Les Echos - 07.04.2020

(Axel Boer) #1
Alain Ruello
@AlainRuello

Corollaire de la mise en som-
meil de pans entiers de l’écono-
mie, le marché de l’emploi a lar-
gement ralenti depuis le début
du confinement, sans s’éteindre
totalement. En témoigne le
nombre d’offres disponibles sur
le site Internet de Pôle emploi,
passées de 655.000 le 24 mars à
512.000 le 6 avril. S oit 1 43.000 de
moins en deux semaines! Cette
chute brutale, le cabinet de
recrutement PageGroup spé-
cialisé dans les postes qualifiés
l’a prise de plein fouet. Le flux
des nouvelles offres a diminué
de moitié par rapport à début
mars. La moitié de celles qui
étaient en magasin a été mise en
sommeil par les clients. Résul-
tat, un tiers des missions seule-
ment restent actives.
« Les entreprises continuent de
recruter dans l’agroalimentaire,
l’énergie ou la santé et, dans une
moindre mesure, les biens d’équi-
pement, le public ou le parapu-
blic. Côté métier, les informati-
ciens ou responsables d e
production sont toujours recher-
chés », détaille Laurent Blan-
chard, le directeur général pour
la France de PageGroup. Les
offres d ans la santé – professions
médicales, hôpitaux et centres
de soins – ont augmenté de
137 %, de janvier à mars par rap-
port à la même période l’année
précédente, abonde LinkedIn.

Besoins urgents
Economiste chez Indeed, l’un
des principaux sites agréga-
teurs, qui fait face à une baisse
de 31 % de son flux d’offres
d’emploi, Alexandre Judes se
montre plus négatif : le recul est
général, selon lui, même dans
les secteurs en première lignes,
dans la pharmacie ou les soins
infirmiers notamment. « La
bascule s’est faite la semaine der-
nière. Ne restent que les besoins
urgents », analyse-t-il. Côté can-
didatures, « on se situe en des-
sous de l’activité en période de
fêtes de fin d’année », avec
trois mots-clés qui ressortent :
agriculture, télétravail ou
commerce, en particulier pour
le drive.
Les premiers constats, à con-
firmer, de l’Association pour
l’emploi des cadres (Apec) mon-
trent que le marché des cadres
résiste à la tendance générale.
L’association fait état d’une
baisse de 15,5 % des offres
d’emploi (hors celles de ses par-
tenaires), bien en deçà de celle
du marché de l’emploi dans son
ensemble. « Traditionnellement,
les cadres sont moins sensibles
aux crises car les besoins structu-
rels de compétences perdurent.
Mais il y aura un impact sur leurs
recrutements. Nous pourrons
l’évaluer de manière plus précise
à la fin du premier semestre »,
explique le directeur général de
l’Apec, Bertrand Hébert.n

Les offres


d’emploi


chutent


Le nombre d’offres sur
le site de Pôle emploi
a fondu de 143.
en deux semaines.

de 2019. Et la baisse s’est probable-
ment accélérée depuis la fermeture
d’Orly. A Paris, le trafic automobile
a été divisé par plus de 10 depuis le
début du confinement par rapport
à l’an dernier. Le nombre d’offres
d’emplois mises en ligne a fléchi de
32 %. La consommation de loisirs
au sens large, un bon indicateur du
PIB, car il s’agit de dépenses discré-
tionnaires, est en chute libre. L’indi-
cateur de QuantCube, qui atteignait
45 points environ en février, est
tombé à 20 points.

