06 // EVENEMENT Mardi 7 avril 2020 Les Echos
tions à Lübeck a peu de temps pour
les bagatelles. Sa production de
ventilateurs a doublé en volume
depuis février. Aux périodes de
pointe, elle pourrait « atteindre qua-
tre fois les volumes habituels », com-
mente la porte-parole de l’entre-
prise, Melanie Kamann.
10.000 ventilateurs
L’entreprise ajuste ses livraisons
en fonction des besoins les
plus urgents. La commande de
10.000 ventilateurs passée en mars
par le gouvernement allemand
sera étalée sur l’année. L’entreprise
donne également la priorité à la
maintenance d’appareils qui
demandent une expertise pour
être manipulés.
Dräger s’apprête à donner un
coup de collier supplémentaire
pour répondre aux commandes
massives lancées par l’administra-
tion Trump jeudi dernier. L’entre-
prise va construire une nouvelle
usine de masques, une autre de ses
spécialités, sur l a côte Est des Etats-
Unis, confirme-t-elle. Un complé-
ment nécessaire pour répondre à
la demande mondiale exponen-
tielle. « Nos installations de produc-
tion de masques en Suède et en Afri-
que du Sud fonctionnent déjà à
pl eine capacité, 24 heures sur 24 »,
indique Dräger.
Comment expliquer le décollage
en flèche d’une entreprise de niche
de 14.500 employés qui traversait
encore une mauvaise passe il y a
quelques mois? La clairvoyance
peut-être. L’entreprise a investi ces
dernières années 70 millions
d’euros dans une usine ultramo-
derne qui tourne maintenant à plein
régime dans son fief historique de
Lübeck. Sa course contre la montre
a commencé dès le début d’année
pour répondre à la demande en
Chine et en Asie. Le dialogue social à
l’allemande a aussi fait ses preuves.
« Nous avons convenu d’horaires de
travail flexibles et de modèles d’orga-
nisation du travail innovants avec les
comités d’entreprise et les syndicats »,
commente l a porte-parole de
l’entreprise. « Nous prévoyons
d’embaucher jusqu’à 500 nouveaux
employés », précise-t-elle. Ce ne sera
pas facile dans une période où le per-
sonnel qualifié est confiné, au même
titre que les autres. Dräger a « une
responsabilité sociale » de produire,
mais aussi un « devoir de vigilance
pour fournir à nos employés la
meilleure protection possible »,
insiste l’entreprise sur son site.
Daimler a proposé son aide, mais
Stefan Dräger n’y croit pas. Fabri-
quer des ventilateurs « n’est pas si
simple. Nous ne pouvons pas non
plus construire des voitures », com-
mente-t-il dans le « Spiegel ». La
prochaine étape sera à haut risque :
que faire de ces surcapacités lors-
que la pandémie sera passée? Pour
l’instant, les marchés saluent les
performances du champion discret
coté au S-DAX. Sa valeur a pro-
gressé de 60 % en deux mois.
—N. St.
Dräger, pièce maîtresse de la stratégie sanitaire nationale
Le c hancelier autrichien e t le roi des
Pays-Bas l’ont appelé personnelle-
ment. Stefan Dräger, patron de
l’une des entreprises les plus courti-
sées du moment, a pourtant le
triomphe modeste. Bien sûr, il est
« fier » : être l’un des p rincipaux pro-
ducteurs mondiaux de ventilateurs
nécessaires aux patients grave-
ment atteints par le coronavirus lui
confère une « responsabilité
sociale », explique-t-il au « Spiegel »,
dans l’une des rares interviews
accordées à la presse.
C’est que l’héritier de l’entreprise
familiale fondée il y a cinq généra-
L’entreprise familiale
a doublé sa production
de ventilateurs pour
les malades du Covid-19,
avec deux armes très
allemandes : l’humilité
et le dialogue social.
