Libération - 07.04.2020

(Nancy Kaufman) #1

4 u Libération Mardi 7 Avril 2020


D


éconfiner? Au sommet de
l’Etat, la consigne officielle est
d’en parler le moins possible
publiquement. Ce serait suggérer que
la fin de la crise approche et que l’on
pourrait commencer à s’affranchir
de la distanciation sociale. Ce serait
­surtout laisser croire que le ­gou­ver­-
nement n’est déjà plus mobilisé
­vingt-quatre heures sur vingt-quatre
par la «guerre» contre le virus déclarée
il a trois semaines par Emmanuel
­Macron. A Matignon, on assure que le
combat contre l’épidémie occupe
le Premier ministre jour et nuit : «Il est
entièrement dans l’opérationnel, pas
question pour lui de s’occuper
­d’autre chose.»
C’est pourquoi il a décidé avec le chef
de l’Etat de confier la réflexion sur le
déconfinement à une équipe dédiée
dont ce sera la seule et unique mission.
La direction de cette équipe a été con-
fiée à Jean Castex, un haut fonction-
naire de 54 ans qu’Edouard Philippe
connaît bien : militant UMP puis LR, il
a été directeur de cabinet de Xavier
Bertrand aux ministères de la Santé et
du Travail, avant de rejoindre l’équipe
de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Pour le
qualifier, Edouard Philippe lui colle
son adjectif fétiche : Castex est, à l’en-
tendre, d’une efficacité «redoutable».
C’est déjà ce qui lui avait valu d’être
pressenti pour remplacer Gérard Col-
lomb au ministère de l’Intérieur à l’au-
tomne 2018. Le chef de l’Etat avait
alors reculé devant les protestations de
la gauche macroniste qui voyait dans
cette nomination la marque de l’influ-
ence croissante de la droite philippiste.
«Il a du pif et de la bouteille, résume un
proche du Premier ministre. Il incarne
à la fois la figure du grand serviteur de
l’Etat et celle de l’élu local qui sait faire
de la politique.»
Castex a été réélu maire de sa ville,
Prades (Pyrénées-Orientales), avec
plus de 75 % des suffrages au premier
tour des municipales. Depuis l’au-
tomne 2017, il dirigeait l’équipe char-
gée de coordonner la contribution des
différents ministères à la préparation
des Jeux olympiques de Paris 2024.
C’est dans ce cadre «interministériel»
qu’il lui ­appartient désormais d’explo-
rer les scénarios de la sortie de crise sa-
nitaire, tâche d’une difficulté elle aussi
«redoutable».

Libertés. «Le confinement, il est plus
facile d’y entrer que d’en sortir», résume
l’entourage du chef du ­gouvernement.
L’après Covid-19 pose des questions
vertigineuses car «c’est toute la fin du

quinquennat qui doit être ­réinventée»,
souligne un proche d’Edouard Phi-
lippe. Devant la mission d’information
sur l’épidémie de ­coronavirus, réunie
pour la première fois mercredi en visio-
conférence, Edouard Philippe a d’ail­-
leurs dressé une longue liste de ques-
tions : le ­déconfinement pourrait se
faire de ­manière «régionalisée» ou «en
fonction des classes d’âge». Il ­dépendra
«de la ­façon dont le virus aura circulé»,
et ­devra être accompagné d’une «poli-
tique de tests» qui reste à définir. Ce qui
semble acquis, c’est qu’il n’y aura pas
de ­ «déconfinement ­général, partout et
pour tout le monde». «Si on fait un
­déconfinement brutal, ça se traduit
comment? Tout le monde aura le droit
d’aller fêter ça dans les bars, les
­restaurants et les cafés ?» ­s’interroge un
­ministre inquiet pour la suite. Et faut-il
envisager un recours au «suivi
­numérique» des personnes ayant été
au ­contact de personnes infectées, ce
«tracking» redouté par les défenseurs
des libertés publiques? Sur l’utilisation
des données des téléphones portables,
le Premier ministre est resté prudent,
évoquant un éventuel «engagement
­volontaire», puisqu’en l’état actuel du
droit, cela n’est pas autorisé en France.
Jean Castex, sorte de «ministre du
­déconfinement», va ­devoir construire
des réponses à toutes ces questions.

«Santé mentale». L’important pour
Matignon, c’est que, désormais, cela se
fasse dans une organisation découplée
de la gestion de crise car les propos
d’Edouard Philippe devant les
­parlementaires ont quelque peu
brouillé les contours de l’action du
gouvernement. Etait-il opportun de
lancer le débat sur le déconfinement
tout en proclamant que ce n’était vrai-
ment pas le moment de relâcher la
pression et de revenir à la normale? «Le
Premier ministre était interrogé par les
parlementaires, c’est son devoir de leur
répondre», se défend Matignon. «Il fal-
lait parler de déconfinement, tracer des
perspectives : avec l’enfermement qui se
prolonge, c’était une question de santé
mentale» pour les Français, souligne
un conseiller de l’exécutif, pour qui il
faut «tenir l’équilibre entre les paroles
de contrainte et d’espoir».
De fait plusieurs députés militent pour
que le débat ait lieu sans délai, comme
Jean-Luc Mélenchon, qui exige de con-
naître la «méthode» et le «calendrier»
du déconfinement. «Je ne sais pas ré-
pondre à votre question parce que trop
de réponses sont inconnues de moi», lui
a répondu Philippe, assurant que la fu-
ture stratégie gouvernementale serait
soumise au Parlement. Dans la majo-
rité, certains ne cachent pas leur impa-
tience. «Plus tôt on sait ­rebondir, mieux
c’est, confie Laurent Saint-Martin, le
rapporteur général du budget. L’écono-
mie, c’est comme les machines : plus ça
s’arrête longtemps, plus ça refroidit et
ça met du temps à ­repartir.»
Alain Auffray

Afin d’éviter les signaux
contradictoires et se dédier
à la gestion de la crise,
Edouard Philippe a chargé
Jean Castex d’organiser
le processus devant mener
à un retour à la normale.

Rue de Rivoli,
à Paris, le 22 mars.
Photo Frédéric
Stucin

Matignon prend


ses distances avec


le déconfinement


événement société

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