14 |coronavirus VENDREDI 20 MARS 2020
0123
L’organisation des AG,
défi pour les entreprises
La tenue des assemblées générales du printemps
est compromise par la pandémie de Covid
C
hacun l’aura remarqué, la
participation à une as
semblée générale d’ac
tionnaires n’a pas été listée par le
ministère de l’intérieur parmi les
dérogations justifiant de mettre
son nez dehors. Dès lors, impossi
ble pour les entreprises de réunir
leurs actionnaires comme de cou
tume, au moins en mars et avril.
Le finlandais Nokia a annoncé,
mercredi 18 mars, qu’il ne tien
drait pas sa réunion annuelle le
8 avril. Les allemands Beiersdorf
et Daimler ont pris la même déci
sion. En France, les grands grou
pes s’orientent vers une autre so
lution : l’assemblée générale (AG)
entièrement en ligne.
Le spécialiste des cantines et de
la restauration Elior va réunir,
vendredi 20 mars, ses actionnai
res sur son site Web autour de pré
sentations effectuées par ses diri
geants. Le groupe a demandé aux
détenteurs de ses actions de voter
par correspondance et, s’ils le dé
sirent, de poser des questions
écrites en amont de cette réu
nion. L’Oréal a déjà indiqué qu’il
diffuserait le 21 avril sa grand
messe annuelle « en direct et en in
tégralité » à partir de son siège de
Clichy (HautsdeSeine).
On est loin de ces grands rendez
vous où des centaines de petits
porteurs se pressent au Palais des
congrès de la porte Maillot ou au
Centre des nouvelles industries et
technologies (CNIT), à La Défense,
comme ils iraient au concert.
« Nous aurions préféré que les as
semblées générales soient repor
tées et que les sociétés disposent de
trois mois supplémentaires pour
les tenir plutôt que de les maintenir
à huis clos, car cela risque de priver
les actionnaires d’un moment pri
vilégié pendant lequel ils peuvent
débattre avec le conseil d’adminis
tration et les dirigeants des entre
prises », note Charles Pinel, associé
du cabinet de conseil Proxinvest.
« Toute société est tenue de tenir
une assemblée générale de ses ac
tionnaires dans les six mois sui
vant l’arrêté de ses comptes », ex
plique Alain Couret, professeur à
la faculté de droit de la Sorbonne
et avocat associé chez KPMG Avo
cats. Pour obtenir un délai, il faut
demander une autorisation au
tribunal de commerce.
On ne voit pas le juge refuser
dans les circonstances actuelles,
mais comme le dividende ne peut
pas être versé tant que l’AG n’a pas
eu lieu, le maintien du calendrier
est privilégié. « Les incertitudes et
les urgences de la situation ac
tuelle demandent aux entreprises
de conserver leurs capacités finan
cières », estiment les administra
teurs de la sicav Phitrust Active In
vestors France, qui ont appelé
mercredi à reporter les AG, et
donc le paiement du dividende.
Contentieux
Audelà de ce débat, dématériali
ser les AG présente deux difficul
tés. D’abord, la plupart des entre
prises ne disposent pas des infras
tructures techniques nécessaires.
« La moitié des entreprises du
CAC 40 diffusent leur assemblée
générale par le biais d’un web
cast », précise Bénédicte Haute
fort, éditrice de L’Hebdo des AG.
Ensuite, cela peut ouvrir la voie
à des contentieux. « En l’état ac
tuel du droit, tout actionnaire peut
demander à être présent à l’AG »,
précise M. Couret. A noter aussi
que le conseil d’administration
d’arrêté des comptes est le seul
qui ne peut pas être tenu par vi
sioconférence. Or beaucoup d’ad
ministrateurs, étrangers notam
ment, ne peuvent pas se déplacer.
Des ordonnances devraient régler
ces deux points dans les pro
chains jours.
Le millésime 2020 des AG de
vrait échapper à la plupart des po
lémiques qui enflaient sur les sa
laires des dirigeants. « Les rému
nérations des dirigeants et des ad
ministrateurs prennent une part
de plus en plus importante dans
l’ordre du jour des assemblées »,
précise Charles Pinel.
