Le Monde - 07.04.2020

(Nora) #1
0123
MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 9

Paris repense


sa stratégie


face aux crises


Les responsables de la ville


tentent de tirer de premières leçons


de la catastrophe liée au Covid­


C

omment mieux tenir le
choc? Comment rebon­
dir après un désastre
comme le coronavirus?
A la Mairie de Paris, tout en parant
au plus pressé et en anticipant le
déconfinement, l’élue sortante,
Anne Hidalgo, et son équipe com­
mencent à tirer les leçons de cette
épreuve. « Qu’est­ce que le monde
d’après : juste un retour à l’ancien,
ou autre chose? La maire nous a de­
mandé d’y réfléchir très librement,
et on y passe pas mal de temps », dit
un membre de son cabinet.
Certaines pistes pourraient dé­
boucher rapidement. Pour éviter
de nouvelles contaminations, cer­
tains imaginent par exemple
d’installer des distributeurs de gel
hydroalcoolique un peu partout,
notamment dans les abribus,
« comme on l’a fait pour les défi­
brillateurs ». De même, dans les ca­
fés, une distance d’un mètre doit­
elle être imposée entre les tables?
Mais au prix du mètre carré, les ca­
fetiers y survivraient­ils? D’autres
interrogations, beaucoup plus vas­
tes, concernent l’urbanisme, le lo­
gement, les sans­abri...
« C’est toute notre stratégie de ré­
sistance aux crises que nous actua­
lisons, pour tenir compte de ce que
nous apprend celle­ci et mieux
nous armer face aux prochaines »,
note Sébastien Maire, le « M. Rési­
lience » de la Mairie.

En 2017, à la faveur d’une propo­
sition de soutien financier de la
Fondation Rockefeller, Paris avait
été la première ville française à se
doter officiellement d’une « straté­
gie de résilience », votée par le con­
seil municipal, et à nommer au
sein de l’administration un « haut
responsable de la résilience ». A
l’époque, il s’agissait de se préparer
à des attentats, des crues, des inon­
dations, des canicules ou des grè­
ves massives, plutôt qu’à des pro­
blèmes sanitaires. Le mot « pandé­
mie » figurait tout de même dans
le discours d’Anne Hidalgo.
Le plan de 2017 ne prévoyait pas
moins de 35 actions plus ou moins
concrètes. Quelques­unes ont été
lancées, en particulier l’aménage­
ment des cours d’école en îlots de
fraîcheur en retirant le bitume, ou
la formation de volontaires aux
« gestes qui sauvent ». Beaucoup
d’autres sont restées à l’état de pro­
jet, comme celle visant à « assurer
un soutien psychologique à l’en­
semble de la population face à des
chocs ». Elle aurait pourtant été
utile en cette période anxiogène.
« Le travail mené nous sert
aujourd’hui », affirme Célia Blauel,
l’adjointe chargée de l’environne­
ment. La Mairie a mobilisé son ré­
seau de citoyens solidaires, les
« volontaires de Paris », pour pren­
dre quotidiennement des nouvel­
les des personnes âgées ou placar­

der des messages de prévention
dans les halls d’immeubles.
« Du fait des épisodes précédents
que nous avons dû gérer, notre cel­
lule de crise fonctionne efficace­
ment, ajoute Célia Blauel. Chacun
connaît son rôle, et la maire tran­
che en cas de besoin. » Alors que
seuls 20 % des agents municipaux
travaillent encore, les services de
la ville se sont repliés en bon ordre
sur leurs missions essentielles : les
rues restent globalement net­
toyées, les ordures collectées, l’eau
potable continue à couler, les
morts sont enterrés ou incinérés.

De nombreuses failles
L’épidémie a néanmoins montré
plusieurs failles. La plus criante est
la faiblesse du système hospitalier,
en Ile­de­France comme ailleurs.
Proche de la saturation en temps
normal, il se révèle à présent tota­
lement débordé. La responsabilité
principale en ce domaine revient à
l’Etat, mais les élus locaux n’en
étudient pas moins la façon dont
ils peuvent agir, d’autant qu’Anne
Hidalgo préside l’Assistance publi­
que­Hôpitaux de Paris (AP­HP).
Faut­il construire de nouveaux
hôpitaux? Rouvrir l’hôpital des ar­
mées du Val­de­Grâce ou les ur­
gences de l’Hôtel­Dieu? « La ville
dispose aussi d’Ephad dont nous al­
lons devoir repenser la configura­
tion, afin de mieux séparer les ma­
lades et les bien portants », avance
Jean­Louis Missika, l’un des princi­
paux adjoints d’Anne Hidalgo. La
constitution de solides stocks de
masques, gels, respirateurs et
autres biens stratégiques est envi­