Boom de l’alimentaire
Quant aux dépenses alimentaires,
elles ont connu un pic lors des quel-
ques j ours qui ont p récédé le
17 mars, début du confinement.
L’indicateur de QuantCube des
dépenses alimentaires a bondi vers
la mi-mars à 80 points, contre
35 points en moyenne en février,
mais il est quelque peu retombé
depuis. Dans beaucoup de secteurs,
les fédérations professionnelles
font état de reculs significatifs de
l’activité. Ainsi, à la fin de la semaine

dernière, l’industrie automobile
tournait toujours à 10 % de ses capa-
cités de production, l’aluminium à
30 % et le textile à 35 %. Dans l’aéro-
nautique, 60 % des sites industriels
restaient fermés. De même, dans la
construction, 85 % des chantiers
étaient arrêtés, contre 90 % la

semaine précédente. « Beaucoup
d’entreprises ont fermé dès le début
du confinement », explique une
source patronale. « Elles se sont
mises à discuter avec les partenaires
sociaux des précautions sanitaires.
Des guides de bonnes pratiques sont
sortis. Mais on ne peut pas parler
encore de reprise. C’est un rebond
très léger. »

Chute de 93 % du nombre
de voyageurs dans les TGV
Dans le transport routier hors ali-
mentaire, près de 60 % des camions
sont arrêtés. Dans l e fret f erroviaire,
l’activité a baissé de 40 %, et les TGV
enregistrent une chute de 93 % du
nombre de voyageurs. Et ces bais-
ses d’activité se répercutent méca-
niquement sur des secteurs de ser-
vices aux entreprises, comme la
propreté et la sécurité. Dans la pro-
preté, 60 % des entreprises ne fonc-
tionnent plus.
Il reste tout d e même des secteurs
qui résistent, tant bien que mal.
C’est le cas de l’activité portuaire.
QuantCube ne voit pas de ralentis-

sement prononcé dans les grands
ports français comme Le Havre,
Rouen, Paris et Marseille. « Ils
maintiennent leur activité, afin de
sécuriser les importations et expor-
tations de biens, dont les fournitures
médicales permettant ainsi l’appro-
visionnement de la France et de
l’Europe », explique-t-on chez
QuantCube. Mais les ports s’atten-
dent à un ralentissement dans les
prochaines semaines.
La chimie, le secteur de l’embal-
lage, les centres d’appels s’en tirent
plutôt bien, puisque leur baisse
d’activité est inférieure à 20 %,
selon les fédérations profession-
nelles, ce qui, dans ce contexte, est
plutôt une bonne performance. La
santé et l’agroalimentaire tour-
nent, eux, à plein. Comme le dit un
patron, « tout le monde attend la
perspective d’une sortie de confine-
ment ». Mais ce n’e st pas pour tout
de suite. Et surtout, certaines acti-
vités ne pourront probablement
pas repartir vite, comme l’hôtelle-
rie-restauration, le tourisme ou
encore l’événementiel.n

lA partir de toute une série de données, la start-up QuantCube donne un aperçu du niveau de l’activité économique.


lIl demeure très faible, sauf dans quelques secteurs. Ce que confirment les remontées des fédérations professionnelles.


Baisse alarmante de l’activité

économique en France

Guillaume de Calignon
@gcalignon


Après trois semaines de confine-
ment, l’économie française est à
l’arrêt ou presque. D ifficile pour les
économistes d’évaluer l’impact de
la pandémie de coronavirus sur
l’activité. Chacun tâtonne, cher-
che, est à l’affût. Dans ce contexte,
les informations fournies par la
start-up française QuantCube
viennent dissiper quelque peu ce
brouillard. L’entreprise, dont
l’agence de notation Moody’s est
actionnaire, recueille des millions
de données sur Internet, du nom-
bre de porte-containers en route
vers les ports européens à la
pollution dans les grandes agglo-
mérations, en passant par les diffé-
rentes requêtes sur G oogle et le t ra-
fic routier.
Ainsi, fin mars 2020, le nombre
de vols aériens e n France a reculé de
60 % p ar rapport à la même p ériode


ÉPIDÉMIE


« Les ports
maintiennent
leur activité, afin
de sécuriser
les importations
et exportations
de biens, dont
les fournitures
médicales, pour
la France
et l’Europe. »
QUANTCUBE