Le coronavirus a donné un coup
de fouet au gouvernement
d’Angela Merkel. 63 % des per-
sonnes interrogées se disent
satisfaites de l’action de la coali-
tion allemande, soit un bond de
28 points en un mois, et 72 %
saluent sa gestion de crise, indi-
quait le 3 avril le baromètre
politique de l’ARD. Un plébiscite
qui tranche avec l’ambiance à
Paris : 55 % des Français ne font
pas confiance au gouverne-
ment français pour « limiter les
effets de l’épidémie », indiquait le
30 mars le sondage CoviDirect
réalisé par OpinionWay e t
Square pour « Les Echos ».
L’exécutif allemand profite de
la relative résistance au virus du
pays, qui a notamment accueilli
des malades français dont le sys-
tème de santé est engorgé. En
appuyant ses décisions sur les
recommandations scientifiques
de l’Institut Robert- Koch, tout en
reconnaissant la nécessité de
s’adapter au jour le jour à un
ennemi mal connu, « Mutti »
- désormais sortie de sa quaran-
taine – convainc aussi les Alle-
mands qu’elle agit au mieux de
leurs intérêts.
L’atout du fédéralisme
A cela s’ajoute le front uni formé
par le gouvernement fédéral et les
Länder. « Les décisions sanitaires
étant locales, elles permettent de col-
ler à la spécificité de chaque région et
d’être mieux acceptées. La coordina-
tion avec le gouvernement fédéral
leur donne une légitimité démocrati-
que forte qui fait du fédéralisme un
vrai atout », analyse Ursula Münch,
directrice de l’Académie d’éduca-
tion à la politique de Tützing.
Après cinq années d’orthodoxie
budgétaire, le « Bazooka » finan-
cier déployé pour protéger l’écono-
mie est la preuve la plus sonnante
de la mobilisation de l’exécutif
pour défendre les intérêts du pays.
Et contrairement aux précéd-
entes crises, cette mobilisation
s’accompagne d’un changement de
discours clé.
Lune de miel fragile
Le choc externe que représente le
coronavirus a en effet éliminé
toute logique punitive. En évo-
quant, fin mars, la perspective de
plus de 150.000 chômeurs sup-
plémentaires dès la mi-avril, le
ministre de l’Emploi, Hubertus
Heil, a ainsi vanté le revenu mini-
mum garanti. « C’est un droit, ce
n’est pas une honte. Il n’y aura pas
d’examen patrimonial », a-t-il
assuré. Cet instrument était au
contraire stigmatisant pour ses
bénéficiaires, menacés jus-
qu’alors de sanctions s’ils ne rem-
plissaient pas leurs obligations.
La lune de miel reste cependant
fragile. « Tous les regards sont tour-
nés vers le 20 avril », assure Ursula
Münch. Cela fera un mois que les
restrictions de contacts seront en
place. Si elles ne sont pas assou-
plies, la patience des entreprises et
des ménages pourrait alors attein-
dre ses limites. —N. Re.
Le soutien
sans faille de
la population
Plus de 7 personnes sur dix
en Allemagne se montrent
satisfaites de l’action de la
coalition d’Angela Merkel.
L’entreprise baravoise Zettl, sous-traitant du secteur automobile, s’est reconvertie, comme beaucoup
d’autres, dans la confection de masques. Photo Armin Weigel/dpa Picture-Alliance via AFP
Ninon Renaud
@NinonRenaud
Nathalie Steiwer
@natbxltecr
—Correspondantes à Berlin
Son téléphone a sonné le 6 mars : le
gouvernement régional du Bade-
Würtemberg appelait Wolfgang
Grupp pour savoir si son entreprise
de confection de vêtements de sport
et loisirs pouvait fabriquer
des masques de protection pour le
personnel infirmier et les patients
atteints du coronavirus. Le 19 mars,
Trigema e t ses 1 .200 s alariés
livraient une première cargaison de
120.000 masques, et d es surblouses.
Depuis, l’entreprise familiale a beau
tourner à plein régime, elle croule
sous les commandes : un million de
masques sont en attente.
