Le Monde - 20.03.2020

(Jeff_L) #1

4 |coronavirus VENDREDI 20 MARS 2020


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A l’Elysée, dans les ministères :


au cœur du pouvoir confiné


Le président de la République a demandé à la plupart de ses conseillers de rentrer


chez eux. Au conseil des ministres et ailleurs, la visioconférence est devenue la règle


U


n pâle rayon de soleil caresse la
toiture ardoise de l’Elysée. Flotte,
en ce mercredi 18 mars, comme
un faux air de printemps. Légè­
reté trompeuse, pernicieuse, sous une chape
de plomb. La cour d’honneur du palais est dé­
serte. Dès mardi, premier jour de confine­
ment, le pouvoir s’est adapté, lui aussi, aux
consignes données par Emmanuel Macron
lundi soir, lors de sa deuxième allocution té­
lévisée. Le chef de l’Etat a prié la plupart de
ses conseillers de rentrer chez eux et de
télétravailler, comme l’ensemble des Fran­
çais. « Nous sommes dans un régime d’exem­
plarité », a­t­il expliqué à ses proches pour
justifier une telle extrémité. Même sa
« plume », Jonathan Guémas, renvoyé chez
lui avec trois autres conseillers dès la se­
maine dernière pour avoir dîné avec un par­
lementaire testé positif, a travaillé sur les
deux discours télévisés du président depuis
son domicile parisien, échangeant avec le
palais par liaison sécurisée.
Les longs couloirs du palais ont donc été
désertés ; les bureaux, vidés. Moins d’une di­
zaine de conseillers, la garde rapprochée du
président, sont restés à l’Elysée, dont le secré­
taire général, Alexis Kohler, et son adjointe,
Anne de Bayser, le chef de cabinet, François­
Xavier Lauch, une poignée de diplomates,
deux conseillers en communication, et la
conseillère santé. « On est à l’os, le palais est
vide », assure l’un de ceux restés auprès du
chef de l’Etat. De nombreux dossiers, non
liés directement à la crise, ou à la sortie de
crise, ont été mis en pause. Et une multitude
de réunions régulières, annulées. « On fait
tous très attention quand on croise quelqu’un,
on reste à deux mètres au moins du prési­
dent », raconte un membre du cabinet.
Mardi, le premier conseil des ministres
confiné a eu lieu en format réduit dans le sa­
lon des Ambassadeurs, plus petit que l’im­
mense salon Murat où il se tient d’habitude.
Autour d’Emmanuel Macron et d’Edouard
Philippe, sept ministres seulement, sur les
dix­neuf que compte le gouvernement :
Christophe Castaner (intérieur), Bruno
Le Maire (économie), Florence Parly (armées),
Olivier Véran (santé), Jean­Yves Le Drian (af­
faires étrangères), Jean­Michel Blanquer
(éducation) et Sibeth Ndiaye (la porte­parole).
Les autres étaient présents par visioconfé­
rence, pratique inédite sous la Ve République.
A Bercy, Gérald Darmanin, Cédric O, Olivier
Dussopt et Agnès Pannier­Runacher se sont
retrouvés dans la même pièce face à un écran
de télévision et une webcam, tout en gardant
entre eux une saine distance. « C’était la pre­
mière fois que je recroisais physiquement les
collègues depuis la semaine dernière », sourit
l’un d’eux. Même configuration au ministère
de la cohésion des territoires, où Jacqueline
Gourault et Julien Denormandie sont « confi­
nés » dans le même salon, le temps du conseil
des ministres.
La sécurité du système de visioconférence,
dit­on, est assurée. « Ce n’est pas Skype ou
FaceTime, c’est clair », insiste une source au
sein de l’exécutif. Mais le système a encore
besoin d’être rodé : mardi, la vidéo a sauté en
plein conseil des ministres pour une poignée
de membres du gouvernement, soudain pri­
vés d’image. Ils ont dû suivre le reste des dis­
cussions par audio­conférence. « A la fin du
conseil des ministres, on s’agglutine toujours
à quelques­uns autour du président pour déci­
der de ce que je vais dire à la presse dans mon
compte rendu, raconte la porte­parole, Sibeth
Ndiaye. Cette fois­ci, on s’est approchés de lui
tout en restant à distance les uns des autres,
c’était une scène bizarre... »

