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VENDREDI 20 MARS 2020 coronavirus | 9
Face à la pression
du virus, Boris Johnson
fait évoluer sa doctrine
Les écoles seront fermées dès vendredi, mais
le confinement n’est toujours pas obligatoire
londres correspondante
F
in de l’exception britanni
que : Boris Johnson a an
noncé lors de sa conférence
de presse désormais quotidienne,
mercredi 18 mars, que les écoles
anglaises fermeraient vendredi
20 mars après les classes, alors
que le nombre de décès dus au
coronavirus a progressé de 30 %
dans le pays en vingtquatre heu
res, passant à 104 morts.
La situation n’était plus tenable :
un peu plus tôt dans la journée,
l’Ecosse et le Pays de Galles
avaient déjà annoncé la ferme
ture de leurs écoles et crèches
pour vendredi. Et, en Irlande du
Nord, les autorités étaient de plus
en plus partagées, alors que l’Ir
lande avait, elle, pris cette déci
sion dès lundi, comme de nom
breux autres pays européens. « Il y
a deux raisons pour lesquelles
nous avons pris cette décision : la
science et la réalité sur le terrain.
De plus en plus d’enseignants s’iso
lent chez eux, les écoles s’appro
chent du point où elles n’ont plus
assez de personnel pour tourner »,
a insisté Nicola Sturgeon, la pre
mière ministre écossaise. La diri
geante a laissé entendre que la fer
meture pourrait durer trois mois.
Boris Johnson a confirmé pour
sa part que « les examens de mai et
de juin ser[aient] reportés », fai
sant allusion au GCSE (examen de
fin de collège) et au A Level (l’équi
valent du baccalauréat). « Je com
prends parfaitement l’inquiétude
des parents, mais nous ferons en
sorte que les écoliers ne soient pas
pénalisés pour le reste de leurs étu
des et leurs diplômes », a assuré le
premier ministre. Les écoles de
vraient rester ouvertes pour les
enfants « les plus vulnérables et
ceux des personnelsclés ».
Ce sera aux établissements de
fixer leurs critères. Par ailleurs, les
écoliers bénéficiant de repas
gratuits devraient disposer d’un
système de bons d’achats, a pré
cisé le secrétaire d’Etat à l’éduca
tion, Gavin Williamson. L’Etat
pourvoira aux frais.
Pourquoi avoir retardé une telle
échéance, alors que les parents, de
plus en plus inquiets, avaient déjà
commencé à retirer leurs enfants
des établissements? « Nous déci
dons des bonnes choses à faire, au
bon moment. Fermer les écoles n’a
que peu d’impact sur la limitation
de la propagation de l’épidémie,
car les enfants sont bien moins
vulnérables. Le conseil de nos
scientifiques était donc de laisser
les écoles ouvertes le plus long
temps possible pour éviter de créer
une pression trop grande sur l’hô
pital [leurs personnels devant
s’absenter pour garder leurs en
fants] », a assuré M. Johnson, flan
qué de son conseiller scientifique
en chef, Sir Patrick Vallance.
C’est ce dernier qui, il y a huit
jours, justifiait le quasi« laisser
faire » du gouvernement pour lut
ter contre la pandémie (à l’épo
que, il ne conseillait que de se la
ver les mains et de s’autoconfiner
une semaine en cas de symptô
mes) par l’utilité d’acquérir une
« immunité collective ». Cette
herd immunity permettrait d’en
finir plus rapidement avec l’épi
démie, à condition que 60 % de la
population contracte le virus.
Mais cette stratégie s’est révélée
trop coûteuse en vies humaines :
250 000 personnes pourraient y
laisser la vie au RoyaumeUni, a
révélé, lundi, une étude de l’Impe
rial College London.
« Un temps précieux perdu »
Boris Johnson a aussi annoncé
mercredi, dans une Chambre des
communes réduite à sa plus sim
ple expression (le speaker et quel
ques dizaines de députés), que
l’objectif était désormais de tester
jusqu’à 25 000 personnes par jour,
le plus vite possible. Alors que,
pour l’instant, seuls 5 000 tests par
jour sont pratiqués, et que les per
sonnels hospitaliers se plaignent
de ne pas y avoir accès. Londres
semble enfin tenir compte des re
commandations que l’Organisa
tion mondiale de la santé (OMS)
martèle depuis des jours : « Test,
test, test! » Le Covid19 est un « en
nemi de l’humanité », a insisté son
directeur général, mercredi.
