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JEUDI 9 AVRIL 2020 coronavirus | 7
Les hôpitaux russes dans un état jugé préoccupant
Le système de santé apparaît démuni en cas d’épidémie de grande intensité dans le pays, surtout en province
moscou correspondant
P
ublié fin février, au mo
ment où les premiers cas
de Covid19 étaient dia
gnostiqués en Russie, le
rapport annuel de la Cour des
comptes sur l’état du système de
santé russe a de quoi laisser son
geur. Parmi les conclusions les
plus spectaculaires du document,
ces chiffres : sur les 117 000 bâti
ments inspectés, 41,1 % ne dispo
saient pas de chauffage central et
30,5 % n’avaient pas l’eau chaude.
Ces données ont été contestées
par le ministère de la santé, qui as
sure que tous les bâtiments n’ont
pas vocation à accueillir du public,
mais elles reflètent une double
réalité : l’inquiétude qui se mani
feste à l’approche du pic épidémi
que, y compris chez les autorités,
et l’état peu reluisant de l’hôpital
public russe.
Le système de santé, vieillissant
depuis les années 1970, a été
frappé par la transition des années
- S’il a permis de combler une
partie du retard s’agissant de ma
tériels de pointe, l’argent injecté
sous la présidence de Vladimir
Poutine n’a pas suffi à inverser la
tendance : en 2018, la santé repré
sentait 3,2 % du produit intérieur
brut national, soit deux à trois fois
moins qu’en Europe occidentale.
Résultat : la continuité des soins
et la prévention, fiertés de l’ère so
viétique, ne sont plus que de loin
tains souvenirs. Pour nombre de
Russes, surtout en province, les
hôpitaux s’apparentent à des lieux
de « films d’horreur », selon le mot
d’une syndicaliste : locaux décatis,
attente interminable et matériel
défaillant. A cet état de fait s’ajou
tent les effets des deux vagues
d’« optimisation » conduites de
puis 2010. Cellesci ont conduit à la
disparition de la moitié des quel
que 11 000 hôpitaux du pays et au
départ, forcé ou volontaire, de di
zaines de milliers de soignants.
Si à Moscou ou à SaintPéters
bourg, le nombre de médecins est
supérieur à la moyenne française
(3,3 pour 1 000 habitants), ce chif
fre dégringole dans les régions les
moins favorisées. « Le problème
est que la fermeture de certains hô
pitaux devait s’accompagner de
l’amélioration des structures res
tantes, raconte Andreï M., méde
cin réanimateur passé par plu
sieurs hôpitaux du sud du pays.
Mais rien n’a été fait en ce sens. Et
dans beaucoup de régions, ces hô
pitaux hors d’âge aux murs miteux
sont tout ce qui existe. »
La vicepremière ministre char
gée de la santé, Tatiana Golikova,
a reconnu, fin décembre 2019,
que ces réformes, menées « de
manière atroce », avaient entraîné
une « détérioration de la qualité et
de l’accessibilité des services médi
caux ». Vladimir Poutine a, lui
aussi, évoqué un « fiasco ».
Fautil, dès lors, s’attendre à une
catastrophe lorsque l’épidémie de
Covid19 touchera de plein fouet
la Russie? Plusieurs personnali
tés ont averti, ces dernières se
maines, d’un possible « scénario
italien », à commencer par le mé
decinchef de l’hôpital moscovite
de Kommounarka, Denis Prot
senko, luimême diagnostiqué
malade du Covid19 le 30 mars.
Le site d’investigation Dossier
publiait quant à lui, à la mimars,
un document présenté comme
émanant des autorités sanitaires
de la capitale, selon lequel il fallait
s’attendre à environ 30 000
morts en deux ou trois mois.
Si les pronostics chiffrés sem
blent risqués, la situation, effecti
vement préoccupante, est peut
être moins catastrophique que ne
le laissent paraître les murs
écaillés des hôpitaux sibériens.
Ainsi, les autorités russes ont pris
relativement tôt des mesures de
protection, jusqu’à l’établissement
d’un confinement généralisé, le
30 mars. Surtout, l’épidémie se
concentre à Moscou, où le système
de santé est infiniment meilleur.
Mardi 7 avril, le pays comptait offi
ciellement 7 497 cas de coronavi
rus et 58 morts.
Stocks d’appareils respiratoires
Ensuite, dans le champ de ruines
qu’est la médecine russe, le sys
tème a conservé quelques points
forts. Le nombre de ventilateurs
et appareils respiratoires en fait
partie. Selon les sources, leur
nombre varie entre 35 000 et
43 000. Soit, dans tous les cas, bien
plus que 8 ventilateurs pour
100 000 habitants recensés en Ita
lie avant la crise.
