Le Monde - 07.04.2020

(Nora) #1

26 | 0123 MARDI 7 AVRIL 2020


0123


P


armi les innombrables défis posés à
nos sociétés par la crise du Covid­19,
les restrictions imposées aux liber­
tés individuelles figurent en bonne place.
Tout porte à croire que les interrogations
légitimes que nous devons avoir à ce sujet
se poursuivront au­delà de la période du
confinement, lorsque la phase la plus aiguë
de la pandémie sera passée.
S’il est encore trop tôt pour envisager le
déconfinement en France, il est du devoir
des pouvoirs publics de le préparer, afin
que le pays puisse se remettre en ordre de
marche et que l’activité économique puisse
reprendre dans les meilleures conditions,
en limitant au maximum les effets de pos­
sibles vagues successives de contamina­
tion. L’un des instruments indispensables

à cet effet sera la pratique généralisée du
dépistage. Un autre instrument à l’étude
est celui du traçage numérique de la popu­
lation, afin de vérifier la circulation du vi­
rus, à l’aide de données fournies par les té­
léphones personnels.
En Asie, ce procédé a été largement em­
ployé dans la lutte contre le Covid­19, de
manière coercitive en Chine, plus consen­
suelle en Corée du Sud et à Singapour, où
les informations issues du traçage des per­
sonnes contaminées sont accessibles à
tous. Les Européens, eux, ont une attitude
différente à l’égard de cette surveillance : ils
sont aujourd’hui plus protecteurs des don­
nées personnelles cédées à des entreprises
privées comme Google et Facebook et tra­
ditionnellement réticents à ce type d’utili­
sation massive par l’Etat.
Les applications mises au point pour uti­
liser les données des smartphones dans le
cadre de la lutte contre le coronavirus pré­
sentent différents degrés d’intrusion. Le
modèle à l’étude dans plusieurs pays euro­
péens privilégie le suivi des contacts : plu­
tôt que de tracer les déplacements d’une
personne infectée, il s’agit d’identifier qui
cette personne a côtoyé, en détectant les
téléphones à proximité, grâce notamment
à la technologie sans fil Bluetooth.
Ce procédé permettrait aux autorités sa­
nitaires de prévenir les personnes cô­
toyées afin que celles­ci se fassent dépister

et, le cas échéant, traiter, ou qu’elles se
confinent.
Les premiers sondages d’opinion révèlent
un taux d’acceptation élevé pour ces dispo­
sitifs, confirmant une tendance désormais
familière : dès lors que notre sécurité est
menacée, nous sommes plus tolérants à
l’égard des restrictions aux libertés publi­
ques. Que les autorités sanitaires puissent
mettre à profit la technologie numérique
pour limiter la progression du virus est une
excellente chose, mais il est impératif que
le recours éventuel à des applications de
traçage de contacts soit encadré par un en­
semble de strictes garanties.
Celles­ci pourront être recommandées
par la Commission nationale de l’informa­
tique et des libertés. Mais un certain nom­
bre de conditions paraissent, à ce stade,
s’imposer : ce type de dispositif doit être
strictement limité dans le temps ; il doit se
faire sur la base du consentement des per­
sonnes concernées ; il doit être soumis au
contrôle du Parlement et du pouvoir judi­
ciaire. De manière générale, il devra respec­
ter les principes de protection des données
personnelles déjà en vigueur.
Un consensus semble se former sur le fait
que le monde post­coronavirus sera diffé­
rent de celui d’avant. Il serait dommage de
renier pour autant les acquis du « monde
d’avant » : la protection des données pri­
vées en est un, à l’échelle européenne.

Tirage du Monde daté dimanche 5 ­ lundi 6 avril : 153 740 exemplaires

TRAÇAGE DU 


CORONAVIRUS : 


OUI, AVEC DES 


GARDE­FOUS


K

eep America great ».
Après s’être convaincu
d’avoir rendu sa gran­
deur à l’Amérique, Do­
nald Trump avait adopté ce slogan
pour briguer sa réélection à la pré­
sidence des Etats­Unis en novem­
bre. Mais en quelques semaines, la
pandémie de Covid­19 a rendu ca­
duque cette ambitieuse promesse.
Désormais, maintenir la préten­
due « grandeur » du pays passe au
second plan, il est surtout ques­
tion de remédier aux défaillances
que cette crise révèle.
Aucun pays, à commencer par la
France, n’échappera à un travail
d’introspection sur la façon dont
il a anticipé, traversé et surmonté
cette épreuve. Mais, au moment
où les Etats­Unis entrent dans la
période la plus difficile en matière
de saturation des hôpitaux, d’ex­
plosion du nombre de morts liées
au virus, doublée d’une augmen­
tation stratosphérique des licen­
ciements, le modèle américain
n’a jamais semblé aussi fragile.
Les peurs d’une société en di­
sent parfois plus sur sa vulnérabi­
lité que bien des discours. En
mars, il s’est vendu 2 millions d’ar­
mes aux Etats­Unis, le double du
mois précédent. Cette frénésie est
alimentée par la crainte que la
pandémie aboutisse à des pénu­
ries et des débordements. Depuis
que Donald Trump a décrété que
les marchands d’armes sont des
commerces « essentiels » pouvant
bénéficier d’une dérogation au
confinement, les faits divers liés
au Covid­19 alimentent les infos
locales. Aux Etats­Unis, les armes
à feu sont considérées comme
une réponse à beaucoup problè­
mes, même si elles sont à l’origine
de 38 000 décès chaque année.
Plus que d’armes, les Améri­
cains auraient surtout besoin
d’un système de couverture mé­
dicale digne de ce nom. Le débat
sur l’amélioration de celui­ci n’a
pas attendu le Covid­19 pour
s’ouvrir. Il était déjà au cœur de la
primaire démocrate, avant que la
crise sanitaire ne l’éclipse. Il ris­
que de revenir en force au mo­
ment de l’élection présidentielle.
Les Etats­Unis sont le pays qui
consacre le plus d’argent à la
santé (17 % du PIB, contre 11 % en
France) tout en ayant un système
peu efficace et très inégalitaire.
Avec moins de 3 lits d’hôpital
pour 1 000 habitants (6 en France
et 13 au Japon), une espérance de
vie inférieure à la moyenne des
pays de l’OCDE, des taux de co­
morbidité au Covid­19 (40 % des
Américains sont obèses, un sur
trois souffre de diabète, un sur
deux de maladie cardio­vascu­
laire) parmi les plus élevés au
monde, les Etats­Unis comptent
30 millions de personnes qui
n’ont aucune couverture santé,
tandis qu’un Américain sur deux
déclare être sous­assuré.
Depuis son élection, Donald
Trump a taillé dans les budgets
des agences de santé et détricoté
l’Obamacare, le système d’assu­
rance mis en place par son prédé­
cesseur. La situation déjà précaire
risque de s’aggraver avec l’explo­
sion du chômage, dans la mesure
où la moitié des Américains bé­
néficient d’une assurance santé
grâce à leur travail.
La flexibilité du marché de l’em­
ploi propre aux Etats­Unis mon­
tre, elle aussi, ses limites avec
cette crise. Quand l’Europe tente