« Le chiffre de croissance le plus mau-
vais qui ait été fait par la France
depuis 1945, c’est en 2009, après la
grande crise financière de 2008 :
–2,9 %. Nous serons vraisemblable-
ment très au-delà des – 2,9 % » cette
année. Auditionné ce lundi par les
sénateurs, le ministre de l’Economie
et des Finances, Bruno Le Maire, n’a
pas caché le cataclysme économi-
que que constituent l’épidémie de
coronavirus et le confinement de la
population pour tenter de l’enrayer.
Il n’est pas le seul à broyer du noir.
Les semaines passent et les écono-
mistes revoient sensiblement leurs


prévisions à la baisse. Evidemment,
tout dépendra de la durée du confi-
nement, encore inconnue, et du
retour « à la normale », là encore,
très incertain. Mais les quelques
pourcents de baisse du PIB en 2020
ne sont plus de mise.
La plupart des experts anticipent
désormais une chute de la richesse
nationale comprise entre 5 % et
10 %, voire au-delà pour les plus
pessimistes. Déjà, il y a dix jours,
l’Insee estimait que deux mois de
confinement amputaient le PIB de
6 points, ce qui représente un coût
de 75 milliards d’euros pour la
France. Les économistes de Bar-
clays anticipent une chute du PIB
français de 6 % cette année, ceux de
Bank of America, de 6,5 %, et ceux
de Deutsche Bank, de 6,8 %. A cha-
que fois, les hypothèses sont sem-
blables : deux mois de confinement
et une activité qui rebondit au qua-

trième trimestre, mais ne rattrape
pas tout le terrain perdu. Barclays
prévoit ainsi que la France ne
retrouvera le niveau de son PIB du
troisième trimestre 2019 que lors
des trois derniers mois de 2021.

D’autres comme UniCredit ont des
prévisions quasi-apocalyptiques et
anticipent une chute de 14 % du PIB
cette année. A côté, Natixis et
JP Morgan, qui tablent respective-

ment sur un recul de 4,5 % et 3,5 %
du PIB, sont presque optimistes.

Hausse du chômage
Que va-t-il se passer? Pour la Banque
des règlements internationaux
(BRI), « la réduction du PIB due aux
mesures de confinement devrait se
faire ressentir sur plusieurs trimes-
tres. La chute totale du PIB pourrait
être jusqu’à deux fois supérieure aux
effets directs du confinement. » Des
entreprises vont nécessairement
faire faillite avec cette hibernation de
l’économie. Sans chiffre d’affaires,
elles ne pourront honorer salaires et
factures. Les premières semaines, les
entreprises les plus faibles seront
touchées p uis, avec le temps,
d’autres, plus solides, pourraient
tomber. D ’où l’importance de réduire
au maximum le confinement.
Plus cette mise sous cloche de
l’économie dure, plus les cicatrices

seront durablement visibles sur
l’activité économique, puisque des
entreprises plus productives
auront fait faillite. Parallèlement,
avec la hausse du chômage atten-
due, le plus probable est que, pour
faire face à la récession, les e ntrepri-
ses ayant survécu choisissent de
« reporter dans le temps des projets
d’investissement et fassent un effort
de resserrement des coûts », comme
l’expliquent les économistes de
Rexecode dans une note.
Aujourd’hui, l ’objectif d e la politi-
que budgétaire de Bercy est d’éviter
les faillites à court t erme et de soute-
nir les entreprises et les emplois en
développant le chômage partiel. Il
s’agit de permettre à l’économie de
rebondir vite. C’est possible, mais à
moyen terme, il faudra probable-
ment passer par un soutien public
de l a demande au moment de l a sor-
tie de crise. —G. C.

Les conjoncturistes noircissent leurs prévisions


Le ministre de l’Economie,
Bruno Le Maire, prépare les
esprits à une forte récession
cette année. De nombreux
économistes tablent
désormais sur une chute
du PIB supérieure à 5 %.


Des entreprises feront
nécessairement
faillite avec cette
hibernation de
l’économie. Sans
chiffre d’affaires, elles
ne pourront honorer
salaires et factures.

EVENEMENT


Mardi 7 avril 2020Les Echos

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