Les Echos - 07.04.2020

(Axel Boer) #1

Les Echos Mardi 7 avril 2020 PME & REGIONS// 27


innovateurs


jour depuis l’annonce du confine-
ment, cette société d’Allonnes, près
du Mans, jette 250.000 tulipes et
300.000 roses faute d’acheteurs.

L’alimentation a pris
toute la place
« Une partie des clients grossistes, qui
représentent 10 % de notre chiffre
d’affaires, ont fermé », explique Nico-
las Bigot, directeur général, repré-
sentant la troisième génération aux
commandes de cette entreprise
familiale. Puis ce fut le tour des
enseignes de la grande distribution
qui ont annulé l’essentiel des com-
mandes « de fonds de rayons », puis

les promotions habituelles à cette
saison.
« Les flux alimentaires qui ont
augmenté par trois ou quatre ont
pris toute la place dans les entrepôts
logistiques », observe Nicolas Bigot.
Dès lors, l’entreprise n’a pas d ’autres
choix que de cueillir l es fleurs, de les
jeter, puis de replanter pour pour-
suivre le cycle si, toutefois, le mar-
ché redémarrait après Pâques. La
réussite des ventes du muguet du
1 er mai atténuerait un peu le désas-
tre. « 95 % de nos coûts sont engagés.
C’est comme si l’on demandait à une
usine de produire pendant six mois
avec, au bout, presque aucune com-
mande », explique Nicolas Bigot,
exhortant les consommateurs à
acheter de nouveau des fleurs,
notamment par Internet.
Ainsi, l’entreprise perd de 80 à
100.000 euros par jour sur un chif-
fre d’affaires de 20 millions d’euros.
C’est donc sa survie qui est en jeu.
Bigot Fleurs emploie 150 salariés,

Emmanuel Guimard
—Correspondant à Nantes


La portée symbolique de centaines
de milliers de fleurs partant à la
poubelle, chez Bigot Fleurs, illustre
le désarroi de toute une filière. La
crise du coronavirus ne pouvait pas
plus mal tomber p our l e numéro u n
français de la fleur coupée. Chaque


PAYS DE LA LOIRE


Le numéro un français
de la fleur coupée voit
l’essentiel de ses débou-
chés réduits à néant
en pleine floraison.


Lui et l’ensemble de la
filière s’en remettent
à des mesures excep-
tionnelles pour passer
ce cap.


cès – en ligne multijoueur Dofus ou
encore d e Wakfu, a vu les connexions
doubler. « Sur nos quatre jeux en ligne
nous sommes passés de 200.000 à
400 .000 joueurs par jour, c’est deux
fois plus que la hausse habituellement
enregistrée en période de vacances sco-
laires », souligne Anthony Roux,
PDG d’Ankama (32 millions d’euros
de chiffre d’affaires). Il s’agit soit
d’anciens joueurs qui redécouvrent
notamment Dofus, soit de nouveaux
qui ont surfé sur le Net à la recherche
d’une occupation pendant l e confine-
ment. Mais le chiffre d’affaires de la
société n’augmentera pas d’autant
puisque le jeu est gratuit au début.
Le chef d’entreprise n’est toute-
fois pas inquiet pour sa trésorerie.
« Nous avons fait en 2019 une de nos
meilleures années en termes de ren-
tabilité », explique-t-il, même s’il

espère que ses réserves ne seront
pas absorbées avec cette crise.

