Le Monde - 20.03.2020

(Jeff_L) #1
0123
VENDREDI 20 MARS 2020 coronavirus | 7

Le confinement, seul ou en


famille, engendre du stress


Des psychiatres soulignent les risques de dépression et de tensions


D


ès que les cours ont
été suspendus et que
le confinement s’est
profilé, les proposi­
tions plus ou moins loufoques ou
ingénieuses pour traverser le
huis clos familial qui se profilait
ont envahi les réseaux sociaux.
Comment obtenir que les plus pe­
tits jouent et étudient tout en se
tenant tranquilles pour pouvoir
soi­même télétravailler? Com­
ment maintenir des relations dé­
tendues avec des adolescents qui
ont « le seum »? Comment faire
en sorte que la famille demeure
raisonnablement en forme?
Comment surmonter l’isolement
lorsque l’on vit seul?
Nous abordons sans véritable
mode d’emploi l’expérience du
confinement à grande échelle.
Une première enquête sur l’état
psychique de la population sou­
mise à ce régime a été faite en li­
gne en Chine au mois de février.
Ses résultats, publiés dans la revue
General Psychiatry, laissent entre­
voir un stress psychologique mo­
déré ou sévère pour 40 % des ré­
pondants. Les plus touchés se­
raient les femmes, les 18­30 ans et
les plus de 60 ans. Mais à quelles
difficultés concrètes s’attendre?

Temps de motricité
« Il est difficile de généraliser, relève
Sandrine Bredèche, psychologue
de Seine­et­Marne. La situation n’a
pas les mêmes conséquences pour
tous. Tout le monde ne craint pas la
contamination de la même ma­
nière. Certaines personnes sont
même dans le déni. Et, en plus du
confinement, certains peuvent
craindre pour leurs revenus. » Et le
chacun chez soi n’a pas les mêmes
implications selon que l’on vit seul
ou en famille, en ville ou à la cam­
pagne, selon que l’on se serre dans
un petit appartement ou que l’on
prenne ses aises dans une grande
maison : le confinement peut si­
gnifier vivre seul, ou vivre les uns
sur les autres. « Pour les personnes
qui vivent seules, il peut y avoir un
risque de dépression, surtout lors­
qu’on se retrouve au chômage tech­
nique, sans activité ni rythme im­
posés et que le confinement dure »,
indique Silvia Maccalli, médiatrice
familiale à la Maison des liens fa­
miliaux, à Paris.
Samedi 14 mars, après l’annonce
de la fermeture de tous les lieux
publics « non indispensables », des
intervenants dans le domaine fa­
milial se sont dit qu’ils auraient
probablement fort à faire lorsque
les restrictions seront levées. « Il

est probable que dans certains cas,
le confinement va accentuer ou
même faire émerger des tensions
dans la famille », anticipe Silvia
Maccalli. La psychologue rappelle
l’impératif d’activité pour les en­
fants les plus jeunes, qui ont « phy­
siologiquement besoin d’autant de
temps de motricité que de temps de
repos », faute de quoi le surplus
d’énergie peut se transformer en
irritabilité et donner lieu à des si­
tuations de conflits.
Pour les plus grands enfants, le
confinement fait irruption dans
une période où le lien social est en
pleine transformation. « Pour les
adolescents ou les préadolescents
qui sont le plus à l’écart, repliés, il
peut accentuer leur isolement, dis­
tendre encore le lien social, redoute
Silvia Maccalli. Enfin, ceux pour qui
les relations avec les pairs sont es­
sentielles, être confiné avec ses pa­
rents peut être difficile à vivre. »
Le psychiatre Xavier Pomme­
reau est encore plus tranchant.
« La règle numéro 1, c’est qu’il faut
que les parents comprennent qu’il
faut laisser les ados tranquilles
dans leur chambre, sans venir voir
ce qu’ils font. Il faut qu’ils aient un
îlot à eux, sinon c’est le pétage de
plomb assuré. » Directeur de l’hô­
pital de jour pour les 16­25 ans de la
clinique Béthanie, à Talence (Gi­

ronde), il insiste : « Le marqueur de
l’entrée dans l’adolescence, c’est le
besoin absolu de prendre ses dis­
tances par rapport à ceux dont on
est issus. Eux, ce n’est pas le confine­
ment qui les embête, c’est le confi­
nement à proximité des parents! »

