Libération - 17.02.2020

(Martin Jones) #1

Libération Lundi 17 Février 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 7


Manifestation contre
l’extrême droite samedi
à Erfurt. Sur le panneau :
«La foule en colère trouve
Bernd Höcke [leader local
de l’AfD, ndlr] stupide».
PHOTO JENS SCHLUETER. AFP

Ce lundi


à Erfurt est


prévue une


réunion des
partis hors AfD.

De la Thuringe à la


Saxe, l’extrême droite


est défiée ou défile


Alors que la gauche
antiraciste
marchait à Erfurt
contre l’AfD, les
néonazis tentaient
à Dresde
de détourner
le souvenir des
bombardements
alliés de 1945.

Retrouvez

dans 28 minutes

presente par elisabeth quin
du lundi au jeudi a 20h05 sur

«P


as de pacte avec les
fascistes !» scan-
daient samedi les
manifestants antiracistes
réunis sous la bannière
Unteilbar («indivisibles»)
à Erfurt, en Thuringe. Se-
lon les organisateurs, quel-
que 18 000 personnes ont dé-
filé dans la capitale de ce
Land d’ex-RDA désormais au
cœur de l’actualité politique
du pays, depuis l’élection
d’un dirigeant libéral avec
des voix de la CDU et de l’AfD.
Une digue a ainsi été ouverte
en Allemagne, estiment les
antiracistes, qui s’inquiètent
de l’influence grandissante
de l’AfD sur les équilibres po-
litiques du pays. A Erfurt,
c’est donc le visage d’une Al-
lemagne farouchement op-
posée à ce parti d’extrême
droite qui a défilé dans les
rues, une Allemagne de gau-
che, ouverte et diverse.
Mais les antiracistes ne sont
pas les seuls à avoir défilé en
ex-RDA samedi. En Saxe, à
Dresde, où l’on vient de com-
mémorer les 75 ans des bom-
bardements de février 1945,
une marche a rassemblé
1 500 néonazis et autant de
contre-manifestants.
Ce samedi de manifestations
et de contre-manifestations
résume bien le Zeitgeist, dans
une Allemagne à couteaux
tirés. Pendant ce temps,
la Thuringe se cherche tou-
jours un ministre-président.
Le 5 février, le libéral Thomas
Kemmerich (FDP) a en effet
été élu à la tête du Land
avec des voix de la CDU
et l’AfD – une alliance d’inté-
rêts entre conservateurs et
extrême droite nouée dans le
seul but de contrer la réélec-
tiondu ministre-président
sortant de gauche (Die Linke),
Bodo Ramelow. Depuis, c’est
le chaos.

Impasse politique. Inca-
pable de décider si elle sou-
haite ou non s’allier à l’AfD,
oscillant entre virage ultra-
conservateur et centrisme,

cultivant une aversion viscé-
rale pour la gauche qui lui fait
mettre sur le même plan AfD
et Die Linke et de facto exclut
tout «front républicain»,
la CDU vit l’une des plus
grandes crises de son histoire,
qui rappelle les pénibles heu-
res de la fin de l’ère Kohl.
Lundi, la présidente du parti,
Annegret Kramp-Karren-
bauer (AKK), démissionnait
de ses fonctions après avoir
échoué à ramener les minis-
tres CDU de Thuringe à la rai-
son – ces derniers s’opposent
à la tenue de nouvelles élec-
tions. Thomas Kemmerich,
lui, a démissionné vingt-qua-
tre heures après son élection.
Vendredi, c’est le chef de
la CDU de Thuringe, Mike
Mohring, qui a annoncé jeter
l’éponge. En somme, l’im-
passe politique est totale, et
l’affaire thuringeoise est en
train de virer au cauchemar
grotesque, surtout depuis

que l’AfD a annoncé qu’elle
donnerait ses voix à Bodo Ra-
melow, lequel, évidemment,
n’en veut pas. La solution
serait qu’il soit élu avec l’aide
de voix de la CDU et du FDP,
afin d’obtenir une majorité
sans l’AfD. C’est pour aller
dans cette direction qu’il a
f a i t , d i m a n c h e , d e s
concessions aux conserva-
teurs – notamment une
mainmise plus importante
sur le budget du Land.

Déstabilisation. Ce lundi,
à Erfurt, une réunion des par-
tis hors AfD est prévue afin de
tenter de résoudre cette crise
politique. Seulement, même
si une solution était trouvée,
ce que les journaux alle-
mands appellent «le chaos
d’Erfurt» aura révélé à quel
point l’extrême droite donne
désormais le la en Allemagne.
Car s’il ne décolle pas de
ses 15 % d’intentions de vote
dans les sondages, score à
peu près similaire à celui ob-
tenu lors des élections fédéra-
les de 2017, le parti d’extrême
droite réussit pleinement son
entreprise de déstabilisation
des partis «traditionnels», qui
sombrent de plus en plus
dans la confusion.
J.Lu. (à Berlin)
Free download pdf