Downing Street entend aussi
faire passer en urgence une loi lui
donnant les pleins pouvoirs, y
compris celui d’obliger les Bri
tanniques à rester confinés chez
eux. Car, pour l’instant, les mesu
res de « restriction sociale » n’ont
toujours rien d’obligatoire.
Quand le gouvernement vatil
agir, surtout à Londres, principal
foyer épidémique? « Nous n’ex
cluons aucun pas supplémen
taire », a dit M. Johnson mercredi.
Un confinement de la capitale
pourrait intervenir avant le week
end prochain. « Le RoyaumeUni
prend enfin les bonnes décisions
pour venir à bout de cette épidé
mie. Mais nous avons perdu un
temps précieux. Il y aura des morts
qui étaient évitables, le système a
failli », accusait mercredi dans le
Guardian Richard Horton, le ré
dacteur en chef du Lancet, publi
cation médicale de référence.
cécile ducourtieux
A Wuhan, confinement et isolement des
malades ont permis d’endiguer l’épidémie
La Chine n’a rapporté jeudi aucune contamination domestique, mais 34 cas importés
shanghaï correspondance
S
i la Chine a tardé à reconnaî
tre la dangerosité de l’épidé
mie, n’hésitant pas à arrêter
des médecins qui tentaient de
donner l’alerte fin décem
bre 2019, ses premières mesures
ont été radicales. Le 20 janvier, le
président chinois, Xi Jinping, dé
clarait que la situation était
« grave », et l’épidémiologiste de
renom Zhong Nanshan expli
quait à la télévision nationale que
le virus était bien contagieux en
tre humains. Trois jours plus tard,
la veille des vacances du Nouvel
An chinois, la ville de Wuhan, la
capitale du Hubei, était coupée du
monde. Les jours suivants, c’est
toute la province qui était mise
sous cloche, tandis que la Chine se
barricadait progressivement.
Toutes les provinces du pays
lancent alors une grande chasse à
l’homme pour retrouver les
5 millions de personnes originai
res de Wuhan qui ont voyagé à
travers la Chine pour le Nouvel
An, l’occasion chaque année de la
plus grande migration au monde.
Dans toute la Chine, ils sont priés
de se signaler aux autorités
locales qui s’assurent qu’ils ne
sortent pas de chez eux pour au
moins quatorze jours.
Les outils de l’Etat policier sont
mis à contribution : en Chine, il
faut donner son numéro de carte
d’identité pour acheter un billet
de train, d’avion, de car, ou s’enre
gistrer à l’hôtel, ou encore acheter
une carte SIM. La police peut
tracer la population efficace
ment. La psychose fait le reste :
des habitants de Wuhan de retour
dans leurs villages d’origine ont
été enfermés dans une chambre
par leur propre famille.
Partout en Chine, les consignes
s’affichent sur des banderoles en
caractères blancs sur rouge sur les
murs des villes et des campa
gnes : « Ne sortez pas de chez vous,
ne sortez pas de chez vous, ne sor
tez vraiment pas de chez vous! » La
plupart des villes se barricadent :
si elles ne sont pas officiellement
en quarantaine, il est très difficile
de sortir de son lieu d’origine. Les
habitants restent chez eux, se
contentant de sortir pour l’essen
tiel. Les provinces, villes et villa
ges sont fermés aux personnes
étrangères. Le pays est paralysé.
La plupart des provinces prolon
gent les vacances de dix jours, jus
qu’au 10 février, mais, dans les
faits, l’activité reprend très lente
ment jusqu’à la fin du mois.
Hôtels réquisitionnés
Ces mesures, généralement bien
suivies par une population ef
frayée par le virus, suffisent dans
la plupart du pays. Hors du Hubei,
la courbe des infections s’inflé
chit à partir du 7 février et, dès le
17 février, elle est parfaitement
plate. Le pays de 1,4 milliard d’ha
bitants ne déclare quasiment
aucun nouveau cas.
Au Hubei, en revanche, l’épidé
mie fait toujours rage. Le nombre
de nouveaux cas ne baisse pas
clairement malgré les restric
tions. Les services d’urgences
sont dépassés. Le premier des
deux hôpitaux de campagne
construits en dix jours, terminé le
3 février, pouvait accueillir
1 000 patients. Le jour même, la
ville annonçait la découverte de
presque 3 000 nouveaux cas.
