Libération - 17.02.2020

(Martin Jones) #1

Libération Lundi 17 Février 2020 u 25


L'ŒIL DE WILLEM


C


’est l’histoire d’une
blague. Une blague
énorme, mais si
énorme qu’on ne sait pas si
on doit en rire : une candida-
ture Hanouna à la présiden-
tielle de 2022. Et comme
on n’est jamais si bien servi
que par soi-même, c’est Ha-
nouna, dans son émission,
qui consacre dix minutes au
sujet : la macronie tremble-
rait à l’idée d’une candi -
dature «à la Coluche» à la
présidentielle de 2022. A la
Coluche? Assurément, pour
Hanouna, le Coluche d’au-
jourd’hui, c’est lui, Cyril Ha-
nouna (à en croire BFM TV,
cependant, l’Elysée crain-
drait aussi l’humoriste Jean-
Marie Bigard). Apparem-
ment la blague est née des

confidences anonymes de
deux ministres.
A peine cette blague est-elle
lancée, que survient une
blague dans la blague. Sur le
plateau du même Hanouna,
le député non inscrit (ex-
LREM) Joachim Son-Forget
lance sa propre candidature
à la présidentielle de 2022,
pour laquelle il tend la main
à Alexandre Benalla et... à
Cyril Hanouna lui-même.
«Les personnes, c’est pas
grave, c’est le projet qui
compte. Et si demain c’est
pas moi, si les Français te
demandent, Cyril, je t’aide-
rai !» C’est ce même Joachim
Son-Forget qui, quelques
jours plus tard, tweetera un
lien vers des vidéos sexuelles
du candidat LREM à la
mairie de Paris, Benjamin
Griveaux, amenant ce der-
nier à renoncer à sa candi -
dature. Ces vidéos ont été
initialement mises en ligne
par l’artiste opposant russe
Piotr Pavlenski, lequel est
défendu par l’avocat Juan
Branco. Aux dernières nou-
velles (mais tout va si vite !)
ni Pavlenski ni Branco n’ont
encore annoncé leur can -
didature à la présidentielle
de 2022. Alexandre Benalla
n’a pas encore fait connaître
sa préférence.
Mais revenons à Hanouna.
Son émission relate dans le
détail la montée de l’hypo-
thèse Hanouna, très sérieu-
sement, sous l’œil aquilin
d’Hanouna lui-même, lequel
(déjà dans le surplomb de
son rôle ?) reste prudemment
extérieur à la blague. Il ne dit
pas ce qu’il en pense. Tout
juste se réjouit-il de recueillir
un soutien ici, ou s’afflige-t-il
d’une critique là. Impertur-
bable, il observe monter vers
lui l’appel unanime de ses
chroniqueurs. «Les Français
veulent des gens qui ont
connu des choses», lance
celui que l’on avait déjà re-
péré dans l’épisode hanou-
nien dit des «nouilles dans
le slip». «Votre puissance
sur les réseaux sociaux, c’est
du jamais-vu en France»,
constate un autre. «Les poli-

tiques sont tous en panique
parce qu’ils sentent qu’il
y a une place à prendre»,
renchérit l’ex-animateur de
Loft Story. «Attention Cyril
si vous croisez un camion»,
avertit avec sollicitude un
troisième.
Pour l’émission d’Hanouna,
le reporter-blague Cyrille
Eldin va sonder au Parle-
ment les députés blagueurs
qui traînent dans la salle
des Quatre-Colonnes. «Si
Hanouna a cette cote de po-
pularité, c’est qu’il a donné la
parole aux gilets jaunes,
et qu’il lâche pas l’affaire sur
le fait qu’on peut tous vivre
ensemble quelles que soient
nos convictions spirituelles»,
analyse l’insoumis Alexis
Corbière (époux de la chroni-
queuse d’Hanouna Raquel
Garrido, pressentie d’après
nos sources pour un porte-
feuille régalien).
Evidemment, cette blague
est d’abord une géniale trou-
vaille intra-Bolloré, qui va
rebondir sur tous les pla-
teaux du groupe. Morandini
va interroger Zemmour sur
le sujet, lequel interrogera
Hanouna, lequel interrogera
Morandini, tous ces entre-
tiens feignant d’oublier la
règle des 500 parrainages de
maires, en vertu de laquelle
il est peu probable qu’au-
cune de ces candidatures
aille jamais à son terme. Evi-
demment, sans doute suffi-
ra-t-il que Vincent Bolloré
siffle la fin de la récré pour
que la troupe de cette dysto-
pie rentre à la niche.
Mais voilà. On ne peut plus
désormais considérer une
blague innocemment. Hier
encore, la blague n’était
qu’une blague. La blague
pouvait chatouiller les
choses sérieuses (Karl Zéro,
le Canard enchaîné ), mais
elle ne pouvait pas «s’empa-
rer» de l’univers sérieux,
elle devait rester à la place
du bouffon. La fin amère de
l’aventure Coluche, tor-
pillée par la censure du
pouvoir et les manipula-
tions des Renseignements
généraux, démontra que
la blague, dans l’ancien
monde, devait rester une
blague. Depuis Grillo en Ita-
lie ou Zelensky en Ukraine,
depuis Trump surtout, on
sait que c’est fini. La blague
peut grossir et enfler, jus-
qu’à cannibaliser le monde
sérieux. De toute cette
troupe de mutants qui s’or-
donne sous nos yeux, il est
devenu difficile de rire.•

MÉDIATIQUES


Par
DANIEL SCHNEIDERMANN

Cyril Hanouna, c’est l’histoire


d’une blague


L’annonce de la candidature «à la Coluche» de l’animateur
à l’élection présidentielle de 2022 a été reprise et amplifiée
sur C8. Jusqu’où les blagues peuvent-elles grossir et enfler
jusqu’à flirter avec la réalité?


Le député
non inscrit

(ex-LREM)


Son-Forget


lance sa propre


candidature à
la présidentielle

pour laquelle


il tend la main


à Benalla et...


à Hanouna
lui-même.
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