Libération - 17.02.2020

(Martin Jones) #1

6 u Libération Lundi 17 Février 2020


«L


e 10 février restera
dans l’histoire de la
République fédérale
comme un jour de tempête. Pas
seulement à l’extérieur, mais aussi
à l’intérieur. C’est sans doute une
pure coïncidence que les tempêtes
portent actuellement des noms de
femmes !» Jeudi soir à Berlin, le
candidat à la présidence du parti
conservateur Friedrich Merz iro-
nisait sur le départ surprise
d’Annegret Kramp-Karrenbauer
(AKK), annoncé lundi. Enhardi
par les rires de l’assistance, le can-
didat filait sa métaphore météo-
rologique : «Cette année, les anti-
cyclones sont nommés avec des
prénoms d’hommes. Les dépres-
sions avec des noms de femmes.
C’est un fait. La mauvaise nouvelle
pour les hommes, c’est que l’année
prochaine, c’est l’inverse.»

REVERS ET
MALADRESSES
Si Friedrich Merz se permet de
telles plaisanteries de chanson-
nier, c’est parce qu’il veut croire
que l’heure de son retour a sonné.
Mercredi, l’avocat d’affaires s’est
déclaré candidat à la présidence
de la CDU, et se voit bien rempla-
cer Angela Merkel à la chancelle-
rie dès que possible, avant 2021 si
les circonstances l’exigent. Déjà,
en octobre 2018, lorsque la chan-
celière avait annoncé quitter la
présidence de la CDU, Merz avait
déplié les gaules en se déclarant
immédiatement candidat à sa
succession. Las, il avait été battu
de peu par Annegret Kramp-Kar-
renbauer, élue avec 517 voix au
congrès de Hambourg en décem-

bre 2018 (contre 482). Mais cela
lui a laissé un peu plus d’un an
pour se préparer.
Cette année, alors que les difficul-
tés d’AKK s’accumulaient – crise
d’identité à la CDU, revers électo-
raux, maladresses politiques –,
Merz préparait le terrain. Il a tout
récemment annoncé démission-
ner de la présidence du conseil de
surveillance de la branche alle-
mande du gestionnaire d’actifs
BlackRock. Désormais prêt à se
consacrer tout entier à son parti,
le millionnaire se lance de nou-
veau dans la course à la prési-
dence de la CDU. Certes, il n’est
pas seul à viser le poste : parmi les
candidats putatifs, on trouve le
dirigeant du Land de Rhénanie-
du-Nord -Westphalie Armin Las-
chet, le ministre de la Santé Jens
Spahn et le chef de la CSU, allié
bavarois de la CDU, Markus
Söder. Mais Merz est le seul à
s’être officiellement déclaré.
Le meilleur ennemi de Merkel a
la rancune tenace. Il y a vingt ans,
la chancelière s’en est fait un ad-
versaire en l’écartant du parti. Ex-
président du groupe CDU-CSU au
Bundestag en 2000-2002, il en fut

impitoyablement évincé par An-
gela Merkel, qui voulait sa place
en plus de la présidence du parti.
Il en est donc devenu le vice-pré-
sident, avant de démissionner
en 2004, prétextant un différend
sur le programme fiscal de
la CDU-CSU. En quelque sorte,
Merkel a écrasé Merz comme elle
a écrasé beaucoup de conserva-
teurs dans les années 2000, tous
des hommes ayant sous-estimé la
puissance politique de cette dis-
crète femme de l’Est (de Kohl à
Schäuble, la liste est longue). La
rancune de Merz s’est encore ma-
nifestée très récemment, lorsque
l’avocat d’affaires a qualifié le lea-
dership de la chancelière de «dé-
faillant». S’il est élu à la tête de
la CDU, nul doute que le compa-
gnonnage avec la chancelière
sera difficile.

SOUS-BOCK DE BIÈRE
Merz est connu du grand public
pour avoir proposé en 2003, alors
que le social-démocrate Gerhard
Schröder était au pouvoir, une
mesure fiscale simplifiant les dé-
clarations de revenus de sorte à ce
qu’elles puissent rentrer «sur un

sous-bock de bière» : l’image a, on
peut l’imaginer, beaucoup mar-
qué les Allemands. Il est d’ailleurs
revenu récemment à la charge
avec cette idée dans le courant du
mois de janvier, en l’adaptant
cette fois aux entreprises. Le pe-
digree de Merz est libéral, ultrali-
béral même, et ultraconservateur.
Depuis quelques jours, une anec-
dote l’illustrant très bien remonte
sur les réseaux sociaux : en 1997,
il a voté contre la pénalisation du
viol conjugal. Plus récemment, il
a également remis en cause pu-
bliquement le droit d’asile, pour-
tant inscrit dans la Constitution
allemande. Il vient en revanche
de se distancier de la WerteUnion
(«union des valeurs»), le club ul-
traconservateur de la CDU dont
certains membres prônent un
rapprochement avec l’AfD. Ses
chances dans la course à la chan-
cellerie sont mitigées. Certes, ses
adversaires potentiels (Laschet,
Spahn, Söder) sont occupés par
leurs fonctions politiques respec-
tives, et cela laisse toute latitude
à Merz d’occuper l’espace, no-
tamment médiatique. Mais
son ADN politique, très conserva-
teur et libéral, pourrait avoir de
fâcheuses conséquences, notam-
ment faire partir les électeurs du
centre de la CDU chez les Verts –
sans pour autant récupérer ceux
déjà partis chez l’AfD. De toute
manière, le calendrier de cette
nouvelle élection n’est pas encore
défini. Avant le départ d’AKK, qui
doit par ailleurs entamer la se-
maine prochaine une série de
consultations avec Spahn, Las-
chet et Merz, il était convenu que
le parti se décide en congrès à
Stuttgart, fin 2020. Cette date sera
sans nul doute avancée... mais
à quand ?•

Par
JOHANNA LUYSSEN
Correspondante à Berlin

ALLEMAGNE


L’ultraconservateur Merz


retente sa chance à la CDU


L’avocat d’affaires, dont les ambitions politiques furent


contrecarrées dans les années 2000 par Angela Merkel,


profite de la démission d’Annegret Kramp-Karrenbauer pour


tenter de prendre la tête de l’union chrétienne-démocrate.


MONDE


Friedrich Merz en 2018. PHOTO CHRISTOPH SÖDER. DPA. AFP
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