En parallèle, « les résolutions dé
posées par des activistes avaient
plus de chances d’obtenir une ma
jorité compte tenu des nouvelles
règles de décompte des voix. On ne
sait pas, à l’heure qu’il est, quel im
pact aura sur ce point le cadre lé
gislatif attendu pour la semaine
prochaine », souligne Mme Haute
fort. Le groupe Lagardère, con
fronté à la révolte de son principal
actionnaire, le fonds Amber,
pourrait y trouver son compte.
isabelle chaperon
Bercy demande aux assureurs de participer à la solidarité nationale
Une des pistes consisterait à reporter le paiement des primes d’assurance des entreprises touchées par la crise sanitaire
C’
est le bruit qui monte
parmi les entreprises
durement touchées par
la crise sanitaire, comme dans
l’opinion publique : les assureurs
ne sont pas au rendezvous, alors
que la crise sanitaire met à mal de
grands pans de l’économie fran
çaise. « Les assurances [sont] les
grandes absentes du grand mou
vement de solidarité qui se met en
place partout pour les entreprises
et les emplois menacés », dénon
çait mercredi 18 mars l’Union des
métiers et des industries de l’hô
tellerie (Umih), le premier syndi
cat patronal des cafés, hôtels, res
taurants et établissements de
nuit. Son président Roland Héguy
insiste : « Où sontelles? Pas
auprès de leurs assurés! A situa
tion exceptionnelle, efforts excep
tionnels de tous pour tous. »
Karine Gallet, propriétaire de
deux hôtels à La Rochelle,
aujourd’hui sans aucun client, en
a fait l’amère l’expérience : « J’ai
reçu des mails de la banque et de
BPI France qui ont pris les devants
pour me donner des informations,
mais lorsque j’ai appelé mon assu
reur, ils m’ont dit que je n’avais
droit à aucune indemnisation »,
relatetelle. Les pertes d’exploita
tion sans dommages sont en effet
rarement couvertes par les com
pagnies d’assurances. « Pour que
nous intervenions, il faut, par
exemple, qu’il y ait un incendie ou
un bris de machine. Nous ne som
mes donc pas la profession en pre
mière ligne », expliquait au Monde
Florence Lustman, la présidente
de la Fédération française de l’as
surance (FFA), le 5 mars.
Catastrophe naturelle?
Qui plus est, « un événement du
type de l’épidémie de coronavirus
Covid19 dépasse le périmètre d’in
tervention de l’assurance, précise
la FFA. En fonction de sa durée et de
son ampleur, une épidémie peut
avoir un impact sur l’activité éco
nomique globale : en affectant tous
les secteurs, ses conséquences éco
nomiques deviennent ainsi inassu
rables. C’est pourquoi la quasito
talité des contrats couvrant les en
treprises (pertes d’exploitation,
rupture de la chaîne d’approvision
nement, annulation d’événements,
défaut de livraison, etc.) exclut
l’événement d’épidémie ».
L’Etat ne pourra pas non plus
être appelé en secours. Il a bien
prévu d’accompagner les entre
prises pour financer le chômage
partiel de leurs salariés, régler
leurs charges sociales ou solliciter
des prêts bancaires, mais le man
que à gagner lié à l’absence d’acti
vité, lui, ne sera pas indemnisé.
« L’Etat ne prendra pas en charge
les pertes d’exploitations des com
merces », a déclaré Bruno Le
Maire, mardi 17 mars, au cours
d’une conférence de presse. Aussi
des représentants patronaux
comme François Asselin, patron
de la Confédération des petites et
moyennes entreprises (CPME),
ont, en conséquence, demandé à
l’Etat de prendre un décret
d’« état de catastrophe sanitaire »
permettant, en complément de
l’état de catastrophe naturelle,
aux entreprises touchées de faire
jouer leur assurance. Bercy s’est
emparé de ce dossier en début de
semaine. « J’ai fait remarqué aux
assureurs qu’on attendait leurs
propositions pour participer à la
solidarité nationale, a souligné,
mercredi 18 mars, Bruno Le Maire
auprès de journalistes. Tout le
monde joue le jeu. Les banques ont
reporté de six mois les rembourse
ments de prêts des entreprises. Il
n’est pas question que les assu
reurs ne participent pas. »
Dialogue étroit
Le ministère des finances et la FFA
sont désormais en dialogue étroit
pour étudier comment le secteur
pourrait prêter mainforte dans
la lutte pour la préservation de
l’économie, notamment en
accompagnant en trésorerie les
entreprises en difficulté. La fédé
ration tenait, mercredi soir, un
comité exécutif pour avancer sur
ce dossier.
Des extensions de garanties
pour que l’assureur prenne en
charge des pertes d’exploitation
en l’absence de dommage maté
riel, alors que cette couverture ne
figure pas dans le contrat, « est im
possible juridiquement », note une
source à Bercy. Impossible égale
ment ce régime de « catastrophe
sanitaire », inspiré du régime « ca
tastrophe naturelle », car il néces
site un partage des risques entre
assurance privée (souscrite au
préalable) et assurance publique.
