Le Monde - 09.04.2020

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JEUDI 9 AVRIL 2020 coronavirus| 13

Le trafic de drogue s’adapte à la crise sanitaire


Dans une note, la police judiciaire décrit comment les organisations criminelles s’organisent face au confinement


L


undi 6 avril au matin, une
équipe de douaniers a dé­
couvert 50 kg de cocaïne
dans un conteneur en
provenance des Antilles, débar­
qué au terminal de Montoir­de­
Bretagne (Loire­Atlantique), à
proximité de Saint­Nazaire. Cette
saisie intervient quelques jours
après celle de 300 kg de cocaïne
réalisée le mardi 31 mars dans le
port de Fos­sur­Mer (Bouches­du­
Rhône). La drogue avait cette fois
été découverte dans un conte­
neur en provenance d’Amérique
du Sud. C’est la deuxième saisie
de cocaïne dans la région mar­
seillaise, après celle qui avait vu,
fin février, une cargaison record
de 3,3 tonnes en provenance du
Costa Rica saisie par la police.
Autant de confirmations que
malgré la crise sanitaire et les
nombreuses mesures restricti­
ves de déplacement, les orga­
nisations criminelles n’enten­
dent pas abandonner le trafic et
cherchent comment s’adapter
aux nouvelles conditions impo­
sées à leur commerce illégal qui
leur permet, en temps normal,
de fournir chaque mois en
moyenne 35 tonnes de cannabis,
2 tonnes de cocaïne, 850 kg d’hé­
roïne ou encore 500 000 com­
primés d’ecstasy.

« Mules » et « go fast » à l’arrêt
Dans un document intitulé
« Note de situation sur l’impact
du coronavirus sur la criminalité
liée au trafic de stupéfiants », de la
fin du mois de mars, l’office
antistupéfiants (Ofast) de la po­
lice judiciaire revient sur la situa­
tion du trafic et décrit les moyens
par lesquels les groupes criminels
tentent de contourner les restric­
tions liées à la crise sanitaire pour
continuer à acheminer de la
drogue sur le territoire français.
L’Ofast note tout d’abord que
« tous les vecteurs par lesquels les
stupéfiants alimentent les points
de vente sont fortement ralentis
ou à l’arrêt complet. Cette situa­
tion ne permet plus d’acheminer
les quantités auxquelles le marché
s’était habitué. Le contexte de la
lutte contre les trafics a ainsi radi­
calement changé. »
C’est par exemple le cas des
« mules » transportant de la co­
caïne au départ de Cayenne vers

la métropole, dont le flux s’est
totalement estompé depuis le
21 mars, souligne l’office. C’est
aussi le cas pour les « go fast » qui
sont annulés ou reportés à des
temps plus cléments. Les poli­
ciers constatent ainsi que les véhi­
cules qu’ils ont placés sous sur­
veillance ne se déplacent plus.
L’information circule vite chez
les trafiquants qui n’hésitent pas
à se prévenir des différents points
de contrôles. C’est ainsi que
certains d’entre eux ont échangé
sur les contrôles systématiques
réalisés au Perthus (Pyrénées­
Orientales) à la frontière espa­
gnole. « Les chargements de
cannabis en provenance du Maroc
et d’Espagne en gros et semi­gros
ne rentrent plus en France depuis
le 15 mars. L’arrêt des importations
a ainsi interrompu l’arrivée de

grandes quantités de stupéfiants
qui sont actuellement en attente
sur le territoire espagnol », souli­
gne l’Ofast.
Comme l’ont illustré les exem­
ples de Fos­sur­Mer et plus récem­
ment de Montoir­de­Bretagne, le
fret légal reste l’une des voies
d’acheminement encore possi­

bles. « Les ports français sont tou­
jours exposés à l’arrivée de conte­
neurs déjà flottants en provenance
des Caraïbes et d’Amérique du Sud,
où les trafics tournent encore à
plein régime », écrit l’Ofast. De
nombreuses saisies dans les pays
fournisseurs ont ainsi eu lieu ces
dernières semaines (4,3 tonnes en
préparation en Colombie, inter­
ception de 2,5 tonnes au Costa
Rica le 22 mars, ainsi que la décou­
verte le 19 mars de 1,9 tonne au
Salvador et de 766 kg à Paranagua
au Brésil...).
« Si l’épidémie de Covid­19 en­
traîne une paralysie économique
inédite, avec l’arrêt de nombreuses
lignes aériennes régulières, les tra­
fiquants savent rapidement
s’adapter, comme l’illustre le crash
d’un avion de transport médical
colombien découvert le 21 mars

avec un chargement de cocaïne au
Honduras », décrit l’Ofast.
Dans la même veine, la police
judiciaire s’inquiète d’une possi­
ble augmentation de l’utilisation
des ensembles routiers interna­
tionaux. Selon l’Ofast, « ceux­ci
pourraient devenir un vecteur
privilégié pour les trafics de stupé­
fiants, en particulier si les services
allègent les contrôles sur la circu­
lation des marchandises, denrées
alimentaires et autres, au profit
d’autres missions prioritaires dans
le contexte du Covid­19 ».
Si la plupart des régions métro­
politaines sont touchées par les
difficultés d’approvisionnement,
l’office observe que les régions
frontalières de l’Espagne et des
Pays­Bas continuent à se fournir
encore facilement. « Les trafi­
quants de la région lilloise, ainsi

que de Perpignan ou de Pau, dispo­
sent ainsi de fournisseurs situés à
proximité géographique. Il leur
suffit de connaître les itinéraires
pour éviter les contrôles. Les prix
des stupéfiants sont d’ailleurs res­
tés plutôt stables dans ces en­
droits », peut­on lire dans la note.

