lieu protecteur, dit Michel. L’exté-
rieur, on en rêve... mais il faut s’y ré-
habituer.» Notamment parce que
pour les détenus en proie à des pul-
sions pédophiles, l’extérieur est une
tentation permanente. Médiathè-
que, piscine, cinéma, parc, club de
sport, école... La liste des lieux inter-
dits ou à risque est vertigineuse.
En sus d’être inscrits au Fichier des
auteurs d’infractions sexuelles ou
violentes, certains, interdits dans le
cadre de leur suivi sociojudiciaire
d’exercer leur ancien métier, se réo-
rientent professionnellement à la
sortie de prison. Pas toujours suffi-
sant. «On travaille avec eux là-des-
sus, mais une fois en milieu ouvert,
ils peuvent contourner ces interdits»,
reconnaît Nathalie Grand. Comme
cet ancien instituteur qui s’est ins-
crit dans un club de sport.
Autre difficulté : il n’est pas rare qu’il
faille organiser un passage direct de
la prison à l’Ehpad. «La sortie, c’est
le vrai point noir», concède le psy-
chiatre de l’unité sanitaire : «Tôt ou
tard, même si on incite ou oblige aux
soins à la sortie, le patient va devenir
acteur de son suivi. Notre mission est
réussie s’il y a continuité des soins.»
En matière de récidive, le taux
s’élève à près de 5 % pour les
condamnés pour des crimes
sexuels, et autour de 23 % pour les
délits sexuels, d’après les données
de la chancellerie en 2017. Dans cinq
régions, dont l’Auvergne, un nu-
méro vert est testé à l’initiative des
Criavs depuis l’automne pour aider
les personnes attirées sexuellement
par les enfants avant qu’elles ne bas-
culent. Et le médecin-chef de souli-
gner : «Si on veut prévenir les violen-
ces sexuelles, il faut que l’on puisse
traiter ces troubles.» •

(1) Les prénoms ont été modifiés.

UNE MAJORITÉ
D’HOMMES
En France, au 1er janvier 2019,
on comptait 7 811 détenus
auteurs d’infraction à
caractère sexuel, soit 14 % de
la population pénale. Au total,
les 23 établissements
spécialisés dans leur prise
en charge accueillent
2 980 condamnés, dont
seulement 26 femmes.
A peine plus de 1 % des
condamnés pour viol ou
agression sexuelle sont des
femmes. Un chiffre sans doute
sous-estimé en raison du
tabou autour de la question.

anti-hélicoptère : ici, la population pénale présente «un degré de dangerosité modéré».

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