Ailleurs, c’est un fabricant de
matelas est-allemand, Breckle, qui
se reconvertit dans les masques, et
un spécialiste des systèmes de
dosage, Tünkers-Nickel, près de
Cologne, qui propose de produire
des pièces d’appareils respiratoi-
res... Le tissu économique alle-
mand est « formé de ces petites et
moyennes entreprises qui peuvent
réagir très rapidement lors de crises
complexes », constate Niklas Kuc-
zaty, qui dirige la branche médicale
de la fédération allemande de
l’ingénierie mécanique, VDMA.
« Je suis seul propriétaire de
Trigema. Quand je décide, on fait »,
confirme Wolfgang Grupp, l e direc-
te ur général du groupe fondé il y a
cent ans par son grand-père, au sud
de Tübingen, dans le Bade-Wur-
temberg. Le quasi-octogénaire, tiré
à quatre épingles, voit un élément
central à sa réactivité : « Je produis
tout sur p lace en Allemagne, cela per-
met d’aller encore plus vite. »
Pour Niklas Kuczaty, la grande
force de l’Allemagne est d’avoir pré-
servé ses sous-traitants en aval, et
son génie mécanique en amont :
« Une grande partie des machines qui
produisent du matériel médical en
Chine sont fabriquées en Allema-
gne. » Des « champions cachés »
comme Pia Automation ou IMS
Tech, par exemple, livrent les robots
et machines nécessaires pour sécu-
riser les dispositifs médicaux et
fabriquer des ventilateurs, relève
Niklas Kuczaty. Cette disponibilité
permet de répondre à l’appel du gou-
vernement pour construire ex n ihilo
outre-Rhin des chaînes de produc-
tion complexes d’ici quelques mois.
Une PME sur dix
craint la faillite
Une courroie plante les ambitions
nationales dans ce terrain fertile :
les fédérations d’entreprises. L’Etat
prévoit 200.000 tests par jour fin
avril? La fédération des laboratoi-
res accrédités, l’ALM, coordonne
les efforts des cinquante grands
laboratoires, qui assurent 80 % des
analyses, et des centaines de petites
officines qui comblent les trous.
Des valves, tubes et pinces sont
nécessaires pour les ventilateurs?
« Nous avons un réseau national
mais aussi des fédérations régiona-
les et locales qui connaissent très
bien les entreprises et nous permet-
tent d e mettre en c ontact la demande
et l’offre », note Niklas Kuczaty.
Dans des régions comme le Bade-
Wurtemberg ou la Bavière notam-
ment, « les décisions vont très vite
parce que les chefs d’entreprise se
connaissent depuis des années » à
travers les réseaux locaux d’entre-
prises, relève-t-il.
Cette imbrication du tissu indus-
triel et politique garantit un filet de
sécurité en cas de choc. Ces liens
expliquent aussi l’attention portée
par le gouvernement aux PME
actuellement touchées par la crise.
La reconversion éclair de Trigema
était vitale : ses 44 magasins instal-
lés dans des lieux de villégiature en
Allemagne ont dû fermer, ampu-
tant brutalement de moitié son
chiffre d’affaires.
Dans tout le pays, une PME sur
dix craint la faillite. Thomas B areiß
(CDU), qui vient d’être nommé
commissaire du gouvernement
pour les petites et moyennes entre-
prises, leur promet un « pro-
gramme de remise en forme » pour
la sortie de crise.n
lLes courroies de transmission de l’ADN fédéraliste et associatif de l’Allemagne fonctionnent à plein régime.
lLe pays veut garantir le filet de sécurité de l’économie et assurer son agilité. Explications.
Les bonnes recettes de l’Allemagne
face à la pandémie
« Nos installations
de production
de masques
en Suède et en
Afrique du Sud
fonctionnent déjà
à pleine capacité,
24 heures sur 24. »
STEFAN DRÄGER
PDG
« [Le tissu
économique
allemand est]
formé de ces petites
et moyennes
entreprises qui
peuvent réagir très
rapidement lors de
crises complexes. »
NIKLAS KUCZATY
Dirigeant de VDMA