Gérer à distance
La principale difficulté d’Ankama est
d’arriver à faire tourner l’entreprise à
distance. Il faut d’abord parvenir à
faire fonctionner les serveurs en con-
tinu qui gèrent énormément de don-
nées, pour plusieurs jeux. « Il y a des
connexions qui lâchent en perma-
nence, il faut aller s ur p lace », s ouligne-
t-il. Q uatre p ersonnes passent tous les
jours. « Ou alors cela met les joueurs en
liste d’attente pour pouvoir accéder au
site et cela fait des mécontents ».
Le lancement, la semaine der-
nière, d’une extension de Dofus, sur
laquelle la société travaille depuis
plusieurs mois, a été catastrophique
malgré les 10 serveurs supplémen-
taires mis en place pour désengor-

L’ INITIATIVE 3 D MORPHOZ


Un réseau imprime en 3D


des visières de protection


un effectif généralement porté à
600 personnes à cette saison pour
la cueillette dans les 4 hectares de
serres et les 30 hectares de plein
champ où poussent muguet et
pivoines, notamment.

Impact au Kenya
Pour le dirigeant, les mesures gou-
vernementales de gel des cotisations
ou de report de charge n’y suffiront
pas. La filière, dit-il, ne devra sa sur-
vie qu’à des mesures de soutien
exceptionnelles. La situation est t out
aussi dramatique au Kenya où Bigot
Fleurs emploie un millier de person-
nes à la culture de rose sous le label
Max Havelaar commerce équitable.
Là-bas, 300.000 tiges sont égale-
ment jetées chaque jour. En 2008,
l’entreprise avait été fragilisée par les
émeutes post-électorales qui avaient
touché ce pays. Mais, selon Nicolas
Bigot, cette crise fut sans commune
mesure avec ce que l’entreprise vit
aujourd’hui.n

Bigot Fleurs cherche à survivre à l’effondrement


de son marché


ger ceux existants. « Il y avait près de
60 .000 préinscrits et tout a crashé. Et
à distance, c’est plus compliqué à
régler », explique Anthony Roux.
Par ailleurs, les équipes impli-
quées sur un nouveau jeu, Waven,
étaient arrivées à la phase tests de sa
version bêta. « Impossible de tra-
vailler sur le cœur du projet chacun de
chez soi, on a besoin d’échanger à plu-
sieurs en équipe », ajoute le DG. Sur
l’effectif des 250 salariés, seuls 150
sont opérationnels. Et puis le diri-
geant se pose déjà la question de
l’après : comment remettre rapide-
ment les gens au travail. « C’est
comme quand on rentre d’un long
congé, on n’arrive pas à se replonger
immédiatement dans les projets lais-
sés en plan ». Pour lui la perte d’acti-
vité ira au-delà de quelques semai-
nes de confinement. —N. B.

la crise sanitaire fin 2019. Le groupe
s’e st également délesté de quatre
entrepôts pour une somme d’envi-
ron 10 millions d’euros.
« Avec cette réorganisation et le
recentrage de nos activités sur notre
métier de distribution, nous avions
retrouvé le chemin de la croissance et

de bons espoirs d’être à l’équilibre
cette année », explique le patron.
Débarrassé de son activité de
producteur, il s’est endetté de plu-
sieurs millions d’euros l’an passé
pour développer un pôle ciblant
spécifiquement la restauration
commerciale en milieu urbain :

nouveaux entrepôts relais en péri-
phérie proche des grandes agglo-
mérations, nouvelle flotte de véhi-
cules légers pour livrer en ville,
nouvelle logistique de préparation
de commandes... Avant la crise,
l’activité était en hausse de 38 %.

55 % de baisse de chiffre
d’affaires
Avec la fermeture des écoles, uni-
versités, restauration d’entreprise
et restauration commerciale, Cana-
vese a perdu 5 5 % de s es débouchés.
« Dans les métiers à très faible marge
comme le nôtre, le moindre incident
se paye cash », poursuit l’entrepre-
neur. Avec son placement en
redressement judiciaire, le gel de
ses dettes e t l’étalement d e ses factu-
res, ce convalescent devrait retrou-
ver suffisamment d’oxygène pour
poursuivre l’approvisionnement
des clients encore opérationnels :
hôpitaux, maisons de retraite,
bases militaires, enseignes de la
grande distribution et détaillants
spécialisés qui couvrent encore
55 % de l’activité.
L’entreprise dispose d ’une
importante force de frappe logisti-
que pour saisir l’opportunité d’élar-
gir ces marchés : 410 employés, une
flotte de 120 poids lourds, 8 entre-
pôts régionaux, des plateformes
relais à Grenoble et Annecy, notam-
ment... Elle offre également une
large profondeur de gamme avec
plus de 1.500 références de fruits et
légumes du monde entier, et a intro-
duit dans ses tournées des produits
laitiers, carnés et de la mer.n