Règlements de comptes
Mais la principale conséquence
de la crise sanitaire reste la désor­
ganisation de la vente locale des
stupéfiants. A la hausse des
achats pour constituer des stocks
dans la perspective de la mise en
place des mesures de confine­
ment – le point de deal des Oli­
viers à Marseille a pu réaliser jus­
qu’à 150 000 euros de chiffre d’af­
faires en une journée –, s’est subs­
tituée une baisse considérable de
l’activité et des stocks avec pour
conséquence une hausse signifi­
cative du prix des produits.
« A Lyon, précise l’office antistu­
péfiants, le prix du haschich au
semi­gros a progressé de 40 %, pas­
sant de 2 500 à 3 500 euros/kg ; la
cocaïne au détail a bondi de 66 %,
soit de 60 à 100 euros/gr. A Mar­
seille, le prix du cannabis au détail
est d’abord resté stable, mais va
répercuter prochainement les diffi­
cultés de réapprovisionnement.
Dans certains départements,
comme en Saône­et­Loire, le prix
du cannabis a plus que doublé
pour atteindre 100 euros les
10 grammes. »
La tension grandissante au sein
des organisations criminelles qui
redoutent de voir leurs conforta­
bles bénéfices s’effondrer pourrait
aussi conduire des groupes con­
currents à s’affronter et entraîner
une hausse des règlements de
comptes. L’office rappelle ainsi
que le 24 mars, un trafiquant a été
emmené dans une cave, frappé
puis aspergé d’essence à Carrières­
sous­Poissy (Val­d’Oise).
Certaines équipes de malfai­
teurs pourraient aussi être tentées
de voler la marchandise d’un
autre clan en utilisant des métho­
des qui n’ont rien de pacifique.
Une évolution dont devraient ti­
rer parti, selon l’Ofast, les groupes
les plus puissants, déjà structurés,
qui bénéficient d’un contact di­
rect avec les fournisseurs et d’une
réelle capacité de stockage.
simon piel

Les aumôniers débordés par l’ampleur du drame


Les religieux de toutes confessions poursuivent leur travail malgré les difficultés d’accès aux hôpitaux et aux Ehpad


S


a fonction est devenue une
course permanente et tragi­
que. Aumônier à l’hôpital
parisien Georges­Pompidou, le
rabbin Gabriel Farhi est désormais
appelé trois à quatre fois en vingt­
quatre heures pour assister un
malade du Covid­19 en fin de vie.
« Je ne fais que de la réanimation, je
n’ai pas le temps pour les soins in­
tensifs », précise M. Farhi. Le reste
du temps, il s’occupe d’inhuma­
tions : « J’en ai quatre à cinq par
jour en moyenne, que du Covid,
contre quatre à cinq par semaine
auparavant. »
Georges­Pompidou est l’un des
rares hôpitaux qui acceptent la
présence d’un ou deux représen­
tants de la famille et de l’aumônier
lorsque la fin est venue pour un
patient. Quand l’hôpital appelle, il
faut accourir. « Ce qui est long, c’est
de s’habiller pour entrer en réa.
Après, on nous laisse juste trois ou
quatre minutes, à peine le temps de
quelques prières. » Quand le lit est
vide, une équipe se dépêche de le
désinfecter et, « une demi­heure
après, il accueille un nouveau pa­
tient. C’est à flux tendu ».
Tel est le rythme « intenable et
terrible » qu’impose l’épidémie.

« C’est devenu mon quotidien, qui
ne ressemble en rien à ma fonction
d’aumônier. Ce n’est que de l’ur­
gence, alors que mon rôle consiste
justement à prendre le temps pour
pouvoir apaiser. » Aujourd’hui, il
doit vite assurer les familles con­
frontées à la fin de l’intubation
que tel ou tel acte médical n’est
pas en contradiction avec les
principes religieux. Sa collègue
musulmane étant tombée ma­
lade, il a même assisté quelques
familles musulmanes.