Une des pistes privilégiées
consisterait à reporter les paie
ments des primes d’assurance
des clients entreprises touchés
par les conséquences de l’épidé
mie, comme les énergéticiens ont
accepté de suspendre le paiement
des factures d’électricité et de gaz.
La piste d’un fonds de soutien est
aussi avancée.
Une compagnie d’assurances
propose déjà des aménagements.
La Mutuelle des architectes fran
çais a annoncé des mesures d’ac
compagnement pour ses adhé
rents touchés sous la forme d’un
report des trois prochaines
échéances.
véronique chocron
et béatrice madeline
En Europe, l’industrie automobile
mise à rude épreuve
Les lignes de production sont arrêtées, en France et sur le Vieux Continent.
Paris se dit prêt à des nationalisations pour protéger les fleurons tricolores
E
n quarantehuit heures,
entre le lundi 16 et le
mercredi 18 mars, de De
troit à Munich, de So
chaux à Bratislava, les usines
automobiles de l’Occident se sont
mises en sommeil pour cause de
pandémie de Covid19. General
Motors et Ford aux EtatsUnis,
BMW, Volkswagen, Toyota, Re
nault, PSA, FiatChrysler en Eu
rope... Des deux côtés de l’Atlanti
que, les sites industriels des
grands groupes ferment leurs li
gnes, renvoient leurs ouvriers à la
maison sans savoir quand ils re
viendront. En ce début de prin
temps, l’industrie automobile est
entrée dans une zone inconnue et
à haut risque, qui va faire passer
pour anecdotiques les difficultés
qu’elle a pu connaître en 2019.
« La vitesse à laquelle tout cela se
produit est impressionnante,
constate Marc Mortureux, direc
teur général de la Plateforme
automobile (PFA), l’entité publi
que qui coordonne l’intégralité de
la filière française de la voiture et
ses 400 000 salariés. La crise sani
taire va de pair avec un effondre
ment de la demande. L’absence
d’entrée de cash dans les semaines
et les mois qui viennent va être un
choc terrible à encaisser. »
2020, année terrible! Et ce
d’autant plus que, avant même le
SARSCoV2, l’automobile euro
péenne avait commencé à tan
guer. Dans l’Union, les chiffres
des immatriculations des deux
premiers mois de cette année ont
dévissé de 7,4 %, si on compare à
la même période de 2019, a indi
qué mercredi l’Association des
constructeurs européens d’auto
mobiles.
Des baisses supérieures à 20 %
ont été enregistrées pour des
marques grand public comme
Opel (Groupe PSA), Dacia (Groupe
Renault), Jeep (Groupe FCA) ou
Honda. Et cela fait suite à une an
née 2019 maussade, voire fran
chement mauvaise pour certains
constructeurs, plombée par un
recul du marché chinois, le pre
mier au monde.
Mais ce qui vient en 2020 n’a
probablement rien à voir. En ma
tière automobile, le coup d’arrêt
sera brutal et sidérant aux mois
de mars et d’avril en Europe, pro
bablement semblable à ce qu’a
connu la Chine au mois de février,
avec des reculs des ventes inouïs,
aux alentours de – 80 %.
« Gestion au cordeau »
Sur l’ensemble de l’année 2020,
l’agence de notation financière al
lemande Scope Ratings estime,
dans une analyse parue mercredi
18 mars, que le marché européen
devrait baisser de 20 %. Du ja
maisvu. Des trois grandes zones
que sont les trois moteurs de l’in
dustrie auto – Chine, Europe et
Amérique du Nord –, le Vieux
Continent sera, toujours selon
Scope Ratings, celui qui souffrira
le plus, avec une diminution deux
fois supérieure à celle des autres.
Les autorités françaises ontel
les pris la mesure du choc à venir?
En tout cas, le ministre de l’écono
mie, Bruno Le Maire, s’est entre
tenu par téléphone, mercredi
18 mars, avec les deux principaux
donneurs d’ordre de l’automobile
en France : Carlos Tavares et
JeanDominique Senard, les prési
dents des deux groupes automo
biles français PSA et Renault. La
conférence téléphonique a porté
sur la situation globale des deux
constructeurs.
Le ministre a dit aux deux diri
geants qu’ils « avaient le droit à
tous les instruments mis en place
pour les entreprises [report des
charges et des impôts, chômage
partiel et possibilité de prêt, no
tamment avec garantie de l’Etat
de 300 milliards] », tout comme
l’ensemble de la filière. « On aidera
les soustraitants de premier et de
deuxième rang à passer cette pé
riode difficile dans les meilleures
conditions possibles », atil ajouté.
