8 |coronavirus VENDREDI 20 MARS 2020
0123
rome, madrid, berlin
correspondants
P
as de confinement im
posé, à condition que les
Allemands se confinent
d’euxmêmes. Contrai
rement à Giuseppe Conte, Pedro
Sanchez ou Emmanuel Macron,
la chancelière Angela Merkel veut
encore croire que le sens des res
ponsabilités de ses concitoyens
lui évitera d’avoir à instaurer un
confinement généralisé en Alle
magne (27 morts du coronavirus,
mercredi 18 mars au soir), comme
c’est désormais le cas en Italie
(près de 3 000 décès), en Espagne
(638 morts) et en France (264).
« Nous ne sommes pas condam
nés à assister passivement à la
propagation du coronavirus. Pour
cela, il existe un moyen : se tenir à
distance les uns des autres », a dé
claré Mme Merkel, mercredi, dans
une allocution télévisée pronon
cée depuis la chancellerie. Un for
mat exceptionnel, auquel elle ne
recourt que pour ses vœux de fin
d’année, ce qui en dit long sur la
gravité du moment. « Depuis la
réunification, non, depuis la se
conde guerre mondiale, il n’y a pas
eu de défi pour notre pays qui dé
pende autant de notre solidarité
commune », a affirmé la chance
lière allemande, peu coutumière
de telles références à l’histoire.
« Je crois fermement que nous
réussirons dans cette tâche si tous
les citoyens la considèrent vrai
ment comme leur tâche », atelle
assuré, en laissant entendre que
des décisions plus contraignan
tes pourraient être adoptées si
chacun n’est pas « discipliné ».
Pour l’heure, il reste donc possi
ble de sortir librement de chez soi
en Allemagne sans risquer de
sanction. Une situation qui n’a
rien à voir avec celle de l’Italie, de
l’Espagne ou de la France, où les
habitants ne peuvent désormais
plus quitter leur domicile que par
nécessité professionnelle, si le té
létravail est impossible, ou pour
des besoins vitaux (visites en
pharmacie, courses alimentaires,
en passant par certains services
jugés indispensables, comme les
banques ou les postes).
Dans ces trois pays, des différen
ces demeurent, cependant. En
France, il reste possible d’effectuer
des « déplacements brefs, à proxi
mité du domicile, pour une activité
physique individuelle ou pour les
besoins des animaux de compa
gnie ». Ou pour aider des proches
vulnérables. En Espagne, une sim
ple promenade, même non ac
compagnée, n’est pas autorisée,
sauf s’il s’agit de sortir son chien.
Ce qui a rendu les animaux de
compagnie si précieux que cer
tains sont prêts à payer pour sortir
ceux des voisins. Même le jogging
est interdit : le gouvernement ne
fait sans doute pas confiance aux
Espagnols, incapables de sortir
dans la rue sans socialiser.
En Italie, des sorties pour faire
un peu de sport sont parfois tolé
rées, mais certains maires ont fait
de la surenchère en fermant les
jardins publics et même, dans de
nombreuses villes de Lombardie,
épicentre de l’épidémie, les cime
tières. En France, on n’en est pas
encore là, même si les cérémo
nies funéraires font déjà l’objet de
très sévères restrictions, comme
l’a indiqué Edouard Philippe,
mardi, au journal télévisé de
France 2. A la question d’une té
léspectatrice demandant s’il était
possible de se rendre à l’enterre
ment d’un ami, le premier minis
tre a été très clair : « Ce que je vais
dire est terrible à entendre mais (...)
je vais répondre non. Nous devons
limiter au maximum les déplace
ments. Même dans cette circons
tance, nous ne devons pas déroger
à la règle qui a été fixée. »
Etat d’alerte
Contrairement à la France, où
toute personne sortant de chez
elle doit présenter « un document
attestant sur l’honneur le motif »
du déplacement à télécharger sur
le site du ministère de l’intérieur
ou à reproduire sur papier libre,
ou à l’Italie, où chacun doit être
muni d’une « autocertification »,
l’Espagne n’impose pas la posses
sion d’un tel document. Mais cela
n’empêche pas les contrôles et les
sanctions, lesquelles peuvent al
ler de 100 euros à un an de prison.
