Libération - 07.04.2020

(Nancy Kaufman) #1

10 u Libération Mardi 7 Avril 2020


Lors du vote du projet de loi sur les

D


es missions qui incombent
aux parlementaires, celle-ci
n’est d’ordinaire pas la plus
valorisée. Un travail de longue
­haleine qui prend rarement la
­lumière. Mais les députés et sé­-
nateurs redécouvrent ces jours-ci
ses vertus. «Contrôler l’action du
gouver­nement, évaluer les poli­tiques
publiques», comme le commande la
Constitution. C’est aussi ce que leur
a demandé Edouard Philippe : «J’ai
besoin du contrôle du Parlement.»
Privés de lois à mouliner (lire ci-
contre), voici donc les parlemen­-
taires en contrôle continu.
D’habitude garnie pour les se­-
maines à venir, la «feuille verte», qui
présente l’ordre du jour, est dé­-
sormais aussi vide que les couloirs
de l’Assemblée nationale. Seule la
­séance de questions au gouverne-
ment du mardi, volet le plus «grand
public» du contrôle, a été mainte-
nue. Par précaution sanitaire, le pré-
sident, Richard Ferrand, a encore
restreint le nombre de participants
à un seul orateur par groupe.
Mercredi dernier, une pièce demeu-
rait éclairée au Palais-Bourbon.
­Richard Ferrand y faisait face au
Premier ministre et au ministre de
la Santé, Olivier Véran, interrogés
en visioconférence par les membres
de la mission d’infor­mation sur
«l’impact, la gestion et les consé-
quences de l’épidémie» de ­Covid-19.
Ce sera au tour des ministres Chris-
tophe Castaner (Intérieur) et Nicole
Belloubet (Justice) ces mercredi et
jeudi. Créée pour faire le suivi des
mesures d’urgence, la ­mission se
dotera ensuite de pouvoirs d’en-
quête et l’opposition y aura un poste
de rapporteur.

Projet de coupe débusqué
Pour l’heure, c’est Richard Ferrand
qui est à la fois président et rappor-
teur général, épaulé par les prési-
dents de commission, dont sept sur
huit appartiennent à la majorité...
S’il assure que «la confiance n’exclut
pas le contrôle», ce fidèle d’Emma-
nuel Macron n’est, sans surprise,
pas là pour égratigner et veut éviter
que l’exercice tourne au règlement
de compte. «Le contrôle s’est trop
longtemps résumé à des commis-
sions d’enquête pour emmerder
l’exécutif. Il s’agit d’obtenir de l’in-
formation fiable», abonde le prési-
dent du groupe Modem, Patrick Mi-
gnola. Son homologue LR, Damien
Abad, réplique qu’il «n’a pas de
­leçon à recevoir» : «Pour un débat
utile, ça ne doit pas être juste la ma-
jorité qui parle au gouvernement, ni
une communication du haut vers le
bas», prévient-il. Frustrés par le peu
de temps réservé au contrôle, les
députés et eurodéputés LFI ont
lancé leur propre «commission d’en-
quête» informelle et mené une di-
zaine d’auditions.
Les commissions de l’Assemblée se
relancent aussi en visioconférence.
Parallèlement à la mission, Richard
Ferrand a demandé à leurs prési-
dents de réfléchir au programme
des semaines à venir. Celle des af-
faires économiques doit ainsi audi-
tionner jeudi la secrétaire d’Etat

à l’Industrie, Agnès Pannier-Runa-
cher. Côté commission des finan-
ces, le «Printemps de l’évaluation»,
une semaine prévue en juin pour
interroger les ministres sur la façon
dont ont été dépensés leurs crédits,
sera consacré à l’impact de l’épidé-
mie sur les budgets. La présidente
du groupe PS, Valérie Rabault,
n’a pas attendu. Habituée à traquer
les tours de passe-passe budgétaires
dans les arrêtés publiés par le
­gouvernement, elle a débusqué

la semaine dernière un projet de
coupe dans la dotation allouée
à l’Etablissement français du sang
(EFS), qui passait de 40 millions
d’euros l’an dernier à 30 millions :
«On surveille souvent au fil de l’eau.
Dans ce contexte, cette économie
sur l’EFS m’a paru emblématique.»
­Interpellé, Olivier Véran a rétabli la
dotation au niveau de 2019.

«Hotline du territoire»
C’est surtout à contrôler en circons-
cription l’application des aides pré-
vues par le gouvernement pour
­surmonter la crise que les députés
passent le plus clair de leur temps.
Une veille de terrain, ou presque : le
rideau de leur permanence tiré, ils
gèrent au téléphone les demandes
d’entreprises, artisans, associations,
Français coincés à l’étranger. «On va
chercher l’info auprès de la préfec-
ture, de la chambre de commerce,
des ministères. Notre mission est
à réinventer, on fait du service pu-
blic de proximité», décrit Ludovic
Mendes (LREM), tandis que Da-

mien Abad voit les députés comme
«la hotline du territoire». «Même si
on ne peut plus être directement au
contact, c’est très impliquant. Les
acteurs qui nous appellent ont be-
soin d’accompagnement», complète
Aurore Bergé (LREM).
Chargés de relayer les dispositifs de
chômage partiel, de garantie de prêt
ou du Fonds de solidarité, les dé­-
putés sont aussi en première ligne
pour repérer les trous dans la ra-
quette et signaler les bugs. «De mul-
tiples cas particuliers se révèlent,
qu’on ne pouvait pas anticiper mais
qu’il faut régler», résume Guillaume
Chiche (LREM). Jean-Noël Barrot
s’est coordonné avec ses collègues
Modem pour «voir si les entreprises
ont bénéficié des aides et rencontré
des problèmes» : «On joue le rôle de
courroie de transmission avec l’Etat
et de capteurs sur le terrain.»
La semaine dernière, ils ont été
nombreux – majorité comme oppo-
sition – à demander un assouplisse-
ment de l’accès au Fonds de solida-
rité, pour y inclure les entreprises

ayant perdu au moins 50 % de leur
chiffre d’affaires en mars (seuil
d’abord fixé à 70 %). Et ont obtenu
gain de cause. «On a tous envoyé
des SMS et rappelé à Bercy le “quoi
qu’il en coûte” du président de la Ré-
publique», raconte un marcheur.
Ces derniers jours, ils alertent sur
les entreprises horticoles en train
de rater la saison. Au groupe LREM,
un ­tandem est chargé de centrali-
ser les demandes pour les répercu-
ter au sommet, LR a aussi monté sa
­ «cellule» et invite ses troupes à dé-
poser des questions écrites.
Autant de remontées de terrain qui
inspirent les députés. Les socialistes
ont déposé trois propositions de loi
liées à la crise, par exemple pour in-
terdire le versement de dividendes
en cas d’aide de l’Etat ou faire da-
vantage contribuer les assureurs.
Et des élus LR pour créer un état de
catastrophe sanitaire ou moderniser
le fonctionnement du Parlement en
cas d’urgence. Le contrôleur s’active
mais le législateur a des fourmis
dans les jambes.•

Par
Laure Equy

L’évaluation des politiques publiques et du travail du


gouvernement, habituellement peu mise en avant,


a pris le pas sur le vote des lois depuis la crise du


coronavirus. Confinés dans leurs circonscriptions, les


députés et des sénateurs font remonter les manques.


«On va


chercher l’info.


Notre mission


est à réinventer,


on fait du


service public


de proximité.»
Ludovic Mendes
député LREM de Moselle

événement


Récit


Privés

d’examens, les

parlementaires

en contrôle

continu

Politique

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