Libération - 17.02.2020

(Martin Jones) #1

30 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Lundi 17 Février 2020


En finale


Patrick Braouezec Le communiste réformateur, qui
s’est saisi de la chance du Stade de France pour transformer
la Plaine Saint-Denis, ne se présente pas aux municipales.

Par SIBYLLE VINCENDON
Photo JÉRÔME BONNET

«C’est le seul équipement qui a accueilli une Coupe du monde
de foot, deux Coupes du monde de rugby, les mondiaux d’athlé-
tisme en 2009, bientôt les JO 2024.» Il se souvient d’avoir com-
pris grâce à ce chaudron de la ferveur «à quel point redonner
de la fierté aux gens, ça change les choses».
Fin des années 80. Une friche entre deux autoroutes, encom-
brée de déchets. C’est le futur terrain du stade mais on n’en sait
encore rien. On était entré par un trou dans le grillage en sui-
vant le guide, Yves Lion, un architecte. Il faisait partie d’un
groupe sollicité par Braouezec, un élu communiste quarante-
naire plutôt bel homme, le genre nouvelle génération tonique.
Suffisamment en tout cas pour s’attaquer aux dogmes du Parti
communiste (PCF) en commençant par le plus symbolique :
la fin des usines. Avec son nom de Breton des Côtes-d’Armor,
Braouezec est un pur produit de la région parisienne. Né à
Asnières (Hauts-de-Seine), ce fils d’un peintre en bâtiment et
d’une employée de bureau y passe enfance et adolescence
avant d’intégrer l’Ecole normale d’instituteurs de la rue Moli-
tor, dans le chic XVIe arrondissement de Paris. «J’ai fait tous
mes stages dans les écoles autour. Quand tu arrives à Saint-De-
nis, c’est pas les mêmes gosses.» Le futur élu y sera instit pendant
vingt ans et se souvient «des noms de tous [ses] anciens élèves».
Adhérent au Parti communiste en 1972, élu municipal de
cette ville en 1983, Braouezec
revendique d’aimer «faire
la bise aux dames». Marié
deux fois, père de cinq en-
fants «dont une grande fille
qui est arrivée à 10 ans avec
ma deuxième femme», le
communiste dont on parle
dans ces années 80 défend
des positions qui secouent
les vieux staliniens du coin :
pas d’avenir industriel à
Saint-Denis et on n’arrivera à
rien si on reste chacun seul
dans sa commune. L’alliance
qui donnera Plaine Commune commence en 1985 par un mé-
nage à trois entre Saint-Denis, Aubervilliers et Saint-Ouen.
Elu maire de Saint-Denis en 1991, Braouezec rejoint en outre
les «réformateurs» du PCF, ceux qui pensent qu’on ne fait bou-
ger les grosses machines que de l’intérieur. C’était violent?
«Non, on était nombreux quand même. A l’époque, je ne le
ressentais pas du tout comme ça.»
L’addition va venir plus tard, et pas de l’échelon local. «Son
rêve, c’était de devenir ministre», dit Francis Rol-Tanguy, haut
fonctionnaire de l’urbanisme, même variété de communiste.
En 1997, alors que la gauche vient de récupérer le pouvoir
après la malencontreuse dissolution de Chirac, «toute la presse
m’avait annoncé ministre, Guy Drut, ministre des Sports, était
sûr que je lui succéderais». Sauf que Robert Hue, patron du
PCF et bon gardien du temple avait mis son veto. «J’avais
croisé Jospin la veille de l’annonce du gouvernement. Il m’avait
à peine dit bonjour. J’ai compris que c’était cuit mais tous les
journalistes me tombaient dessus : “Alors, bientôt ministre ?”
Ça, c’était dur...» Francis Rol-Tanguy encore : «Comment
Braouezec a-t-il pu penser que Jospin, qui venait de signer un
accord de gouvernement avec le PCF, allait prendre un réfor-
mateur dans son gouvernement ?» En 2017, Braouezec a voté
Macron dès le premier tour et l’a annoncé dans une tribune.
Dans l’espérance d’un maroquin? Aujourd’hui, comme beau-
coup de gens à gauche, c’est un déçu du macronisme. En 2022,
il votera Macron «s’il le faut, pour faire barrage à Le Pen. Mais
sans illusions». Il en avait donc eu.
C’est compliqué, la vie politique en marge des partis. Patrick
Braouezec a rendu sa carte du PCF en 2009. Il était député de-
puis 1993. A l’approche des législatives de 2012, il hésite,
annonce qu’il n’ira pas, et puis finalement si, il y va et perd le
siège face au socialiste Mathieu Hanotin. Un épisode de plus
dans la guerre historique entre socialistes et communistes en
banlieue parisienne. Repartir là-dedans? A 69 ans, peut-être
Braouezec a-t-il eu envie de raccrocher les crampons.
Un dernier souvenir, le meilleur. Patrick Braouezec lit pendant
les réunions. Des livres qu’il sort de sa sacoche. Même en tri-
bune. Même dans le bureau de la ministre Lebranchu, avec
Kundera ce jour-là. «C’est ma seule façon de me concentrer sur
ce qui se dit. Sinon, je divague.» Pour l’avoir vu, on peut affir-
mer que ça ne s’oublie pas.•

