Le Monde - 07.04.2020

(Nora) #1

0123
MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 7


HOSPITALISATIONS PAR DÉPARTEMENT
pour 100 000 habitants

Martinique

Mayotte

La Réunion

Guadeloupe

Guyane

de 100 à 150

de 150 à 159,

de 50 à 100
de 25 à 50
de 10 à 25
moins de 10

2 972 Petite couronne

(^816771)
28 747
6 859
16 182

18 mars 5 avril 18 mars 5 avril
RETOUR À DOMICILE
Personnes
hospitalisées
En réanimation
et en soins intensifs
DÉCÈS À L’HÔPITAL HOSPITALISATION
ET RÉANIMATION

depuis le 1er mars
5 889
0
2 000
4 000
6 000
8 000
10 000
12 000
14 000
COMPARATIF EUROPÉEN
Italie France
Allemagne Royaume-Uni
Espagne
Les données
commencent au 10e décès.

Jour 0 Jour 10 Jour 21 Jour 29 Jour 40
12 641 morts
en Espagne
15 887 morts
en Italie
8 078 morts*
en France
4 943 morts
au Royaume-Uni
(jour 22)
1 584 morts*
en Allemagne
Infographie Le Monde Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University _
Chire comprenant 5 889 décès à l'hôpital et au moins 2 189 décès en Ehpad_
Epidémie de Covid-19 : situation au 5 avril, 14 heures
d’un « poids énorme ». Une situation qui lui
permet également de dépanner en retour­
nant travailler sur ses temps de repos, quand
cela se révèle nécessaire.
Si la nouvelle vie en colocation se passe
sans encombre, dans les 40 mètres carrés
partagés, cela reste « du bricolage » , « fait à
l’arrache »,
pointe l’infirmière avec qui elle
loge désormais. « L’hôpital aurait dû faire
quelque chose pour aider dans ces situations.
J’ai plein de collègues hyperstressées quand el­
les rentrent chez elles. J’en ai souvent vu une
en pleurs... »

« LE RISQUE ZÉRO N’EXISTE PAS »
Tenir ses parents à distance pour les plus
jeunes, ou, à l’inverse, éloigner ses enfants
pour les soignants actifs. Telle est l’obses­
sion des soignants engagés dans la lutte
contre le coronavirus. Au lendemain de la
fermeture des écoles, une infirmière et un
aide­soignant en couple, travaillant aux
Hospices civils de Lyon, ont décidé, pour des
raisons pratiques, de confier leur enfant de
4 ans à ses grands­parents. Initialement,
c’était l’affaire de quelques jours, tout au
plus. Plus de trois semaines plus tard, le gar­
çon y est toujours. « C’est dur, mais nous
avons préféré ne pas le récupérer. Si nous
étions porteurs sains, quelles pourraient être
les conséquences pour mes parents qui ont
70 ans? »
, s’interrogel’infirmière.
Autre crainte partagée concernant l’épidé­
mie : « La vérité d’un jour n’est pas celle du len­
demain »
, rapporte un médecin hospitalier
parisien. « Nous connaissons peu la maladie
et les terrains qu’elle peut occuper,
admet
Yvan Tourjansky, kinésithérapeute au sein
de la clinique de Meudon (Hauts­de­Seine).
Malgré les mesures barrières que nous prati­
quons, sans virer à la paranoïa, le risque zéro
n’existe pas. »
Parmi les soignants interrogés,
et chez ceux qui disposent à leur domicile de
suffisamment d’espace, plusieurs ont re­
connu ne plus partager le lit de leur compa­
gne ou de leur compagnon.
Chez Garance Le Bian, à Cergy, les règles de
distanciation sont également valables pour
la famille – elle est mère d’un garçon de 11 ans
et d’une fille de 14 ans : « C’est violent de dire à
son fils de s’éloigner en permanence, et de par­
fois devoir hurler quand il s’approche trop
près. Cela fait dix jours sans bisou, sans câlin.
On a juste craqué une fois la semaine dernière.
Juste une minute. »