de maintenir les salariés dans les
entreprises grâce à des mesures
de chômage partiel financées par
les Etats, l’Amérique licencie à
tour de bras. Dix millions de per­
sonnes sont déjà au chômage. Le
chiffre pourrait grimper jusqu’à
47 millions, selon la Fed de Saint­
Louis, tandis que le taux de chô­
mage tendrait vers les 30 %.
Comme le souligne le Centre
pour une croissance équitable,
un think tank basé à Washing­
ton, « c’est une cascade qui, une
fois lancée, est très difficile à arrê­
ter ». Même si les embauches re­
prennent vite avec la reprise,
tout le monde ne rebondira pas.
« C’est une grave erreur de la poli­
tique menée par l’administration
Trump » , a estimé Patrick Artus,
chef économiste de la banque
Natixis, le 4 avril sur Europe 1.
« Groceries or therapy? » (« ache­
ter à manger ou se soigner? ») :
cette question sera sur de nom­
breuses lèvres ces prochaines se­
maines, et ce ne sont pas les
1 200 dollars (1 108 euros) que les
Américains les moins riches tou­
cheront dans le cadre du plan de
2 000 milliards voté par le Con­
grès qui vont changer la donne.

L’illusion d’un pays au sommet
Ce gâchis humain pourrait se dou­
bler de conséquences macroéco­
nomiques. Etant donné que, selon
la Réserve fédérale (Fed), 40 % des
Américains ne peuvent pas faire
face à une dépense imprévue de
plus de 400 dollars, on peut facile­
ment imaginer que, ’avec l’explo­
sion du chômage, les défauts sur
les crédits à la consommation
vont se multiplier, ce qui peut dé­
boucher sur une crise bancaire.
Dernière vulnérabilité sur la­
quelle les Etats­Unis devront bien
se pencher un jour : la dérive de la
première chaîne d’information,
Fox News, qui a joué un jeu très
dangereux dans sa couverture
du coronavirus. Approximations,
fausses informations, minoration
systématique de la gravité de la si­
tuation, la chaîne de Rupert Mur­
doch n’a reculé devant rien pour
protéger Donald Trump, alors que
son bilan économique partait en
fumée avec la crise sanitaire. Cela a
contribué à entretenir jusqu’à très
récemment un scepticisme assez
fort dans l’électorat républicain, le
cœur de l’audience de Fox News.
Le directeur du Harvard Global
Public Health Institute, Ashish
Jha, a été jusqu’à affirmer au New
York Times que Fox News pouvait
avoir une part de responsabilité
dans la propagation du virus. Ces
accusations ont été relayées par
une pétition signée par des uni­
versitaires et des journalistes de
renom pour dénoncer le traite­
ment biaisé de la chaîne.
La colère des oubliés de la mon­
dialisation avait été le moteur de la
victoire de Donald Trump en 2016.
Depuis, il a entretenu l’illusion
d’un pays au sommet de sa puis­
sance grâce à une croissance do­
pée par le déficit budgétaire et des
marchés financiers stimulés par le
laxisme de la politique monétaire.
Le Covid­19 vient de faire éclater
cette bulle, laissant le pays encore
plus vulnérable à ses inégalités et
dysfonctionnements. Avant de
parler de « grandeur » de la nation,
peut­être faudrait­il commencer
par la réparer.

PLUS QUE D’ARMES, 


LES AMÉRICAINS 


AURAIENT BESOIN 


D’UN  SYSTÈME DE 


COUVERTURE MÉDICALE 


DIGNE DE CE NOM


ÉCONOMIE |CHRONIQUE
pa r s t é p h a n e l au e r

Le Covid-19 et les


faiblesses de l’Amérique


LA FLEXIBILITÉ 


DU MARCHÉ 


DE L’EMPLOI PROPRE 


AUX ÉTATS­UNIS 


MONTRE SES LIMITES


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