Paul Molga
— Correspondant à Marseille


C’est un patient fragile, le groupe de
distribution de fruits, légumes et
produits frais Canavese qui vient de
se placer sous la protection du tri-
bunal de commerce de Marseille
avec l’ouverture jeudi d’une procé-
dure de redressement judiciaire.
Fondé il y a 45 ans par son actuel
président Gérard Canavese, ce
groupe (150 millions d’euros de
chiffre d’affaires en 2019) a connu
deux exercices difficiles en raison
des cours trop bas de la banane, un
produit sur laquelle il a énormé-
ment misé en créant de grandes
plantations employant jusqu’à
2.500 personnes en Côte d’Ivoire.
Pour retrouver des marges de
manœuvre, cette activité qui repré-
sentait 25 % de son chiffre d’affaires,
ainsi que plusieurs mûrisseries et
d’importantes plantations d’agru-
mes au Maroc ont été cédées avant


RÉGION SUD


L’un des leaders fran-
çais de la distribution
de fruits et légumes
tombe sous l’impact
du confinement.


Il espère rebondir en
se renforçant dans les
hôpitaux, les maisons
de retraite et les bases
de l’armée.


Fruits et légumes : Canavese placé


en redressement judiciaire


L’entreprise dispose d’une importante force de frappe logistique
pour rebondir. Photo iStock

Ankama voit les connexions à ses jeux vidéo


en ligne doubler


Pourquoi le Groupe


Voltaire entre au capital


Idem dans les Ardennes, où
l’entreprise a mis les fichiers du
prototype à disposition de la
société 3D Métal Industrie, à
Charleville-Mézières.
Originale, cette entreprise a
été créée en 2019 à l’initiative de
sept fondeurs ardennais, qui col-
laborent au sein de la plateforme
régionale Platinium 3D. Ensem-
ble, ils ont investi 1,2 million
d’euros dans l’acquisition d’une
machine ExOne, capable de pro-
duire des moules 3D en sable de
grande dimension pour les fon-
deurs. « Pour répondre aux
besoins locaux en matériels de
protection, nous sommes parve-
nus à réunir une quinzaine de per-
sonnes et d’entreprises, qui pro-
duisent plus de 150 masques par
jour », se félicite Renaud Migno-
let, président de Platinium 3D.

Modèle unique
Face à l’immensité des besoins,
les initiateurs du projet espèrent
pouvoir passer le relais à des
industriels de l’injection plasti-
que, seuls en mesure d’assurer
une production à très grande
échelle. Ils attendent aussi que
les pouvoirs publics intervien-
nent pour réguler le secteur de la
fabrication additive en impo-
sant, par exemple, un modèle
unique de visière. « Une cin-
quantaine de plans sont actuelle-
ment disponibles sur Internet.
Pour gagner en efficacité, il est
nécessaire d’harmoniser la pro-
duction. Nous n’avons pas moins
de 1.500 demandes à satisfaire
dans les prochains jours »,
annonce Mehdi Sellami.n