éric nunès, stéphane mandard
et camille stromboni
Dans un
laboratoire
de biologie
médicale,
à Neuilly­sur­
Seine (Hauts­de­
Seine),
le 23 mars.
CHRISTOPHE ENA/AP
La réserve sanitaire, une « grosse
structure qui patine » face à la crise
Le dispositif, mis en place pour répondre à ce type de situation, est pris de
vitesse par la plate­forme de l’ARS d’Ile­de­France, élaborée avec une start­up
L’
épidémie de grippe H5N1,
en 2007, avait convaincu la
France d’anticiper d’autres
crises en créant un corps de réserve
sanitaire, de plusieurs milliers de
personnes, capable de venir, en ur­
gence, en soutien de professionnels
de santé submergés par l’afflux de
malades. Treize ans plus tard, face
au Covid­19, la réserve sanitaire
peine pourtant à remplir son office.
A tel point que l’agence régionale de
santé (ARS) d’Ile­de­France a dû
créer, le 21 mars, un dispositif de
renfort alternatif, Renforts­Covid,
monté avec la start­up de santé
MedGo.
Ce dispositif a été adopté, par la
suite, par sept autres ARS. Depuis le
17 mars, la réserve sanitaire a même
envoyé sur le terrain près de huit
fois moins de personnes que la
plate­forme Renforts­Covid. Pour
expliquer ce naufrage, les volontai­
res comme les ARS estiment que
son fonctionnement et ses moyens
sont inadaptés à une telle situation
d’urgence.
Pourtant, les volontaires ne man­
quent pas. Depuis le début de la
crise, fin janvier, près de 19 000 epr­
sonnes ont fait acte de candidature
pour rejoindre la réserve sanitaire,
qui comptait déjà 21 000 membres.
Mais selon le décompte fait le 3 avril,
seuls 719 réservistes ont été mobili­
sés jusqu’ici. Pour sa part, au 1er avril,
la plate­forme Renforts­Covid lan­
cée le 21 mars avait déjà pourvu plus
de 5 500 demandes de renfort. De
plus, sur les 16 363 volontaires ins­
crits sur cette interface numérique,
13 319 volontaires avaient un métier
recherché par les établissements de
santé, en majorité des infirmières et
des aides­soignantes, en réanima­
tion et en gériatrie.
Pannes informatiques**
Maud Picaud, 29 ans, infirmière, ré­
side normalement au Qatar. Blo­
quée en France par le confinement,
elle s’est inscrite le 23 mars sur la
plate­forme Renforts­Covid. « J’ai
hésité avec la réserve sanitaire, mais
je savais que je serais “déclenchée”
moins vite et que ce serait beaucoup
plus bureaucratique. »
Son profil est
recherché. Disponible, elle a tra­
vaillé en réanimation et aux urgen­
ces. « J’ai commencé à la clinique
Claude­Galien, dans l’Essonne, puis
j’ai été au centre de régulation de
l’hôpital de Villeneuve­Saint­Geor­
ges. »
Depuis, elle reçoit des centai­
nes de propositions. « Le privé est
plus réactif, l’hôpital public de la Sal­
pêtrière, à Paris, ne me faisait venir
qu’après avoir fini les tâches admi­
nistratives, soit plusieurs jours. »

Jean­Luc, 46 ans, originaire de la ré­
gion Grand­Est, également infir­
mier, est membre de la réserve sani­
taire depuis plusieurs années. « Ils
m’ont appelé, mais j’étais déjà sur le
pont contre le Covid. »
Nathalie, elle,
est médecin généraliste. Habitant en
Rhône­Alpes, elle s’est portée candi­
date pour la réserve sanitaire. « Au
bout de dix jours, je n’avais toujours
pas de réponse, alors j’ai choisi la
plate­forme Renforts­Covid, qui per­
met de choisir la zone de mission. J’ai
rejoint une clinique à 20 kilomètres
de chez moi. »

Sous­dimensionné, le serveur in­
formatique de la réserve sanitaire
est tombé en panne face au nombre
de connexions. Même sans cet aléa,
c’est le fonctionnement même de la
réserve qui pèche. Là où la plate­
forme Renforts­Covid met en con­
tact direct les établissements de
santé et les volontaires, la réserve
sanitaire répond aux demandes des
ARS qui, elles­mêmes, font le relais
avec les hôpitaux, cliniques ou éta­
blissements d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes (Eh­
pad) qui ont besoin d’aide. Par
ailleurs, le système Renforts­Covid
confie aux établissements de santé
la vérification des compétences des
volontaires, alors que la réserve
sanitaire effectue elle­même le
contrôle des dossiers de milliers de
volontaires avec... huit personnes.
Isabelle Mouginot n’avait pas
exercé son métier d’infirmière de­
puis trente ans. Elle s’est inscrite sur
la plate­forme Renforts­Covid le
26 mars. « La réserve sanitaire n’ad­
met pas les profils comme le mien, ses
critères sont trop restrictifs,
dit­elle.
Dès le lendemain, on m’a appelée
pour des gardes de nuit à la clinique
Labrousse, à Paris. Quand j’avais des
questions, je demandais à un cadre.
Depuis, trois autres établissements
m’ont contactée. »