« Période d’exception »
Une scène, parmi d’autres, de cette nouvelle
vie quotidienne au cœur d’un pouvoir con­
finé. « Nous sommes dans une période d’ex­
ception », a résumé Emmanuel Macron, et
tout devient possible. Même le fait de filmer
le conseil des ministres. Mardi, l’Elysée en a
d’ailleurs diffusé un court extrait sur les
réseaux sociaux, alors que ce huis clos reste
depuis toujours entouré d’un certain mys­
tère. S’il prend ses précautions, le chef de
l’Etat refuse pour autant de rester enfermé au
palais. Mercredi, il s’est rendu sans presse
dans un hôpital de Bobigny. Lors de cette pre­
mière sortie depuis qu’il a décidé de confiner
le pays, Emmanuel Macron a rencontré des
médecins et des infirmières, en respectant
les distances de sécurité et en portant une
blouse et un masque.
De l’autre côté de la Seine, même organisa­
tion au cabinet d’Edouard Philippe, où la plu­
part des conseillers ont été renvoyés chez
eux. Mais le premier étage de l’hôtel Mati­
gnon, celui du premier ministre et de son di­
recteur du cabinet, reste occupé. « La conti­
nuité de l’Etat doit être assurée », défend un
proche. Les chefs de pôle sont, eux aussi, tou­

jours présents dans leurs bureaux. Ceux qui
sont restés évoluent dans une atmosphère
fantomatique. « C’est sûr, il y a un petit côté
Netflix », admet l’un d’eux.
« Concentré » sur la gestion de cette crise
sanitaire historique, le premier ministre,
Edouard Philippe, accuse le coup, visage
marqué, barbe encore blanchi. « Il y a une
inquiétude », reconnaît un conseiller, qui
refuse de « surjouer le calme des vieilles trou­
pes ». « Le premier ministre est conscient du
risque qu’encourt le pays, il est focalisé sur la
capacité de notre système hospitalier de te­
nir », poursuit ce proche.
Dans tous les ministères, le mot d’ordre a
été passé : on ne veut plus voir personne.
Seuls les agents considérés comme indispen­
sables, appelés « fonctions rares non substi­
tuables » dans les plans de continuité d’acti­
vité des administrations, sont autorisés à ve­
nir travailler. Avec des consignes strictes,
comme celle d’éviter de croiser des collabo­
rateurs ou de déjeuner dans son bureau plu­
tôt qu’à la cantine du ministère. « Moi, les
gens ne me parlent plus que depuis la porte de
mon bureau », explique Sibeth Ndiaye.
Les bureaux des ministères se sont vidés.
« On a renvoyé tout le monde : huissiers, secré­
tariat », raconte un proche du ministre de
l’économie, Bruno Le Maire, qui n’a gardé que
son directeur du cabinet, son directeur du ca­
binet adjoint, son chef de cabinet et son con­
seiller presse. Le secrétaire d’Etat à la fonction
publique, Olivier Dussopt, a dû lui aussi faire
partir la plupart de ses collaborateurs. « Sur
les six membres de mon cabinet, deux sont
présents à mes côtés... A plus d’un mètre évi­
demment, sourit­il. Un des facteurs de réussite
de l’opération, c’est que les consignes soient les
mêmes pour tout le monde. »
Son collègue Cédric O, secrétaire d’Etat
chargé du numérique, n’a plus que deux
collaborateurs. « Vous passez votre journée à
ne voir personne, à faire vos réunions par télé­
phone ou visioconférence, raconte­t­il. Mon
directeur de cabinet ouvre la porte qui com­