sagée, compte tenu de l’énorme
échec actuel en la matière.
C’est le deuxième sujet mis en
évidence par la crise actuelle : les
menaces de pénurie. De médica­
ments et de produits de santé,
mais aussi de nourriture ou
d’énergie. « Aujourd’hui, un ali­
ment effectue en moyenne 660 ki­
lomètres avant d’arriver dans l’as­
siette d’un Parisien, relève Célia
Blauel. C’est une aberration envi­
ronnementale, et un danger en cas
de blocage des transports. Nous de­
vons relocaliser une partie de la
production alimentaire, et la ques­
tion est voisine pour l’électricité. »
L’Ile­de­France dépend en effet à
90 % du courant produit dans
d’autres régions.
Autre préoccupation majeure, le
logement. En particulier celui du
personnel clé des collectivités pu­
bliques et des entreprises : des ca­
dres, des informaticiens, mais
aussi des soignants, des éboueurs,
des caissières... « Comment faire en
sorte que ceux qui assurent la conti­
nuité de la vie de la nation puissent
le faire en toutes circonstances et de
façon sûre ?, s’interroge Fouad
Awada, le directeur de l’Institut Pa­
ris Région, un organisme public de
recherche sur l’aménagement et
l’urbanisme. La crise montre que ce
n’est pas si facile. Nous sommes un
peu défaillants. » Le télétravail ré­
sout une partie des difficultés, pas
toutes. A Paris, la mairie doit ainsi
trouver en urgence des héberge­
ments provisoires pour quelque
200 personnes, des agents muni­
cipaux qui habitent en banlieue,
des infirmières, etc.

« En termes de résilience, rappro­
cher les logements des emplois, et
pas seulement le temps des crises,
doit devenir une priorité », estime
Sébastien Maire. En 2017, la ville
s’était fixé l’objectif de diminuer
de 30 % le nombre de déplace­
ments domicile­travail à l’échelle
de l’agglomération d’ici à 2030,
notamment grâce au télétravail et
à la création d’espaces de cowor­
king placés près des logements.
Mais le dossier n’a guère avancé.
Au passage, la crise met en relief
le problème de ceux qui n’ont pas
de logement. « L’épidémie fait ap­
paraître toutes les fragilités d’une
ville hyperdense et ultra­inégali­
taire comme Paris, analyse David
Belliard, élu de Paris et candidat
écologiste à la Mairie. Il y a ceux qui
ont des résidences secondaires et
peuvent partir, ceux qui vivent dans
de grands appartements, et tous les
autres – y compris les SDF, les Roms,
les migrants... » Des mesures ont
été prises en urgence : une partie
de ceux qui vivent à la rue ont été
placés à l’abri, notamment dans
des gymnases. Mais cela n’a rien
d’une réponse structurelle. Quant
à la densité de la ville, la question

va nécessairement être posée. A
Paris, elle était déjà évoquée par
de nombreux candidats aux mu­
nicipales, en général pour dénon­
cer la « bétonisation ». L’épidémie
ne peut que donner de nouveaux
arguments en ce sens. « Les métro­
poles hyperdenses sont des bom­
bes virales », estime David Bel­
liard. « Pour l’humanité, les bien­
faits de la densité l’emportent lar­
gement », juge néanmoins Fouad
Awada, de l’Institut Paris région.
Les responsables ont aussi en
tête l’autre grande menace pour
Paris, celle d’une crue aussi im­
portante qu’en 1910. La ville, la ré­
gion paraissent mal préparées.
« Nous sommes considérablement
plus vulnérables qu’en 1910, car
très dépendants désormais des ré­
seaux d’électricité, de chaleur, de
transport, de gestion des déchets,
qui ont été construits le long de la
Seine », constate Ludovic Faytre,
spécialiste des inondations à l’In­
titut Paris Région.
En cas de crue, la capitale pour­
rait être coupée en deux, sans mé­
tro, de nombreux immeubles pri­
vés d’électricité, d’eau potable, les
hôpitaux pourraient être inutili­
sables. « De vous à moi, quand la
crue arrivera, mieux vaudra quitter
Paris », confie une experte de la ré­
gion. Mais, que faire si la crue né­
cessitant des évacuations massi­
ves survient en pleine pandémie,
imposant un confinement? « Ce
serait totalement contradictoire »,
reconnaît M. Faytre. Deux crises
qui se conjuguent, et c’est la catas­
trophe. Sans solution à ce stade.
denis cosnard