L’agence Santé publique France,
dont dépend la réserve sanitaire,
tente de se dédouaner. « La réserve
n’est en aucun cas décisionnaire sur
les renforts à apporter, mais répond
aux demandes des ARS »,
affirme­t­
elle. Résultat, comme le répète à
l’envi Catherine Lemorton, ex­dépu­
tée (PS) à la tête de la réserve sani­
taire depuis un an, « beaucoup ne
sont plus disponibles quand on les
sollicite, parce qu’ils ont déjà été ap­
pelés ».
Les établissements peuvent
également solliciter directement
des volontaires.
Il n’existe, en effet, aucune coordi­
nation. « Renforts­Covid, explique
l’ARS d’Ile­de­France, est une plate­
forme indépendante de la réserve sa­
nitaire. »
De fait, ce dispositif, pensé
comme un complément, est devenu
la principale porte d’entrée pour
l’envoi de renforts dans le pays. L’ARS
de Bourgogne­Franche­Comté, qui
l’utilise, le confirme tout en mettant
les formes : « Renforts­Covid permet
l’expression de solidarités locales,
cela ne se fait pas au détriment de la
réserve. »
Autre abonnée à Renforts­
Covid, l’ARS d’Occitanie constate
qu’elle est « très opérante et qu’elle
fait correspondre la demande et
l’offre. Renforts­Covid va sans doute
rebattre les cartes »
.
Claude Le Pen, professeur à l’uni­
versité Paris­Dauphine, où il dirige le
master économie et gestion de la
santé, estime que « la réserve sani­
taire paie le refus de l’Etat de lui accor­
der davantage d’autonomie »
. Or,
ajoute­t­il, « dans les crises, on se re­
trouve avec une grosse structure qui
patine d’un côté, et de l’autre des pro­
fessionnels qui n’ont pas d’interlocu­
teur. La haute administration de la
santé en France, très centralisatrice, a
beaucoup de mal avec des dispositifs
ponctuels et très réactifs. »

« Noyée dans la bureaucratie »
Née en mars 2007 de la loi sur la pré­
paration du système de santé à des
menaces sanitaires de grande am­
pleur, la réserve sanitaire avait été
confiée à l’Etablissement de prépara­
tion et de réponse aux urgences sani­
taires (Eprus). En 2015, elle compte
2 078 personnes et sa gestion mobi­
lise six personnes, deux de moins
qu’en 2020. La même année, le séna­
teur (UMP) Francis Delattre écrit,
dans son rapport sur l’Eprus, que
seuls 120 réservistes sont réellement
actifs, car, dit­il, cette réserve, surtout
composée de retraités, est avant tout
un outil de « diplomatie sanitaire ».
En 2016, dans un climat de pres­
sion financière, la petite équipe de
l’Eprus et de la réserve sanitaire est
absorbée dans la grande agence
Santé publique France. « Dans mon
rapport, en 2015,
se souvient M. De­
lattre, je militais, au contraire, pour
leur accorder plus de liberté. C’était
des missionnaires. Au nom de la sécu­
rité sanitaire, la réserve a été noyée
dans la bureaucratie et confiée à des
gestionnaires à la petite semaine. »

En 2010, la Cour des comptes, dans
son rapport sur l’Eprus, estimait déjà
que « les difficultés de recrutement
[de la réserve] conduisent à envisager
une réorientation profonde tendant à
une décentralisation des recrute­
ments
(...) en situation de crise ». Jus­
qu’au début des années 2010, ce sont
les préfets qui signaient les contrats
d’engagement des candidats à la ré­
serve sanitaire.
jacques follorou
« C’EST VIOLENT
 DE DIRE À SON FILS 
DE S’ÉLOIGNER 
EN PERMANENCE, 
ET DE PARFOIS DEVOIR 
HURLER QUAND IL 
S’APPROCHE TROP PRÈS »

GARANCE LE BIAN
pharmacienne à Cergy
RENFORTS­COVID CONFIE 
AUX ÉTABLISSEMENTS 
DE SANTÉ LA VÉRIFICATION 
DES COMPÉTENCES DES 
VOLONTAIRES. LA RÉSERVE 
SANITAIRE EFFECTUE ELLE­
MÊME LE CONTRÔLE, AVEC... 
HUIT PERSONNES

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