Procédures à distance
Le psychiatre met particulière­
ment en garde les parents contre
la tentation de s’assurer qu’entre
les vidéos et des séries, les enfants
avancent leur travail scolaire.
« Evitez absolument de “prendre la
tête” des enfants avec les devoirs
scolaires. Les parents ne doivent
pas essayer de devenir des ensei­
gnants, c’est le contraire de ce qu’il
faut faire. Scolairement, oui, les
enfants ont besoin d’aide, du sou­
tien de leurs professeurs, de leurs
éducateurs, mais pas de leurs pa­
rents. On ne peut être parent et
éducateur en même temps. »

Comment suivre les enfants ou
les familles qui en ont besoin pen­
dant cette période? Certains inter­
venants n’ont pas mis en route de
procédures à distance. D’autres, si.
A sa grande surprise, le docteur
Pommeau a découvert, depuis di­
manche, les possibilités offertes
par les téléconsultations. « Je ne les
croyais pas adaptées à un psy de
terrain. Mais j’y vois de nouveaux
axes de prise en charge. Les adoles­
cents me parlent de leur chambre,
me montrent leur univers, la ma­
nière dont ils évoluent dans l’appar­
tement. Depuis trois jours, je peux
même leur donner des “devoirs”
psychologiques pour la prochaine
séance : faire la critique d’une série
de leur choix, une présentation
photo de ce qu’ils aiment... »
Le psychiatre se demande même
si des « médiations numériques »
ne pourraient pas être imaginées
pour intervenir dans des situa­
tions familiales très tendues, qui
menacent de déboucher sur de la
violence. « Il faudrait pouvoir sou­
lager cet excès de confinement par
l’ouverture de fenêtre Internet. » A
ses yeux, que ce soit sur le plan pé­
dagogique pour les enseignants,
ou sur le terrain thérapeutique, la
période de confinement changera
nécessairement des choses.
cécile chambraud

« Il faut laisser les
ados tranquilles
dans leur
chambre »
XAVIER POMMEREAU
psychiatre

Paiement des loyers et des crédits : demander un délai est possible


Des organisations appellent les propriétaires à la « bienveillance » envers les locataires qui pourraient rencontrer des difficultés de trésorerie


T


out le monde n’a pas la
chance de recevoir son sa­
laire chaque mois quelles
que soient les circonstances. De
nombreux Français que le Co­
vid­19 a mis au chômage partiel
ou a privé d’activité en indépen­
dant verront leurs ressources
chuter d’un coup.
« De petits entrepreneurs en dé­
but d’activité nous appellent et
sont en grande souffrance dans
leurs finances personnelles, té­
moigne Jean­Louis Kiehl, prési­
dent de Crésus, fédération natio­
nale de lutte contre le surendette­
ment. Certains n’ont aucun filet de
sécurité, réserve personnelle ou
conjoint salarié, et face aux
échéances de crédits à la consom­
mation, de prêts immobiliers et de
loyers, il ne faut pas hésiter à faire
jouer les délais de grâce. »

Les articles 1244­1 et 1343­5 du
code civil permettent au juge,
saisi par le débiteur, de reporter
ou d’échelonner, dans la limite de
deux ans, le paiement des som­
mes dues de toutes sortes de det­
tes, loyers, crédits, en tenant ce­
pendant compte des besoins du
créancier. « Si, par exemple, un
bailleur a besoin de ces loyers pour
sa retraite, le juge en tiendra
compte... Avec la situation actuelle
des tribunaux, eux aussi fermés, il
vaut mieux aboutir à un accord
amiable », précise M. Kiehl.
Les bailleurs sociaux, par le
biais de l’Union sociale pour l’ha­
bitat (USH), les administrateurs
de biens, par celui de la Fédéra­
tion nationale de l’immobilier
(Fnaim) comme les propriétaires
privés de l’Union nationale de la
propriété immobilière (UNPI)