Depuis la mise en place de l’état
d’alerte, dimanche 15 mars, les for
ces de l’ordre espagnoles ont ainsi
procédé à 88 gardes à vue pour
nonrespect de l’état d’alerte.
Dans la seule journée de mardi, la
police catalane a procédé à 3 232
identifications et infligé 485 sanc
tions, tandis qu’à Madrid, le
même jour, 342 amendes et 9 gar
des à vue ont été recensées.
En France, le montant de
l’amende forfaitaire pour les con
trevenants, qui était de 38 euros,
mardi, jour de la mise en place du
confinement, est passé dès le len
demain à 135 euros. Invité du
« 20 heures » de TF1, mercredi
soir, le ministre de l’intérieur,
Christophe Castaner, a dressé un
premier bilan : « En 24 heures, il y a
eu 70 000 échanges avec les Fran
çais pour leur expliquer pourquoi
ils étaient en infraction et, depuis
ce matin, 4 095 procèsverbaux qui
ont été dressés », atil déclaré.
L’ordre de grandeur est compa
rable à celui de l’Italie, où 43 000
procédures d’infraction ont été
lancées en une semaine et où les
contrevenants s’exposent en
théorie à une amende (206 euros)
et à des peines pouvant aller jus
qu’à trois mois de prison. A ces
sanctions s’en ajoute une autre :
depuis le 17 mars, le texte de l’auto
certification à présenter aux for
ces de l’ordre a été modifié pour
ajouter une phrase indiquant que
l’on n’est ni en quarantaine ni po
sitif au SARSCoV2, sous peine
d’être poursuivi pour « atteinte à
la santé publique ». Un crime pas
sible de douze années de prison.
Si la France a tardé à confiner sa
population par rapport à l’Italie
ou à l’Espagne, la mesure n’en a
pas moins revêtu un caractère
spectaculaire, tout le territoire se
trouvant concerné d’un seul coup
depuis mardi midi. En Italie, le
confinement n’a d’abord con
cerné que deux « zones rouges »
en Lombardie, autour de Codo
gno (10 communes, 45 000 habi
tants), et en Vénétie, autour du
village de Vo Vecchio (3 000 habi
tants). Mais, durant les premiers
jours, ces lieux de confinement
étaient bien poreux, de sorte que
le virus s’est vite répandu hors de
ces foyers, particulièrement dans
la plaine lombarde. Dans la nuit
du 7 au 8 mars, prenant acte de
l’avancée de la contamination, le
gouvernement a dessiné une
zone de confinement plus vaste,
englobant cette foisci la totalité
de la Lombardie et 14 autres pro
vinces du nord du pays. Le
10 mars, l’Italie tout entière était
placée en confinement. Ce soirlà,
selon la protection civile, le bilan
frôlait déjà les 500 morts.
Deux jours avant que toute la po
pulation italienne ne soit confinée
chez elle, 120 000 personnes
étaient encore dans les rues de Ma
drid et des dizaines de milliers
d’autres dans toutes les grandes
villes d’Espagne pour célébrer la
journée des droits des femmes, le
8 mars. Ensuite, cependant, tout
est allé très vite. Le 11, trois régions
autonomes, celle de Madrid, le
Pays basque et la Rioja, principales
zones de contamination, déci
daient de suspendre les cours dans
toutes les classes et à l’université,
ainsi que de fermer les crèches.
Ce réveil brutal, dû à la propaga
tion extrêmement rapide de l’épi
démie dans le royaume, devenu le
deuxième foyer d’Europe et le qua
trième au monde, n’a pas manqué
de mettre à l’épreuve l’organisa
tion décentralisée de l’Etat, dans
un pays où ce sont les régions qui
gèrent la santé. Un jour avant qu’il
ne soit appliqué à toute l’Espagne,
les Basques ont ainsi été les pre
miers à décréter un état d’alerte sa
nitaire, avant de se plaindre de la
reprise en main par Madrid des
pouvoirs en matière de santé et de
sécurité que ce décret exception
nel a impliquée. De son côté, le pré
sident de la Catalogne, l’indépen
dantiste Quim Torra, n’a cessé de
demander le confinement total de
la région pour qu’aucun train,
avion ou bateau n’y rentre.