M. Le Maire est même allé plus
loin, affirmant au micro de BFM
Business qu’il « [n’était] pas ques
tion de voir des fleurons industriels
disparaître dans cette crise qui est
conjoncturelle. Nous avons toutes
sortes d’instruments à notre dis
position pour soutenir ces fleurons
industriels français et, s’il faut aller
jusqu’à la nationalisation de cer
tains fleurons industriels, nous
irons jusqu’à la nationalisation ».
Tout le monde n’est pas logé à la
même enseigne. Renault est clai
rement plus fragile que son rival
et homologue PSA. Le groupe au
losange connaît depuis plus d’un
an des difficultés structurelles à
générer du cash, ce qui va rendre
le groupe, déjà contrôlé capitalis
tiquement par l’Etat français,
d’autant plus vulnérable pendant
cette période.
A l’inverse, PSA (qui a aussi l’Etat
à son capital) a constitué des ré
serves financières – une trésore
rie nette de 15 milliards – qui lui
donne une certaine robustesse en
pleine tempête. « Avec sa gestion
au cordeau, son point mort indus
triel très bas et son train de vie mo
deste malgré ses bons résultats fi
nanciers, le groupe a une vraie ca
pacité à passer la crise, estime un
bon connaisseur du dossier. Et le
niveau du portefeuille de com
mandes lui donne une capacité à
redémarrer dans des conditions
économiques favorables. »
Car il faudra bien rebondir. Tout
n’est d’ailleurs pas totalement
stoppé. Les très gros équipemen
tiers tricolores de rang mondial
continuent à faire tourner leurs
usines, au prix de l’incompréhen
sion grandissante de nombre de
leurs salariés. « Ces entreprises ont
des clients dans le monde entier et
tout n’est pas à l’arrêt partout sur
la planète. Ils doivent absolument
continuer à produire », justifie
M. Mortureux.
Pour le président de la PFA, l’ex
ministre Luc Chatel, la sortie de
crise passera par un plan de re
lance. « Il faudra actionner les
outils à disposition [prime à la con
version, bonus pour l’achat de vé
hicules électriques] pour relancer
le marché, atil déclaré dès mardi
17 mars, mais aussi consentir des
investissements massifs pour les in
frastructures de recharge (...), con
ditionclé pour le décollage du mar
ché des véhicules électriques. »
éric béziat
Renault connaît
des difficultés
structurelles à
générer du cash,
ce qui va rendre
le groupe
d’autant plus
vulnérable
« La crise
sanitaire va
de pair avec
un effondrement
de la demande »
MARC MORTUREUX
directeur général de la
Plateforme filière automobile
Les autorités financières donnent
de l’air aux banques
Du temps où le crédit était proche de la surchauffe, le Haut
Conseil de stabilité financière (HCSF), instance chargée de limiter
les risques du système financier, présidé par le ministre de l’éco-
nomie Bruno Le Maire, avait imposé aux banques une charge
supplémentaire en capital pour leurs activités de crédit en
France. En 2018, les institutions financières ont ainsi commencé
à constituer un matelas de fonds propres supplémentaires,
baptisé coussin « contracyclique », qui devait servir de ballon
d’oxygène lorsque le cycle financier se retournerait. Le moment
est venu de l’utiliser. Face à la pandémie liée au coronavirus, le
HCSF a décidé, mercredi 18 mars, de permettre aux banques
d’utiliser ce matelas de sécurité – il devait, le 2 avril, représenter
0,5 % de leurs fonds propres, soit environ 8 milliards d’euros –
pour accorder des prêts, notamment aux entreprises.
LES CHIFFRES
− 20 %
C’est le niveau de chute du
marché automobile européen
en 2020, estimé par l’agence de
notation financière allemande
Scope Ratings. Elle prévoit un
recul de 10 % en Chine et d’envi-
ron 9 % aux Etats-Unis.
− 11 %
C’est le chiffre du recul du mar-
ché automobile européen entre
début 2008 et fin 2009, pendant
la crise financière. Le marché,
qui est passé de 16,7 millions à
14,8 millions d’immatriculations
en deux ans, a été marqué par
un plongeon de septembre 2008
à juin 2009, puis par un rebond
dû à des aides d’Etat à l’achat.
− 7,4 %
C’est le niveau de baisse du
marché européen en ce début
d’année 2020 ( janvier-février), si
l’on compare à la même période
de 2019, soit avant le plus fort
de la crise due au coronavirus.