Sur le parvis
de l’Hôtel de
ville de Paris,
le 31 mars.
ANTOINE
WDOWCZYNSKI/
HANS LUCAS VIA AFP

La parole politique mise à mal dans la lutte contre le Covid­


La défiance d’une partie de l’opinion et la prolifération de « fake news » mettent en difficulté le pouvoir dans sa gestion de la crise


L


e phénomène n’est pas nou­
veau. Mais il s’amplifie avec
l’épidémie du Covid­19.
Alors que l’exécutif doit faire face à
une crise sanitaire sans précédent,
la défiance envers la parole offi­
cielle atteint des sommets. Selon
un sondage Elabe publié le 1er avril,
41 % des Français font confiance au
pouvoir pour « lutter efficacement
contre l’épidémie » , soit 18 points
de moins en deux semaines.
Plus grave, près de deux Français
sur trois pensent que le gouverne­
ment leur ment sur la gestion de
l’épidémie : 63 % estiment qu’on
leur « cache des choses » , selon un
sondage OpinionWay, publié le
30 mars ; 70 % que l’Etat « ne dit pas
la vérité aux Français », dans une
étude Odoxa publiée cinq jours
plus tôt. « La confiance dans la pa­
role politique était déjà basse au dé­
but du quinquennat. Elle a baissé
au moment des “gilets jaunes”, et
continue de s’effriter. Le discrédit
est aujourd’hui majeur » , se désole
l’ex­député La République en mar­
che (LRM) Matthieu Orphelin. Un
souci de taille pour l’exécutif, au

moment où il doit convaincre la
population de respecter ses consi­
gnes de confinement sur le long
terme. Sans se relâcher, alors que
des dizaines de Français ont pris
des libertés avec l’attestation de
déplacement, ce week­end. « On
constate un délitement de la parole
politique, réduite au même niveau
que le pékin moyen sur Facebook » ,
regrette le délégué général adjoint
de LRM, Pierre Person.
Les critiques de l’opposition et
des personnels soignants contre la
pénurie de matériel ont contribué
à nourrir la défiance actuelle.
« Dans l’opinion, on constate une
très forte grogne contre le manque
de masques et des tests, avec l’idée
que les premiers à en pâtir sont les
salariés, qui continuent à travailler
sur le terrain » , observe Jérôme
Fourquet, directeur du pôle opi­
nion de l’IFOP. Avant de pointer le
risque d’une recrudescence du cli­
vage entre « les élites » et « le peu­
ple » : « Cela réactive un ressenti­
ment de la France d’en bas contre
les technos, accusés de ne pas avoir
suffisamment préparé le pays à

affronter une telle crise. On re­
trouve un syndrome du mouve­
ment des “gilets jaunes”, avec l’idée
que la classe politique aurait collec­
tivement failli. »

Percée des théories complotistes
Si la volte­face de l’exécutif sur la
question des masques suscite le
trouble en interne – « Dire qu’il n’y
avait pas besoin de masques est
une erreur, qui a entaché la crédi­
bilité du propos du gouvernement
dans son ensemble » , enrage un
député LRM –, elle donne surtout
des arguments à l’opposition.
La présidente du Rassemble­
ment national, Marine Le Pen, a
dénoncé un gouvernement qui
ment sur « absolument tout, sans
aucune exception ». Des propos
« démagogiques » , selon les ma­
cronistes. « Marine Le Pen affai­
blit la démocratie en se faisant
porte­drapeau des complotistes
en tout genre , assène le député
LRM Pieyre­Alexandre Anglade.
Elle mélange faits et avis pour
créer de la confusion. » Au­delà
du rôle joué par l’opposition, les