Guillaume Roussange
—Correspondant à Amiens

Jouer la carte du réseau pour
parer aux besoins urgents en
matériel de protection face à la
crise sanitaire. C’est la stratégie
adoptée par des chefs d’entre-
prise de la Marne et des Arden-
nes qui participent à la lutte con-
tre le coronavirus en mettant à
profit leur maîtrise de l’impres-
sion 3D. A Reims, la société
3D Morphoz et le bureau d’étu-
des Reccal ont produit un proto-
type de visière de protection.
« Deux jours de travail ont été
nécessaires pour adapter un
modèle, dont les plans étaient
libres de droits, en fonction des
préconisations du C HU d e
Reims », témoigne Mehdi Sel-
lami, dirigeant de la TPE qui
emploie deux personnes. Pour
accélérer la production, il a eu
l’idée de créer des pôles de pro-
duction décentralisés, réunis-
sant des particuliers ou des
sociétés disposant d’impriman-
tes 3D. Dans la Marne, 3D Mor-
phoz est ainsi parvenu à fédérer
une trentaine de « makers », qui
produisent 150 visières par jour.

Morphose

LA STRATÉGIE EQUISENSE


sangle de la selle permet au
cavalier de mesurer la cadence,
la foulée, la vitesse et l’éventuelle
dissymétrie de l’allure de sa
monture. Ces données sont
transmises en Bluetooth sur son
smartphone. Neovia Venture,
BNP Paribas Développement,
Finorpa et Nord France Amor-
çage, quatre des cinq actionnai-
res qui ont porté la société en
investissant 2 millions d’euros
au total, ont saisi cette opportu-
nité pour se retirer. Seul le fonds
lillois Sparkling Partners est
resté au capital et a même réin-
vesti aux côtés de Groupe Vol-
taire, qui vient de reprendre
Equisense, devenant l’action-
naire majoritaire, sans préci-
sion sur le montant investi.

Jouer les synergies
Numéro deux mondial de la sel-
lerie de sport haut de gamme


  • fabriquée sur mesure –, le
    groupe, créé il y a dix ans à
    Bidart, au Pays b asque, e st en fait
    l’un des fournisseurs de la
    start-up qui lui fabrique la partie
    en cuir dans laquelle est inséré
    l’objet connecté. Les deux socié-
    tés vont donc faire jouer les
    synergies. Outre un refinance-
    ment, Groupe Voltaire a pporte à
    Equisense son expertise com-
    merciale et des débouchés à
    l’international. Il va intégrer ce
    capteur à la fois dans les sangles
    et les selles. « Equisense nous
    apportera son expérience du digi-
    tal et des technologies connectées
    dans l’équitation », confirme
    Brice Goguet, PDG du groupe.n


Date de création : 2015
Président : Benoît Blancher
Effectif : 12 personnes
Secteur : équitation

Nicole Buyse
—Correspondante à Lille

La deuxième version de son cap-
teur de mouvement connecté
pour les c avaliers, lancée
fin 2019, n’aura pas permis à
Equisense de sortir assez vite
des résultats. Mi-janvier, la jeune
entreprise, basée à EuraTechno-
logies à Lille, a dû être mise en
redressement judiciaire. Avec la
vente de 5.000 produits en 2019,
son chiffre d’affaires avait tout
de même bondi de 40 %, à
550.000 euros, et elle tablait sur
un doublement en 2020. « Le
marché a été plus long q ue prévu à
convaincre et, surtout, la pre-
mière version était peut-être trop
compliquée à comprendre pour
les cavaliers. La nouvelle est plus
aboutie, accessible et didacti-
que », souligne Benoît Blancher,
cofondateur d’Equisense. Cet
objet connecté glissé dans la

Equisense

80 à 100


MILLE EUROS
La somme que perd
Bigot Fleurs quotidiennement,
faute d’acheteurs.

Depuis le confinement, Ankama, le
groupe de création numérique, basé
à Roubaix, à l’origine du jeu – à suc-


LA PME À SUIVRE
HAUTS DE FRANCE


Pendant le confinement,
le jeu vidéo en ligne
multijoueur à succès
Dofus, créé par l’entre-
prise roubaisienne,
retrouve des adeptes.


Mais cet accroissement
brutal n’est pas simple
à gérer à distance,
tout comme la création
en cours des jeux.

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