Malgré cela, le gouvernement
espagnol a estimé qu’imposer le
confinement sur tout le territoire
le même jour était indispensable,
alors que certaines régions conti
nuaient de rechigner à suspendre
les cours, se sentant moins con
cernées que Madrid ou le Pays
basque. La décision, qui vise à frei
ner l’épidémie, a pour consé
quence que toutes les ressources
sanitaires du royaume sont dé
sormais gérées non pas selon des
critères de territoires, mais en
fonction des urgences sanitaires.
Ainsi, les stocks de matériels par
ticulièrement nécessaires aux hô
pitaux madrilènes, où se concen
trent 41 % des personnes diagnos
tiquées, 65 % des décès et malades
en soin intensif, peuvent être ré
quisitionnés dans tout le pays.
En Italie, où la gestion de la crise
a été recentralisée autour des ser
vices du premier ministre, Giu
seppe Conte, de très vives ten
sions sont apparues entre le gou
vernement central et la prési
dence de la Lombardie, devenue
le principal foyer de la contagion.
Initialement réticent à des res
trictions trop fortes au nom de
l’activité économique, le chef de
l’exécutif régional, Attilio Fon
tana, membre de la Ligue (ex
trême droite) de Matteo Salvini,
plaide désormais pour l’adoption
de normes encore plus contrai
gnantes, pour sauver ce qui peut
l’être dans cette région qui
comptait à elle seule près de
2 000 morts au soir du 18 mars.
Cette situation n’est pas sans
rappeler celle de l’Allemagne, où la
Bavière, l’une des régions les plus
riches du pays mais aussi l’une des
plus touchées par l’épidémie, a
toujours un temps d’avance de
puis quelques jours. Lundi matin,
le président de la région, Markus
Söder, chef de la très conservatrice
Union chrétiennesociale (CSU), a
ainsi décrété l’« état de catastro
phe », qui renforce les pouvoirs
d’intervention de la police et per
met aux autorités locales de pren
dre des mesures drastiques. Un le
vier qu’a saisi la commune de Mit
terteich, un bourg de 7 000 habi
tants, dont 40 détectés positifs au
Covid19, qui a été le premier à ins
taurer un couvrefeu, mercredi,
pour au moins deux semaines.
D’autres initiatives de ce type se
rontelles prises en Allemagne
dans les prochains jours? C’est
d’autant plus probable que le dis
cours prononcé par Mme Merkel,
mercredi, s’adresse autant aux ci
toyens qu’aux autorités locales et
régionales, afin que cellesci fas
sent respecter les nouvelles règles
très strictes, adoptées lundi par
l’ensemble des Länder, concer
nant les ouvertures de commerce
et les interdictions des rassemble
ments publics.
Moins de quarantehuit heures
après leur entrée en vigueur, le
nonrespect de certaines de ces rè
gles a déjà poussé certains élus à
agiter la menace d’un confine
ment, lequel pourrait s’imposer
en Allemagne par le bas plutôt que
d’en haut par le gouvernement fé
déral. C’est le cas à Berlin, où le
maire, Michael Muller, déclare :
« Les gens n’ont toujours pas com
pris. Il est intolérable de continuer
à se faire inviter à des “CoronaPar
tys” et de continuer à dévaliser les
magasins », atil expliqué, mer
credi, avant de lancer cet avertis
sement aux Berlinois : « Je n’exclus
pas qu’il faille franchir un pas sup
plémentaire d’ici quelques jours. La
question du confinement est po
sée. Ça peut se décider très vite. » En
Italie, le confinement a été pro
longé, jeudi, jusqu’au 3 avril.
jérôme gautheret,
sandrine morel
et thomas wieder
Markus Söder,
le président
de la Bavière a
décrété l’« état
de catastrophe »
Les mille nuances de gris
du confinement à l’européenne
Les trois pays les plus touchés, Italie, Espagne et France, ont réduit
la liberté de mouvement de leur population, tandis que
l’Allemagne temporise encore, au grand dam de certains dirigeants
A Cologne,
en Allemagne
(cicontre à
gauche),
le 17 mars ;
à Gênes, en Italie
(à droite),
le 13 mars ;
à Madrid
(cidessous),
le 18 mars. THILO
SCHMUELGEN/REUTERS -
MARCO BERTORELLO/AFP -
OSCAR DEL POZO/AFP