responsables de la majorité s’in­
quiètent de la prolifération des
fausses informations qui re­
jaillissent sur Internet, et de la
perméabilité de la société fran­
çaise aux théories du complot.
Dans un sondage IFOP diffusé le
28 mars, 26 % des Français esti­
ment que le coronavirus a été
créé intentionnellement en labo­
ratoire. « Sur les réseaux sociaux,
toutes les paroles se valent. Notre
société verse dans l’idée qu’on ca­
cherait la vérité sur nombre de su­
jets » , se désole Pierre Person.
« Les théories complotistes per­
cent dans notre pays, avec une re­
mise en cause de toute parole offi­
cielle, qu’elle soit politique, scienti­
fique ou médiatique , s’alarme
Aurore Bergé, porte­parole de
LRM. Il y a un vrai risque que la
crise sanitaire et économique ac­
tuelle rejaillisse sur une crise dé­
mocratique et d’information. »
Déterminé à traquer « les fausses
informations », le mouvement
présidentiel a mis en place une ru­
brique « désintox » sur le site Inter­
net de LRM pour mener la bataille

sur les réseaux sociaux. Une initia­
tive essentielle aux yeux du délé­
gué général, Stanislas Guerini, qui
y voit un affrontement idéologi­
que entre deux modèles : « C’est un
combat à la vie, à la mort entre
ceux qui ont la conviction que c’est
dans les démocraties qu’on trou­
vera la solution à cette crise multi­
forme, et ceux qui ont une tentation
populiste, voire autoritaire. »
« La crise du coronavirus est un
test pour la démocratie, qui doit af­
fronter les mensonges des nationa­
listes qui se prétendent mieux à
même de protéger les peuples que
les autres , observe M. Anglade, en
dénonçant des ingérences étran­
gères. Derrière la guerre sanitaire,
se joue une guerre d’influence me­
née par la Chine et la Russie, qui
présentent leurs systèmes politi­
ques comme des modèles pour
vaincre la pandémie. »
Un combat qui tient à cœur à
Emmanuel Macron. Le 16 mars,
lors de sa deuxième allocution té­
lévisée, il a mis en garde les Fran­
çais contre les « fausses informa­
tions » , qui « circulent à tout­va ».

« Evitez de croire dans toutes les
fausses rumeurs, les demi­experts
ou les faux­sachants » , a­t­il de­
mandé, en vantant « la parole
claire » et « l’information transpa­
rente » de l’exécutif.
« Clarté » et « transparence ». Ce
sont justement les mots d’ordre
d’Edouard Philippe dans sa com­
munication de crise. Après quel­
ques faux pas, le premier ministre
a multiplié les prises de parole, ces
derniers jours, pour rassurer sur la
gestion du gouvernement. Sa mé­
thode? Tout dire, sans nier les pro­
blèmes ou les hésitations.
Le 2 avril, sur TF1, le locataire de
Matignon a ainsi reconnu les
« vraies difficultés » auxquelles se
heurte la France pour s’approvi­
sionner en masques, et admis des
« tensions très fortes » sur certains
médicaments. « Nous ne savons
pas tout » , a­t­il encore affirmé, le
1 er avril, devant la mission d’infor­
mation de l’Assemblée. Comme s’il
s’agissait de tout mettre sur la ta­
ble, afin de se prémunir contre
toute accusation de mensonge.
alexandre lemarié

Un conseil municipal exceptionnel en vue


Le 3 février au soir, beaucoup d’élus parisiens avaient quitté l’Hôtel
de ville, après un ultime conseil municipal – du moins est-ce ce
que tous pensaient. En réalité, les membres du Conseil de Paris
vont probablement être appelés à se réunir à nouveau, au moins
de façon virtuelle. Le second tour étant repoussé à une date en-
core inconnue, peut-être en octobre, la maire sortante, Anne Hi-
dalgo, envisage de convoquer un Conseil en mai, notamment pour
valider le versement de certaines subventions à des associations
qui se retrouveraient, sinon, en difficulté. La question doit être dis-
cutée, lundi 6 avril, avec les présidents des groupes politiques.
« Juridiquement, il n’est peut-être pas indispensable de réunir un
conseil, mais politiquement, cela va devenir délicat de gérer la ville
sans débat démocratique », commente un proche de la maire.

La constitution
de solides stocks
de masques, gels,
respirateurs
et autres biens
stratégiques
est envisagée
Free download pdf