Faute de kits de test et de lits
dans les hôpitaux, les patients
présentant des symptômes
moins graves sont renvoyés chez
eux, où ils contaminent leurs pro
ches. Le cas de Chang Kai, un met
teur en scène de 55 ans, choque le
pays : son père est emporté fin
janvier par la maladie, sans même
avoir obtenu un lit à l’hôpital. Sa
mère décède quelques jours plus
tard, et, le 15 février, il est lui
même emporté, laissant sa
femme aux prises avec la maladie.
Alors que le système de santé est
dépassé, conduisant à un taux de
létalité de 4,6 % à Wuhan, contre
0,89 % pour le reste de la Chine,
les autorités décident de durcir
encore les conditions de la
quarantaine dans le Hubei, à par
tir du 9 février. A cette date, les
habitants de la province n’ont le
droit de quitter leur domicile
qu’une fois tous les quelques
jours, puis plus du tout. Les comi
tés de résidents organisent des
distributions de vivres.
Parallèlement, la ville trans
forme stades, écoles et centres de
congrès en une quinzaine de
lieux d’isolement pour les mala
des présentant des symptômes
bénins. Des hôtels sont aussi
réquisitionnés. Plus question de
rester chez soi et de contaminer
ses proches. Les comités de rési
dents rendent aussi visite à tous
les habitants pour prendre leur
température. Parfois, des habi
tants sont emmenés de force en
isolement. Mais les résultats sont
là : à partir de mifévrier, on passe
de plus de 2 000 infections par
jour à quelques centaines, puis
quelques dizaines début mars.
Retournement de l’histoire, la
Chine n’a rapporté jeudi 19 mars
aucune nouvelle contamination
d’origine locale, mais fait état de
34 cas importés supplémentaires.
Sont désormais touchés en majo
rité des Chinois de la diaspora ou
des étudiants de retour dans leur
pays d’origine. Pour éviter une
nouvelle vague de contamina
tions, les autorités ont mis en
place des contrôles très stricts
aux aéroports, avec quatorzaine
obligatoire dans des hôtels réqui
sitionnés pour l’occasion ou au
domicile des personnes.
Les voyageurs arrivant dans les
grandes villes chinoises suivent
un parcours balisé pour enregis
trer leurs informations, avant
d’être envoyés en bus jusqu’à leur
résidence où les comités de rési
dents les accompagnent jusqu’à
leur domicile, qu’ils ne doivent
pas quitter pendant deux semai
nes, sous peine d’amende ou
d’emprisonnement. Preuve que
le système fonctionne, beaucoup
de voyageurs arrivant d’Europe
sont testés positifs à leur des
cente d’avion.
simon leplâtre
Les PaysBas parient toujours
sur l’immunité collective
Le refus du confinement suscite des critiques dans la Belgique voisine
bruxelles bureau européen
A
u sein des pays euro
péens, les PaysBas se
démarquent dans la
lutte contre la pandé
mie due au coronavirus : comme
la Suède et, dans une mesure bien
moindre désormais, le Royaume
Uni, ils refusent toujours d’envi
sager le confinement obligatoire
en vigueur notamment en France
et en Italie. Le pays s’en tient à la
théorie de l’immunité collective.
Si le premier ministre britanni
que, Boris Johnson, est en train de
réviser cette notion selon laquelle
il faut laisser le virus se diffuser
dans la population, en protégeant
cependant les groupes les plus
vulnérables, son homologue
néerlandais, Mark Rutte, défend
encore l’idée qu’une fois qu’une
partie importante de la popula
tion a été atteinte par l’agent in
fectieux, elle sera immunisée.
Alors qu’un confinement empê
cherait, au contraire, l’immunisa
tion et favoriserait le retour, plus
tard dans l’année, du virus.
Dans une inhabituelle inter
vention télévisée, M. Rutte a indi
qué, lundi 16 mars, qu’« une
grande partie » de la population
néerlandaise serait affectée,
mais qu’il n’était pas question de
décréter un confinement total,
qui risquerait de faire « immédia
tement » renaître le virus dès que
la mesure ne serait plus en vi
gueur. Une version répétée lors
d’un débat parlementaire, à
La Haye, par le ministre de la
santé, Bruno Bruins, avant qu’il
soit victime, mercredi, d’un
malaise dû, atil expliqué, à un
excès de fatigue.
