Le Monde - 09.04.2020

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JEUDI 9 AVRIL 2020 coronavirus| 11


vée en ballottage avec 35,96 % des suffrages,
devancée d’une quarantaine de voix par
une des deux listes de gauche, mais avec
une abstention de plus de 56 %. « C’était un
ballottage tellement étrange qu’on ne l’a pas
vraiment vécu comme tel. Une situation to­
talement inédite, raconte­t­elle. Les gens
nous appelaient pour nous demander s’ils
devaient venir voter et on leur disait, à nos
propres électeurs, de rester chez eux. »
« Après, les affaires reprennent. On oublie
qu’on a été candidat et on redevient maire. Le
taux d’abstention était tel que les Morlaisiens
n’ont pas trouvé ça aberrant », poursuit­elle,
tout en ajoutant que, « pour une équipe
primo­arrivante et qui n’avait pas d’expé­
rience, [ç’aurait été] un cadeau empoi­
sonné ». La municipalité sortante avait
préactivé le plan communal de sauvegarde
destiné à planifier la gestion du risque et à
organiser la continuité des services publics.
« Chacun sait ce qu’il a à faire, assure la vice­
présidente de l’Association des maires de
France, mais, depuis, on a subi des tas d’ins­
tructions contradictoires ». « La partie admi­
nistrative est angoissante », constate­t­elle.
En sus des missions habituelles, la mairie a
fait un gros travail de recensement des per­
sonnes en difficulté pour assurer, notam­
ment, les livraisons de repas et autres servi­
ces à domicile. « Neuf élus ont démarché plus
de 3 500 personnes, rapporte­t­elle. Un bou­
lot de titan. »
Aussi, quand on lui rapporte que des listes
d’opposition, ailleurs dans le département,
constituent des « groupes d’entraide » aux
personnes en difficulté, Agnès Le Brun
s’énerve. « On ne peut pas faire n’importe
quoi, il ne faut pas que tout le monde se ba­
lade dans la nature sans aucun contrôle,
aucune vérification de qui sont ces béné­

voles. La plupart du temps, il s’agit simple­
ment de continuer à faire campagne à bon
compte sans avoir à en rendre. »
Elu depuis 2005, Hervé Chérubini, maire
(divers gauche) de Saint­Rémy­de­Provence
(Bouches­du­Rhône), commune touristique
de 9 600 habitants au cœur des Alpilles, a été
mis en ballottage le 15 mars. « Nous avons
passé les quinze premiers jours à mettre en
place notre plan de continuité d’activités.
Nous l’avions préparé mais il a fallu l’adapter
à cette situation totalement inédite », rappor­
te­t­il. Une partie des employés de la com­
mune ont été placés en télétravail. D’autres
ont obtenu une « autorisation spéciale d’ab­
sence » pour garder leurs enfants. Certains
sont en arrêt maladie. « On redéploie aussi.
Les agents des écoles font de l’accueil télépho­
nique. On a tous la tête dans le guidon. »

PETITES RÉPARATIONS ET SOUTIEN MORAL
La police municipale patrouille avec la gen­
darmerie pour veiller à l’application du
confinement, les écoles et la crèche sont
ouvertes pour les enfants du personnel soi­
gnant et des forces de l’ordre. Les services de
collecte des déchets, du tri sélectif, de l’eau et
de l’assainissement sont en activité priori­
taire. « Mais je suis en colère parce que les gens
profitent du confinement pour faire du net­
toyage chez eux et sortent tout sur la chaus­
sée », s’agace le maire.
La principale angoisse de M. Chérubini
concerne l’établissement d’hébergement
pour personnes âgées dépendantes (Ehpad)
dont il préside le conseil d’administration.
« J’appelle le directeur tous les jours.
Pour l’instant, une pensionnaire et une aide­
soignante ont été touchées, mais elles vont
bien toutes les deux. Le conseil départemen­
tal a livré des masques le 1er avril. » Le CCAS,
lui, tourne à plus d’une centaine d’interven­
tions quotidiennes et, précise le maire,
« on a un petit volant de bénévoles qui se sont
proposés spontanément pour intervenir chez
les gens pour des petites réparations, du sou­
tien moral ».
Sa grande inquiétude porte sur le redé­
marrage économique. « Les restaurants et
les activités touristiques pourront repartir
rapidement, mais pour tout ce qui est
industriel cela risque d’être plus long et plus
compliqué. » Pas le temps, d’ici là, de penser
au second tour.
gilles rof, patrick roger (à paris)
et anthony villeneuve

« ON REDÉPLOIE.


LES AGENTS DES ÉCOLES 


FONT DE L’ACCUEIL 


TÉLÉPHONIQUE.