« Un vrai besoin de parole »
Mais face au risque de contagion,
la plupart des hôpitaux, comme
les établissements d’héberge­
ment pour personnes âgées dé­
pendantes (Ehpad), ont fermé
leurs portes aux familles et aux
aumôniers.
Les aumôniers alsaciens ont,
les premiers, été confrontés au
problème. Ils y ont répondu en
maintenant autant que possible
les liens avec les résidents des
Ehpad par téléphone. Et aussi en
créant, sur une base géographi­
que, trois numéros d’appel à l’in­
tention des familles. « Celles qui
nous contactent ont parfois

perdu le lien avec la religion de
leurs parents, témoigne le pas­
teur Pascal Hubscher, responsa­
ble des services d’aumônerie de
santé de l’Union des Eglises pro­
testantes d’Alsace et de Lorraine
(Uepal). Ils sont d’autant plus dé­
semparés que les conditions sont
devenues terriblement restricti­
ves pour organiser des services. Ils
ont un vrai besoin de parole. Il y
aura tout un travail à mener,
après [le confinement], pour or­
ganiser des services en mémoire
des victimes, pour que les familles
puissent se retrouver et vivre une
étape de leur deuil. »
Comme discuté le 23 mars avec
Emmanuel Macron, les princi­
paux cultes ont mis en place des
numéros verts nationaux pour
élargir l’offre d’écoute en direc­
tion des malades, de leurs fa­
milles et de toute personne qui
demanderait du soutien. Ouvert
rapidement, celui du Conseil
français du culte musulman
(CFCM) est animé par des aumô­
niers d’hôpitaux et des imams,
qui se relaient toutes les quatre
heures, 24 heures sur 24. C’est
Fathia El Moumni, aumônière ré­
gionale d’Occitanie, qui a coor­

donné la première semaine, celle
du 30 mars. « Les questions d’or­
dre funéraire sont revenues sou­
vent, raconte­t­elle. Comme le ra­
patriement des corps dans les
pays d’origine est fermé, certains
voulaient savoir si une exhuma­
tion pour un transfert ultérieur
est possible. D’autres ne peuvent
trouver de place dans un carré
musulman, au cimetière, d’autres
encore s’interrogent sur la toilette
mortuaire. Il y a une grande souf­
france. Cette pandémie laissera
des séquelles. » La plate­forme
essaie d’apporter des solutions
concrètes à chaque problème.

Prisons fermées
Dans les dernières 24 heures,
290 personnes ont appelé le nu­
méro vert de l’Eglise catholique
« et cela continue de monter en
puissance », témoigne Thierry
Magnin, le porte­parole de la Con­
férence des évêques de France,
qui prend son tour d’écoute. Là
encore, des personnes se deman­
dent comment faire le deuil d’un
membre de leur famille à qui elles
n’ont pu dire adieu. « On essaie de
les mettre en lien avec des équipes
locales, rodées à l’accompagne­

ment des endeuillés. Il ne faut pas
les laisser seules, il faut qu’il y ait
une suite derrière. » Après le confi­
nement, « nous ferons certaine­
ment des célébrations collectives
pour évoquer les défunts et aider à
ce que le deuil se fasse », prévoit le
prêtre. Certains appelants inter­
rogent le sens de l’épidémie. « La
question du mal se repose très
fortement », témoigne le père
Magnin.
Les difficultés concrètes sont
remontées aux pouvoirs publics,
comme l’engorgement des car­
rés musulmans, l’aide aux sans­
papiers et aux sans­abri, l’accès
aux malades. Mais un autre pro­
blème n’a pour l’instant pas
trouvé de solution. Il concerne
l’aumônerie pénitentiaire.
Comme pour les hôpitaux,
l’Etat est tenu, par la loi de sépa­
ration de 1905, d’assurer le libre
exercice du culte dans les pri­
sons, ce qu’il fait par les aumône­
ries. Mais plus encore que les hô­
pitaux, les prisons se sont fer­
mées aux aumôniers. Lesquels
réclament la mise en place de nu­
méros d’appel gratuits pour les
détenus. En vain pour l’instant.
cécile chambraud

Opération antidrogue dans une cité du nord de Marseille, le 25 mars. CLEMENT MAHOUDEAU/AFP

« De grandes
quantités
de stupéfiants
sont en attente
sur le territoire
espagnol »,
souligne l’office
antistupéfiants

É D U C AT I O N
Le BTS en contrôle
continu
Les ministères de l’éducation
nationale et de l’enseigne­
ment supérieur ont annoncé,
mardi 7 avril, que les exa­
mens du BTS seraient sanc­
tionnés cette année par le
contrôle continu ou reportés
en septembre, en raison de
l’épidémie. Pour les étudiants
en mesure de présenter un
livret scolaire ou de forma­
tion, le diplôme sera attribué
sur la base de la moyenne des
notes de l’année sauf celles
obtenues pendant le confine­
ment. Pour les étudiants qui
ne disposent pas d’un livret
scolaire ou qui n’auront pas
été admis après étude de leur
livret, ils devront passer le
BTS à la session de septembre.

C O N F I N E M E N T
Un arrêté anti-bancs
annulé à Biarritz
Le maire de Biarritz (Pyré­
nées­Atlantiques) a annoncé,
mardi, qu’il annulait un ar­
rêté, pris la veille, interdisant
de s’asseoir sur les bancs de la
ville « plus de deux minutes »,
plaidant la « maladresse »
d’une mesure ayant suscité
des critiques. « On s’y est mal
pris, j’ai annulé cette partie de
l’arrêté sur les bancs, c’est ré­
glé », a indiqué Michel Veunac
(MoDem). – (AFP.)
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