« L’immunité n’est pas une straté
gie, mais juste une conséquence de
ce que nous voulons faire, dans un
pays qui compte une très forte den
sité de population et, proportion
nellement, moins de lits en soins
intensifs que d’autres », affirme un
diplomate. Il soutient que la poli
tique de son pays est, finalement,
assez proche de celle de ses voi
sins, sans évoquer le fait que le
système de soins néerlandais a
été fortement rationalisé et ne
dispose pas toujours des infras
tructures nécessaires. Jaap van
Dissel, directeur de l’Institut na
tional de santé publique (RIVE),
soutient, en tout cas, que « le
groupe des personnes immunes
forme un bouclier pour les person
nes plus fragiles ».
« Tout à fait inacceptable »
Ce n’est pas l’avis de spécialistes
belges, qui estiment que l’appro
che néerlandaise met en péril les
efforts déployés dans les pays voi
sins et l’Union européenne en
général. L’immunité collective est
« tout à fait inacceptable », juge
ainsi le docteur Yves Coppieters,
épidémiologiste à l’Université
libre de Bruxelles, interrogé par
La Libre Belgique. Il ne nie pas,
toutefois, que le confinement
peut limiter l’immunité natu
relle, mais il souligne qu’il permet
au moins que les systèmes hospi
taliers puissent gérer au mieux
les cas les plus difficiles.
Les experts relèvent, en tout cas,
une proportion élevée de cas de
contamination dans les régions
allemandes et belges proches de
la frontière néerlandaise. L’expli
cation résidant peutêtre dans le
fait que les PaysBas n’ont re
noncé que le 14 mars à fermer une
série d’établissements, dont les
restaurants, les bars et les disco
thèques. Une décision jugée trop
tardive qui a fait en sorte que de
nombreux habitants des pays
riverains ont franchi la frontière
et contribué à d’importants ras
semblements de personnes.
La comparaison des chiffres
des contaminations et de décès
ne permet pas, à l’heure actuelle,
de trancher en faveur des appro
ches « confinement » ou « immu
nité ». « C’est l’histoire qui mon
trera si le résultat est très diffé
rent », observe le ministre norvé
gien de la santé, Bent Hoie. Les
PaysBas (17,2 millions d’habi
tants) comptaient, mercredi,
2 051 personnes contaminées et
58 décès, tandis que la Belgique
(11,4 millions d’habitants) dé
nombrait 1 486 cas mais 14 morts
seulement. La Suède (10,1 mil
lions), qui pratique l’immunité
collective, recense, elle, moins de
cas (1 279) et moins de morts (10).
Un nombre qui s’explique sans
doute par le fait que les contami
nés revenant de l’étranger ont été
très rapidement isolés.
La stratégie suivie par les auto
rités de Stockholm, pourtant en
contradiction avec celle de leurs
voisins danois, finlandais ou nor
végien, ne fait pas vraiment polé
mique dans la région, mais la
situation pourrait changer si,
comme le redoute l’agence sué
doise de la santé publique, le pays
devait affronter une explosion
du nombre de cas.
Tentant, avec un peu de diffi
culté, de favoriser des approches
communes et efficaces, la Com
mission de Bruxelles a créé un co
mité d’experts scientifiques censé
promouvoir la coordination entre
les pays membres. Réuni pour la
première fois mercredi 18 mars, il
devait identifier les carences des
politiques menées et formuler
des recommandations en matière
d’identification et de traitement
de la maladie.
Interrogée sur les approches
différentes des uns et des autres,
la Commission affirme qu’il ne
lui appartient pas de commenter
des stratégies nationales. Les
scientifiques devraient, eux, prô
ner dans un premier temps des
mesures généralisées de distan
ciation sociale, communes aux
différents pays membres et coor
données entre eux. Audelà, ils
devraient plaider pour des mesu
res obligatoires de mise en qua
rantaine complète pour les en
droits où l’agent infectieux serait
particulièrement répandu. Des
décisions à évaluer avec préci
sion par les pouvoirs publics, au
niveau d’un quartier, d’une ville
ou d’une région.
jeanpierre stroobants,
et annefrançoise hivert
(stockholm, correspondante)
« C’est l’histoire
qui montrera
si le résultat est
très différent »
entre les deux
approches
BENT HOIE
ministre norvégien
de la santé
du lundi
au vendredi
11H –11H
Florian
Delorme
L’esprit
d’ouver-
ture.
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