ON A TOUS LA TÊTE


DANS LE GUIDON »
HERVÉ CHÉRUBINI
maire de Saint-Rémy-de-Provence

A Nantes, Johanna Rolland


fait le pari du rassemblement


L’omniprésente maire socialiste livre un bulletin télévisuel
quotidien et consulte régulièrement les élus d’opposition

nantes ­ correspondant

C


onfinée, elle est pourtant
en première ligne. A Nan­
tes, la maire socialiste, arri­
vée en tête du premier tour des
municipales (31,36 % des voix), de­
meure sur tous les fronts face à
une population inquiète. Un nou­
veau rendez­vous est devenu quo­
tidien. A 18 heures, Johanna Rol­
land délivre un bref bulletin télévi­
suel sur ses réseaux sociaux. Elle y
égraine les mesures prises par la
ville dans le cadre de la crise sani­
taire liée au Covid­19. Au premier
jour de sa chronique, le 17 mars,
l’édile socialiste, 40 ans, est appa­
rue derrière son bureau de l’hôtel
de ville. Il s’est d’abord agi de « faire
corps », d’appeler « à l’unité natio­
nale », et de rassurer sur le main­
tien des « missions essentielles de la
ville » : gestion de l’eau, assainisse­
ment, collecte des déchets, accom­
pagnement des personnes les plus
âgées et les plus fragiles...
Depuis le 23 mars, changement
de décor. C’est devant sa bibliothè­
que que Johanna Rolland opère.
Son mari officie à la caméra, alors
que le virus a possiblement fait
son entrée dans le nid familial, la
cadette de la maison, 8 ans, ayant
présenté certains signes du
Covid­19 sans avoir été dépistée.
« Ma fille a eu une forte fièvre et mal
à la tête, mais, maintenant, elle va
mieux », dit la maire, qui a
annoncé, mardi 7 mars, souffrir à
son tour « de symptômes légers et
manifestes ». Signe de la volonté de
reprendre le dessus : l’élue ex­
prime l’intention de convoquer un
conseil municipal en visioconfé­
rence d’ici la fin avril.
L’agenda de la maire déborde, le
téléphone chauffe. « Dans la tem­

pête, le capitaine doit être sur le
pont avec son équipe », confie­t­
elle. Chaque matin, Mme Roland
fait un point avec la cellule de crise
installée avant même les directi­
ves gouvernementales. En début
d’après­midi, la maire échange en
visioconférence avec une équipe
resserrée d’élus. Dont Julie Laer­
noes, rivale écologiste lors des mu­
nicipales, troisième au soir du pre­
mier tour (19,58 % des suffrages),
toujours adjointe en poste.
« Bénéficier de son regard sur
toutes les mesures à prendre pour
affronter cette crise inédite est
pour moi une évidence », énonce
Mme Rolland. Elle a aussi pris soin
d’appeler Christophe Jouin – co­
listier de Mme Laernoes, il a fondé
L’Autre cantine, association qui
propose des repas aux migrants,
et a enfariné, au sens propre,
Johanna Rolland à l’automne
2018 afin de l’interpeller sur la si­
tuation des migrants – pour lui
demander de participer au plan
d’aide alimentaire. « Est­ce par
stratégie politique ou par intérêt
sincère? J’ai envie de dire : peu
importe, tranche Mme Laernoes. Il
fallait agir et elle l’a fait. »
L’élue écologiste conserve de
multiples divergences avec la
maire de Nantes, mais concède :

« Elle est plus à l’écoute que je ne l’ai
jamais vue. C’était intelligent de
créer ce petit groupe de travail avec
des élus ayant des points de vue va­
riés. Rien ne l’y obligeait. »
Invitée à un échange avec la
maire deux fois par semaine en
tant que responsable d’opposition,
Laurence Garnier, élue Les Répu­
blicains et vice­présidente du con­
seil régional, coupe court à tout
commentaire laudatif : « Il n’y a
rien que de très normal dans ce
qu’accomplit la maire, estime
Mme Garnier, arrivée en deuxième
position le 15 mars, avec près de
20 % des voix. Tous les responsa­
bles aux commandes de collectivi­
tés mettent en place des dispositifs
d’aides, en lien avec l’Etat. »

Plate-forme d’entraide
Au fil des jours, la ville a tout de
même pris en main la coordina­
tion d’une plate­forme d’entraide
entre habitants, annoncé des me­
sures visant à soutenir les acteurs
du monde culturel, associatif et
économique, ou mis sur orbite un
service de transport individualisé
et gratuit à l’intention des person­
nels de santé et médico­sociaux.
Sur l’agenda de Mme Rolland se
greffent des réunions avec le pré­
fet et un contact quotidien avec la
directrice du CHU de Nantes. « Ce
qui change, ce n’est pas le temps
passé à travailler, c’est l’intensité. La
dimension vitale de ce qui se
passe », explique­t­elle.
Pas question pour l’heure de dis­
serter sur le maintien des élec­
tions ou la gestion de la crise sani­
taire au sommet de l’Etat : « Ce n’est
pas le moment, on ne serait pas au
niveau, balaie­t­elle. Le temps des
explications viendra plus tard. »
yan gauchard