11 décembre 1950
Naissance à Asnières.
1972 Adhère au PCF.
1983-2008 Conseiller
municipal.
1991-2004 Maire
de Saint-Denis.
1993-2012 Député.
2005-2008 Président
de Plaine Commune.

D


e l’avantage des années de métier : on peut partager les
souvenirs qui remontent avec celui dont on fait le por-
trait. En janvier, lors des vœux de la Société du Grand
Paris qu’il préside, Patrick Braouezec, 69 ans, confirmait ce
qu’il avait déjà dit ici ou là : il n’y aurait plus de candidature
aux municipales pour lui. Fini le mandat local à Saint-Denis,
terminé la présidence de Plaine Commune, la plus ancienne
communauté d’agglomération de la ban-
lieue parisienne. Fin d’une époque, rideau.
Mais qu’est-ce qu’on en garde?
2015, siège de la communauté d’agglomé-
ration Plaine Commune, après l’annonce par Manuel Valls Pre-
mier ministre d’une nouvelle baisse des dotations de l’Etat aux
collectivités. A la tribune, les neuf maires des villes de «Plaine
Co», pauvrement mais chaudement vêtus, se succèdent dans
la plainte des miséreux qu’on étrangle avec dans le rôle du
pleureur en chef leur président communiste Braouezec. On
se surprend à compter les grues qu’on voit par la fenêtre, une
dizaine. Ils ont quand même de nombreux chantiers en cours,
les miséreux... Patrick Braouezec s’en souvient très bien : «C’est
vrai qu’on en faisait beaucoup», dit-il en souriant. Un peu trop?

Oui. «A un moment, j’en ai eu marre d’être dans cette situation
de plaignant.» Mais on ne se refait pas : «Il y a toujours cette
tendance très génétique chez les communistes de dire qu’on est
les laissés-pour-compte. Avec une part de vrai...»
1993, le gouvernement de droite dirigé par Edouard Balladur
annonce que le futur Grand Stade sera construit chez les
communistes de Saint-Denis. On se demande où est le piège.
Braouezec aussi. « On a fait la liste de nos
conditions : la couverture de l’autoroute,
deux gares de RER, un pont tournant sur
le canal et le prolongement de la ligne 13
jusqu’à Saint-Denis-Université, même si ça n’avait rien à voir.»
Les camarades prophétisent que ce gouvernement de droite
ne tiendra pas ses promesses. «On a fait un pari, un pari ga-
gnant, et personne n’a été chassé de Saint-Denis», se félicite
aujourd’hui Braouezec. Et puis le stade, quand même... Il ra-
conte le premier match dans l’arène à la fin du chantier, «le
Variété Club contre les ouvriers. Serge Blanco a marqué le pre-
mier but et moi le deuxième !». A près de 70 ans, le Breton ne
tape plus dans un ballon mais fait «un ou deux marathons par
an». Des années plus tard, le Stade de France le bluffe encore.

LE PORTRAIT

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