font passer à leurs adhérents des
consignes de bienveillance.
« Puisque les loyers sont réglés en
début de mois, la question des im­
payés se posera à partir d’avril et
nous jouerons notre rôle d’inter­
médiaire entre bailleurs et locatai­
res et examinerons les dossiers au
cas par cas, rassure Jean­Michel
Camizon, président du directoire
de la société Dauchez, qui gère
12 000 appartements et 400 baux
commerciaux. Pour les proprié­
taires ayant des crédits, nous tâ­
cherons d’obtenir des moratoires
auprès des banquiers. Nous som­
mes plus inquiets à propos des
baux commerciaux, les petits
commerçants étant fortement
touchés par cette crise sanitaire. »
Christophe Demerson, prési­
dent de l’UNPI, qui représente les
petits propriétaires, l’assure :

« Nous ne voulons pas prendre les
locataires à la gorge. Notre conseil
est de prévenir le plus en amont
possible de leurs difficultés, car,
trop souvent, ils laissent passer
deux ou trois mois, ce qui aggrave
le problème. »

Diminuer les mensualités
Les organismes HLM, rompus,
eux, au dialogue et au traitement
social des impayés, ont, le
16 mars, écrit au ministre du loge­
ment pour proposer de suspen­
dre le paiement des loyers des lo­
caux commerciaux pour les com­
merçants que l’obligation de fer­
meture met en difficulté, et ont
affirmé leur soutien à la décision
du gouvernement de suspendre
les expulsions locatives, repous­
sées de fin mars à fin mai. Sur les
15 000 expulsions locatives exé­

cutées chaque année, en France,
plus de la moitié concernent le
parc social.
Certains contrats de crédits à la
consommation ou immobilier
prévoient la possibilité pour l’em­
prunteur de repousser une ou plu­
sieurs échéances, en général dans
la limite de douze mois. « Aucune
justification n’est exigée mais c’est
un service facturé puisque les inté­
rêts continuent à courir pendant la
suspension, précise Sandrine Allo­
nier, directrice de la communica­
tion de VousFinancer. Ainsi, sus­
pendre pour trois mois une men­
sualité de 965 euros pour un prêt
souscrit en 2018, de 200 000 euros,
à 1,5 % sur vingt ans, allonge sa du­
rée de quatre mois et entraîne un
surcoût de 1 000 euros. Mais un tel
report exige un avenant au contrat
de prêt et le recalcul de son plan

d’amortissement, des démarches
qui prennent du temps en cette pé­
riode de surcharge des banques.
Mieux vaut opter pour la possibi­
lité, offerte par de nombreux
contrats, de diminuer, avec l’accord
du prêteur ou selon les modalités
prévues au contrat, ses mensuali­
tés de 10 % à 30 % durant, là aussi,
une durée maximale de deux ans. »
Quant aux commerces, plu­
sieurs propriétaires ont annoncé
suspendre, entre le 15 mars et le
15 avril, le paiement des loyers et
charges des magasins contraints
à la fermeture. C’est par exemple
le cas de la foncière de Carrefour,
Carmila, pour ses centres com­
merciaux en France, Espagne et
Italie, de la filiale d’Auchan,
Ceetrus, et de la Compagnie de
Phalsbourg.
isabelle rey­lefebvre

Les incertitudes


du calendrier scolaire


Pour le ministère, il est trop tôt pour
se prononcer sur un report des examens

A


lors que la France com­
mence sa première se­
maine de confinement
total, plus de 12 millions d’élèves
devront pratiquer « l’école à dis­
tance » au moins jusqu’aux vacan­
ces de printemps. Le calendrier
scolaire pourrait­il être modifié
pour rattraper les cours? Les
épreuves du diplôme national du
brevet et du baccalauréat seront­
elles repoussées?
A mesure que les conditions de
confinement se sont durcies, le
discours du ministre de l’éduca­
tion nationale s’est fait de moins
en moins affirmatif à ce sujet. Di­
manche 15 mars sur Franceinfo,
Jean­Michel Blanquer affirmait
« privilégier » le scénario où « le pic
d’épidémie serait derrière nous une
fois les vacances de printemps ter­
minées ». C’était avant l’annonce
du confinement total, déclaré
lundi soir par le président Macron.
Interrogé de nouveau mercredi
18 mars, toujours sur Franceinfo,
pour savoir si l’année scolaire pou­
vait être prolongée et les congés
d’été rabotés, Jean­Michel Blan­
quer a affirmé que « tout est sur la
table » et que « rien n’est impossi­
ble ». De même, sur la question du
report du bac et du brevet, « s’il fal­
lait faire évoluer bac et brevet, on le
ferait », a déclaré le ministre, qui
continue à privilégier l’hypothèse
du maintien des examens.