La campagne municipale


entre parenthèses à Bordeaux


Les candidats à la mairie profitent du confinement pour tirer
les leçons du premier tour et repenser leur programme

bordeaux ­ correspondante

A


Bordeaux, la campagne
pour les élections muni­
cipales n’a pas été de
tout repos pour les neuf candi­
dats en lice. La ville s’est révélée
être une place stratégique. Gou­
vernée quarante­sept ans par
Jacques Chaban­Delmas, puis
près de vingt­cinq ans par Alain
Juppé, l’ex­« belle endormie »
n’avait pas connu de second tour
aux municipales depuis la Libé­
ration. Pour la première fois de
son histoire récente, plusieurs
espéraient la voir basculer à
gauche. A commencer par Pierre
Hurmic, candidat Europe Ecolo­
gie­Les Verts (EELV) bordelais,
qui a talonné de près le maire
sortant (Les Républicains), Nico­
las Florian, successeur d’Alain
Juppé, au soir du premier tour
(respectivement 34,38 % et
34,56 % des voix).
Avec l’épidémie liée au corona­
virus, le second tour n’est plus du
tout d’actualité. Si la date du
21 juin avait été avancée, beau­
coup ne se font plus d’illusion, à
commencer par Thomas
Cazenave, candidat La République
en marche (12,69 % des voix).
Un sentiment que partage
Patrick Bobet, président de la mé­
tropole, réélu au premier tour
dans sa commune du Bouscat,
proche de Bordeaux : « Nous som­

mes de plus en plus convaincus
que ce sera reporté au mois d’octo­
bre. Juin, c’est trop court, on n’y ar­
rivera pas. On a réussi à faire sortir
les Français le 15 mars, ils ne ressor­
tiront pas au mois de juin. »
En attendant, il faut composer
avec des incertitudes, notam­
ment pour continuer à adminis­
trer la métropole. Un véritable
casse­tête pour son président. En
attendant que les conseils
municipaux élus dès le premier
tour prennent place dans leurs
villes respectives, le conseil mé­
tropolitain reste inchangé, sur le
modèle de 2014.

« Nouvelles propositions »
Mais Patrick Bobet sait que ce
calme sera de courte durée.
« Quand on sera déconfinés, les
nouveaux élus installés vont vou­
loir naturellement entrer au
conseil de métropole. Celui­ci, qui
pourrait avoir lieu début ou cou­
rant septembre, sera mixte : il as­
sociera les élus de 2014 et ceux du
15 mars 2020. Ce sera une situa­
tion tout à fait inédite mais les or­
donnances l’ont prévue », se ras­
sure l’élu.
Cette décision a été « plutôt bien
reçue » par l’ensemble des élus
métropolitains, qui ont de toute
façon d’autres préoccupations en
ce moment. « Il est normal que les
impératifs sanitaires priment sur
toute considération de calendrier

électoral », estime Pierre Hurmic.
Quant à Nicolas Florian, il doit
gérer l’épidémie qui n’épargne
pas sa ville. « Ce n’est vraiment
pas mon sujet du moment. J’ai
autre chose en tête, et je pense
même que le gouvernement lui­
même ne sait pas quand pourront
se tenir les élections », s’agace­t­il.
Mais en attendant, ses adversai­
res maintiennent le lien avec leurs
équipes. L’objectif est double, se
tenir prêt lorsque la campagne
reprendra, mais aussi réfléchir à la
nature de celle­ci. « On n’arrête pas
complètement, on garde cette
communauté active, on travaille
d’une certaine manière en back­of­
fice, en faisant le bilan de notre pre­
mier tour, ce qu’on a bien fait,
moins bien, en analysant les résul­
tats, en imaginant une nouvelle
forme de mobilisation, de nouvel­
les propositions », développe
Thomas Cazenave.
Pierre Hurmic réunit son
« comité de pilotage » plusieurs
fois par semaine grâce à l’applica­
tion Zoom. Mais si tous deux
avouent que se remettre en cam­
pagne pourrait être difficile, ils
savent aussi que l’heure est à la
réflexion. Thomas Cazenave
conclut : « On réfléchit au con­
texte qui va s’ouvrir, il ne sera pas
du tout le même. Et au regard de
ce contexte­là, on imagine une
nouvelle campagne. »
claire mayer

« EST­CE PAR STRATÉGIE 


POLITIQUE OU PAR 


INTÉRÊT SINCÈRE ?


PEU IMPORTE. IL FALLAIT 


AGIR ET ELLE L’A FAIT »
JULIE LAERNOES
candidate EELV aux municipales
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