Les experts mettent toutefois
en garde, là encore, sur l’immense
disproportion entre Moscou et
SaintPétersbourg, qui concen
trent 25 % du total, et le reste du
pays. L’état de ces matériels est
aussi incertain. Andreï M., le réa
nimateur moscovite, a ainsi vu
son hôpital moscovite réaffecté
récemment à l’accueil des futurs
malades du Covid19. « Sur les 17
appareils respiratoires dont nous
disposons, 10 au mieux sont en
bon état de marche », assure le
médecin. Selon le site d’investiga
tion Proekt, 58 % de ces appareils
en Russie ont plus de neuf ans. Et
une loi de 2019 a désorganisé le
système, en interdisant les im
portations de nombreux pays.
La situation est toutefois très
mauvaise dans deux secteurs. Il
s’agit d’abord des places en soins
intensifs et en réanimation, pro
portionnellement deux fois
moins nombreuses qu’en Europe.
En 2018, les organes de contrôle
publics alertaient déjà sur le man
que de lits, insuffisants pour faire
face à une simple épidémie de
grippe saisonnière. Le dénuement
des soignants, sans parler de leur
nombre insuffisant, est aussi très
emblématique des manques face
à l’arrivée de l’épidémie.
Des dizaines de témoignages re
cueillis par le site Meduza mon
trent des médecins et des infir
miers obligés de coudre des mas
ques dans de la gaze, sans accès au
moindre test de dépistage du Co
vid19, ou réduits à partager un
thermomètre par service. « On
n’est pas en Chine, ici il n’y a rien »,
observe un directeur d’hôpital.
Beaucoup de soignants sont
contraints de trouver euxmêmes
des équipements de protection.
Andreï M., lui, s’est acheté un mas
que de plongée chez Decathlon. Ce
Les places en
soins intensifs et
en réanimation
sont, en
proportion, deux
fois moins
nombreuses
qu’en Europe
médecin expérimenté touche un
salaire d’environ 60 000 roubles
(environ 700 euros) par mois. Se
lon lui, le niveau de corruption et
de vol « à tous les étages » dans les
appels d’offres médicaux n’a pas
diminué à l’approche de l’épidé
mie, y compris pour les masques
ou les appareils respiratoires.
« Même à Moscou, les infectiolo
gues ou les pneumologues tra
vaillent sans protections suffisan
tes », assure Anastasia Vassilieva,
présidente de l’Alliance des méde
cins, un syndicat indépendant
créé en 2018. Cette jeune méde
cin, qui accuse les autorités de dis
simuler l’ampleur de l’épidémie, a
été convoquée le 30 mars par la
police, qui l’accuse de répandre de
fausses informations. Le 2 avril,
elle a été détenue 24 heures dans
la région de Novgorod, où elle ap
portait des équipements, puis
condamnée à une amende pour
violation de la quarantaine.
« Il faut espérer que l’épidémie
soit limitée et ne sorte pas trop de
Moscou, disait Mme Vassilieva au
Monde en début de semaine. No
tre meilleure défense, ce sont les
grands espaces, les routes mauvai
ses et la pauvreté, notamment des
personnes âgées. Elles n’iront nulle
part se faire contaminer. » « Per
sonne dans le monde n’était prêt,
mais nous ne faisons clairement
pas partie des meilleurs, estime
aussi Andreï M., Si cela tourne mal,
surtout en province, cela ne fera
pas beaucoup de différence pour
les gens de venir à l’hôpital ou de
rester dans leur lit. »
benoît vitkine
Le président tchétchéne défie Moscou
La décision prise le 1er avril par le président tchétchène, Ramzan
Kadyrov, de fermer les frontières de son territoire à toutes les
personnes n’y possédant pas de résidence permanente a provo-
qué un différend avec le pouvoir central. A Moscou, le premier
ministre, Mikhaïl Michoustine, a rappelé au dirigeant de la Répu-
blique tchétchène qu’une telle mesure n’était pas de sa compé-
tence et interdit aux dirigeants régionaux de suivre l’exemple
tchétchène. Lundi 6 avril, M. Kadyrov a refusé de se plier à cette
directive, indiquant seulement qu’il ne fermait pas le passage
aux marchandises. Le président tchétchène a multiplié ces der-
nières années les gestes de défi vis-à-vis des autorités fédérales.