Organisation des épreuves
La durée totale du confinement,
encore inconnue à ce jour, empê­
che le ministère de l’éducation na­
tionale de se prononcer plus clai­
rement, souffle­t­on Rue de Gre­
nelle. Si l’école reprend après les
congés de printemps, le calendrier
scolaire pourra sans doute être
maintenu en l’état, avec quelques
aménagements. Il pourrait s’agir
d’un « allégement des program­
mes » sur lesquels les élèves seront
interrogés aux examens du bac et
du brevet, plaide Philippe Vincent,
secrétaire général du SNPDEN, le
syndicat majoritaire des chefs
d’établissement. Si la période se
prolonge, organiser normalement
les examens deviendra plus déli­
cat. Il faudra alors envisager de re­
pousser les épreuves, d’en suppri­
mer certaines, voire de les organi­
ser au mois de septembre.
Le SNPDEN souhaite d’emblée
aller « au plus simple » et propose
l’hypothèse d’un baccalauréat
« sur dossier », exceptionnelle­
ment, pour la cuvée 2020. « Les
élèves de terminale ont rempli Par­
coursup et donc validé trois se­
mestres de première, et deux de
terminale. Il y a largement assez

de matière pour leur délivrer le
bac, en envisageant par exemple
une session en septembre pour les
dossiers qui posent question », dé­
fend Florence Delannoy, secré­
taire générale adjointe du syndi­
cat et proviseure dans l’académie
de Bordeaux. Les syndicats ensei­
gnants, eux, ne se prononcent
pas pour l’instant.
En revanche, ils rapportent des
réactions « agacées », voire « épi­
dermiques », de leurs collègues de­
vant la possibilité de repousser les
vacances – une option que Jean­
Michel Blanquer n’a pas écartée,
mercredi matin. « Les collègues
l’ont assez mal pris. Ils ne sont pas
en vacances pendant le confine­
ment et se mettent en quatre pour
assurer la continuité pédagogi­
que », rapporte Sophie Vénétitay,
du SNES­FSU. « Laisser entendre
que les enseignants se tournent les
pouces devant Netflix et qu’ils de­
vront rattraper plus tard, ça ne
passe pas du tout », dit également
Alexis Torchet, du SGEN­CFDT.
Jean­Michel Blanquer a assuré
qu’il ferait un point sur le sujet du
calendrier scolaire à la fin du mois,
mais les syndicats réclament des
hypothèses de travail au plus vite.
« Cela éviterait de prendre les per­
sonnels de court en leur apprenant
fin mars que le confinement est
prolongé pour encore trois semai­
nes », explique Sophie Vénétitay.
Pour Philippe Vincent, « la réponse
“on va voir” ne suffit pas ». « Il faut
qu’on puisse y réfléchir ensemble »,
défend encore le syndicaliste.
Les concours de l’enseignement
supérieur pourraient égale­
ment être bouleversés. Les pre­
miers reports d’épreuves, annon­
cés dimanche 15 mars, concer­
nent surtout le recrutement des
enseignants (capes, agrégation,
concours de professeurs des éco­
les). Si le confinement s’étendait
jusqu’à fin avril, il faudrait envi­
sager de reprogrammer aussi les
épreuves écrites des grandes éco­
les de commerce et d’ingénieurs –
une hypothèse qui n’a pas été
écartée par le ministre de l’éduca­
tion nationale.
violaine morin

Si l’école reprend
après les congés
de printemps, le
calendrier pourra
être maintenu,
avec quelques
aménagements
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