munique entre nos bureaux, mais il me parle
depuis son bureau. Tout a changé. 100 % de
l’activité est tournée vers la gestion de la crise
et ses conséquences. » Un poids lourd du
gouvernement confie s’être mis « en mode
survie sous l’eau ».
Soucieux du moral des troupes, Edouard
Philippe communique régulièrement avec
les deux ministres malades, celui de la cul­
ture, Franck Riester, et la secrétaire d’Etat à la
transition écologique, Brune Poirson, tou­
jours en quarantaine. Plusieurs conseillers
du gouvernement ont également été conta­
minés. « C’est une saloperie », prévient l’un
d’eux, toujours très fatigué. Confinés dans
leur chambre, afin de ne pas contaminer
leurs proches, les plus vaillants travaillent de­
puis leur lit. « Nous avons dressé un plan de
continuité de l’activité, tente de rassurer
Sibeth Ndiaye. Même s’il nous manque des
collaborateurs, la machine tournera. » Ce qui
n’empêche pas l’inquiétude de gagner les
esprits. « Tout le monde est un peu angoissé,
pour soi, son entourage, c’est normal »,
confesse un conseiller.

Des interviews en duplex
Depuis le début de la semaine, Matignon a
fait passer des consignes strictes aux minis­
tres : plus question d’organiser des conféren­
ces de presse physiques, d’aller sur les
plateaux de télévision ou de multiplier les
déplacements inutiles. Les membres du
gouvernement ne peuvent plus se rendre sur
le terrain qu’en cas de « circonstances excep­
tionnelles, et après avis de Matignon », souli­
gne un proche du premier ministre.
Invité du journal de 20 heures de France 2,
mardi, Edouard Philippe a pensé un moment
déroger à cette règle et à faire le déplacement
jusque dans les locaux de la télévision publi­
que. « Si trente personnes viennent à Mati­
gnon pour permettre l’organisation du du­
plex, c’est contreproductif », notait un de ses
proches. Mais il a finalement décidé de s’ex­
primer depuis Matignon. Tous les ministres

répondent désormais aux interviews en du­
plex, depuis leur bureau. « J’essaie de respec­
ter comme l’ensemble des Français les consi­
gnes qui ont été données par le gouverne­
ment », a justifié le premier ministre.
Mardi matin, le petit déjeuner hebdoma­
daire qui rassemble les ténors de la majorité
s’est ainsi tenu par conférence téléphonique.
La nouvelle vie du pouvoir, comme le dit un
conseiller, « c’est audio, visio ». L’un des minis­
tre les plus exposés, celui de la santé, Olivier
Véran, applique les mêmes règles : distance
d’un mètre avec les autres, pas de réunion à
plus de trois personnes, un gel hydroalcooli­
que au fond de la poche. Il évite surtout les dé­
placements inutiles. « On ne va pas faire de vi­
sites de terrain pour que les médias aient des
images, on reste prudent », explique l’un de
ses cinq conseillers restés à ses côtés.
Au ministère de l’éducation nationale, en
revanche, le cabinet est au complet, pour gé­
rer l’enseignement à distance des élèves et
l’accueil des enfants des personnels soi­
gnants (28 000 mardi) dans les écoles. « Tout
le monde est sur le pont », raconte un con­
seiller, qui précise que le télétravail est ré­
servé aux collaborateurs « ayant les symptô­
mes » du coronavirus. « On ne peut pas dire
qu’on met la clé sous la porte et qu’on verra
plus tard, il faut continuer à faire tourner la
boutique, argue un autre conseiller. Or, on
n’est jamais que dix dans le cabinet... »
Mais rue de Grenelle, comme ailleurs, la
plupart des réunions ne concernant pas la
crise ont été annulées. Et celles qui se tien­
nent encore le sont dans des salles plus gran­
des, avec une chaise entre chaque occupant.
« C’est sinistre », soupire un familier des
lieux. De son côté, Jean­Michel Blanquer
tient une fois tous les deux jours une « visio »
avec les recteurs, qui ne se déplacent plus à
Paris. « On a tout réorganisé de manière à te­
nir sur la longueur », explique un conseiller
de Matignon. Parce que ça va durer.
olivier faye, cédric pietralunga
et solenn de royer

LA NOUVELLE VIE 


DU POUVOIR, 


COMME LE DIT 


UN CONSEILLER, 


« C’EST AUDIO, VISIO »

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