Libération - 17.02.2020

(Martin Jones) #1

2 u Libération Lundi 17 Février 2020


I


l fallait une «personnalité incontestable»
susceptible de mettre tout le monde d’ac-
cord. Macron et ses stratèges en ont
conclu que ce devait être Agnès Buzyn. Un
choix risqué. Reçue ce week-end par le chef
de l’Etat, la ministre des Solidarités et de la
Santé n’a-t-elle pas elle-même répété jusqu’à
ces derniers jours que ses responsabilités ne
lui laissaient pas la possibilité de s’engager
dans cette bataille? En pleine crise de l’hôpi-
tal public, alors que commence ce lundi le dé-
bat sur la réforme des retraites et que l’épidé-
mie de coronavirus est encore loin d’être
vaincue, ces réticences avaient été bien com-

prises. «Mon agenda est trop chargé», déclarait
Agnès Buzyn elle-même la semaine dernière
pour expliquer sa décision de passer son tour
aux municipales. La chute de Griveaux a tout
chamboulé. Après trois jours d’intenses trac-
tations entre l’équipe de campagne, la direc-
tion du parti et le chef de l’Etat, le nom de Bu-
zyn s’est imposé alors que plusieurs
lieutenants de Griveaux (le député Mounir
Mahjoubi ou le sénateur Julien Bargeton)
étaient déjà en campagne.
Annoncé dimanche après-midi, le choix de
Buzyn est une déception pour ceux qui espé-
raient que la catastrophique élimination de
Griveaux serve d’électrochoc et rende possible
la réunification des marcheurs, divisés par la
dissidence de Cédric Villani. «J’en ai envie, j’y
vais pour gagner», a déclaré pour sa part
Agnès Buzyn à l’AFP. Que pouvait-elle dire

d’autre? Dans la foulée, la direction de La Répu-
blique en marche faisait savoir qu’elle quittait
son ministère. Et le gouvernement a annoncé
la nomination du député et médecin Olivier
Véran pour la remplacer. Pour ne pas perdre
la face dans la périlleuse bataille de la capitale,
les dirigeants de la majorité ont considéré que
le gouvernement pouvait être remanié au plus
mauvais moment. L’opposition n’a pas man-
qué de s’indigner. «Ce n’est pas sérieux, à la li-
mite de l’irresponsabilité. On a le sentiment
que le parti prime sur l’intérêt national : il
s’agissait de sauver LREM», juge le socialiste
Jean-Louis Missika, adjoint d’Anne Hidalgo.
Amer, le camp Villani constate que «l’appareil
LREM» préfère «fragiliser l’exécutif en pleine
crise sanitaire» plutôt que de rendre possible
«un rassemblement». Les adversaires de Bu-
zyn notent avec gourmandise qu’elle n’a que

quatre semaines pour se plonger dans les dos-
siers parisiens et deux semaines avant d’af-
fronter les autres candidats pour le premier
débat télévisé. Pour défier Anne Hidalgo, le
nom d’Agnès Buzyn circule depuis plusieurs
mois. Convaincu que Griveaux ne faisait pas
l’affaire, François Bayrou l’avait évoqué dès
octobre comme possible «plan B» : «On ne peut
pas continuer dans la situation d’obstination,
de blocage, où l’on se trouve» , déclarait le pa-
tron du Modem. Selon lui, la cancérologue
Agnès Buzyn dispose des qualités d’empathie
qui manquent à Griveaux. Ex-belle-fille de Si-
mone Veil, elle aurait, de par son parcours fa-
milial et professionnel, le bon profil pour aller
à la rencontre de l’électorat parisien.

CONTINUER L’AVENTURE
Novice en politique, elle s’exprime avec une
douceur et une retenue qui tranchent avec le
style de la plupart des animaux politiques.
Mais son parcours montre qu’elle ne manque
pas d’ambition : cheffe de l’Institut national
du cancer puis de la Haute Autorité de santé,
elle confie que si la politique lui paraît parfois
violente, ce n’est pas grand-chose pour une
médecin qui a dû «annoncer des diagnostics
épouvantables à des familles et à des enfants».
«En fait, je n’ai peur de rien», a-t-elle répondu
il y a quelque mois, alors qu’on l’interrogeait
sur les retraites, la bioéthique et la dépen-
dance, ces lourds dossiers qu’elle avait à gérer
à la tête de son très vaste ministère. En octo-
bre, Agnès Buzyn avait opposé une fin de

Par
ALAIN AUFFRAY
et CHARLOTTE BELAICH
Photo MARC CHAUMEIL

ÉDITORIAL


Par
ALEXANDRA
SCHWARTZBROD

ÉVÉNEMENT


Batailler


La macronie aura tout envi-
sagé, d’une fusion des listes
Griveaux-Villani au parachu-
tage de Jean-Michel Blanquer
en passant par la montée en
puissance d’un·e candidat·e
issu·e de la droite pour récupé-
rer les électeurs tentés par Ra-

chida Dati, et jusqu’à (perdu
pour perdu) l’hypothèse d’une
absence de candidature LREM
pour la mairie de Paris. Finale-
ment ce sera elle, Agnès Bu-
zyn, l’une des bonnes élèves
du gouvernement Philippe.
Une femme pour contrer la
candidate du PS, Anne Hi-
dalgo, et celle de LR, Rachida
Dati. On se pince quand on
l’entend s’écrier «J’y vais, j’en
ai envie» car l’on sait que les
marcheurs ont dû batailler
pour la convaincre. On se
pince surtout quand on réalise
l’importance des dossiers que
portait celle qui était jusqu’à
dimanche ministre de la
Santé, chargée de gérer la crise

gravissime de l’hôpital public,
l’épidémie de coronavirus et
accessoirement la réforme des
retraites. On peut donc tirer
d’ores et déjà deux enseigne-
ments de cette investiture : le
réservoir de personnalités for-
tes aptes à porter les couleurs
d’Emmanuel Macron est dé-
sespérément vide, ce qui au-
gure assez mal d’un remanie-
ment d’ampleur en cas de
grosse claque aux municipa-
les ; et, pour Emmanuel Ma-
cron, la conquête de Paris
prime sur la bonne marche du
pays. Car, même si Agnès Bu-
zyn n’a pas géré au mieux la
crise de l’hôpital et s’est soi-
gneusement mise en retrait

sur la réforme des retraites,
elle a su se montrer rassurante
et efficace dans la gestion de
l’épidémie de coronavirus en
France et elle connaît mainte-
nant ces dossiers par cœur.
L’en décharger paraît insensé.
D’autant que, vierge de toute
expérience électorale, elle
n’est pas vraiment une bête de
scène et risque de peiner à
soulever les foules dans les
meetings. Elle a pour elle une
sorte d’assurance et de calme
qui en imposent, une fascina-
tion pour Simone Veil, qui fut
sa belle-mère et, surtout, elle
affirme n’avoir «peur de rien».
Vu le contexte politique, cela
ne peut pas lui faire de mal.•

Mairie de Paris

Buzyn récupère


le bousin


La ministre de la Santé a annoncé dimanche prendre la tête


de liste LREM à Paris et quitter le gouvernement, après


l’abandon de Benjamin Griveaux. Elle est remplacée par


le député et médecin Olivier Véran. Elle déclarait jusque-là


vouloir se concentrer sur la crise des hôpitaux et le coronavirus.

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