Les Echos - 07.04.2020

(Axel Boer) #1

Les Echos Mardi 7 avril 2020 EVENEMENT// 07


« Notre industrie
exportatrice
va continuer
de souffrir
longtemps après
que nous aurons
maîtrisé la crise
sanitaire. »
MARKUS SÖDER
Ministre-président
de Bavière

ment le serment des deux Etats à
« agir conjointement ». Pour Claire
Demesmay, directrice du pro-
gramme franco-allemand de l ’insti-
tut allemand de politique étrangère
(DGAP), « les deux gouvernements
ne sont pas à la hauteur de leurs
engagements. Derrière les discours
de solidarité, on a retrouvé les grands
clivages classiques entre pays du
Nord et du Sud. Or cette crise n’a rien
de classique ni par sa nature ni par
son ampleur ».

Chacun pour soi
Entre le déni, qui a prévalu jusqu’au
début du mois de mars, et la sidéra-
tion q ui a ensuite saisi l es gouverne-
ments européens lorsqu’ils ont
compris que leurs pays n’é chappe-
raient pas à la pandémie, c’est la
règle du « chacun pour soi » qui l’a
emporté, l’Allemagne et la France,
calées sur des d ynamiques d ifféren-
tes de l’épidémie, donnant l’impres-
sion d’une cacophonie déplacée.
« Très vite le dialogue a repris, en
particulier au niveau des régions où
les systèmes d’alerte ont bien fonc-
tionné, relativise-t-on à Paris, et
nous a vons trouvé un modus v ivendi.
Les passages de marchandises, de
matériel de protection et des tra-
vailleurs frontaliers se sont fluidifiés,

d’achat de dettes de la Banque
centrale européenne et la flexibi-
lité annoncée dans l’octroi des prêts
du Mécanisme européen de stabi-
lité (MES) sont autant de preuves
que Berlin est disposé au compro-
mis. L’Allemagne a changé depuis
la crise des dettes souveraines, note
Claire Demesmay : « On est sorti de
la fable de “La Cigale et de la Fourmi”.
Aucun pays n’est responsable de la
situation et ne mérite d’être puni »
dans cette crise.
II reste néanmoins une défiance
atavique de l’A llemagne vis-à-vis
des pays du Sud et de leur capacité
à gérer leurs dépenses. « La crainte
est toujours présente outre-Rhin de
perdre le contrôle, d’où le refus des
“c oronabonds” et de toute union de
transferts », poursuit l’analyste. Un
refus d’autant plus difficile à accep-
ter par les pays d u Sud que l’Allema-
gne s’en sort b ien mieux face
au coronavirus.n

Le dialogue franco-allemand


tangue mais résiste à la crise


Catherine Chatignoux
@chatignoux
Ninon Renaud
@NinonRenaud
—Correspondante à Berlin


Fermeture unilatérale de la fron-
tière franco-allemande le 16 mars,
interdiction des exportations alle-
mandes de matériel de protection
au sein même de l’Union euro-
péenne et déclarations catégori-
ques de la chancelière contre les
« coronabonds », érigés en symbole
de la solidarité financière des Euro-
péens face à une crise inédite. Diffi-
cile de ne pas lire à travers ces
récents épisodes les nouveaux
signes d’une mésentente franco-al-
lemande, à tout le moins d’un man-
que de coopération entre les deux
pays alors qu’ils font face à la plus
grave crise depuis la Seconde
Guerre mondiale.
Quelques mois après l’entrée en
vigueur du traité d’Aix-la-Chapelle,
le coronavirus vient tester radicale-


Après la cacophonie
des premiers jours
et en dépit du point
de friction des « corona-
bonds », le dialogue n’a pas
cessé entre Paris et Berlin.


ses de position du leader bavarois


  • après tout, il est accaparé par les
    négociations européennes sur les
    mesures de soutien aux pays du sud
    du continent qui ont cours avant
    l’Eurogroupe de ce mardi –, le copré-
    sident du SPD s’est chargé de le faire.
    « Adam Riese [célèbre mathémati-
    cien de la Renaissance, NDLR] était
    bavarois et le ministre-président de
    Bavière pourrait apprendre de lui
    qu’on ne rembourse pas 156 milliards
    d’euros d’emprunts [prévus dans le
    récent correctif budgétaire, NDLR]
    en réduisant les rentrées d’argent », a
    déclaré Norbert Walter-Borjans,
    suggérant plutôt « de plus investir et
    de mieux payer les véritables héros de
    cette crise sanitaire ». Voilà qui
    annonce des joutes animées au Bun-
    destag dans les mois qui viennent.


Gauche radicale
Sociaux-démocrates et conserva-
teurs semblent toutefois d’accord
pour anticiper la suppression de
l’impôt de solidarité, créé au début
des années 1990 pour financer la
réunification. Elle devait être effec-
tive au 1er janvier 2021, elle pourrait
l’être dès le 1er juillet. Reste à voir si la
taxe continuera, comme prévu ini-
tialement, de s’appliquer aux reve-
nus les plus élevés. La proposition
assez radicale de la coprésidente du
SPD, Saskia Esken, d’un prélève-
ment exceptionnel sur les patrimoi-
nes les p lus forts, rendu p ossible p ar
l’article 106 de la Loi fondamentale,
n’a en revanche guère de soutien
hors de la gauche radicale. Les libé-
raux l’ont vertement critiquée, met-
tant en avant le rôle fondamental
que joueront les entreprises fami-
liales du Mittelstand d ans la reprise.
Ce n’est vraiment pas le moment de
les ponctionner, arguent-ils.n

Karl De Meyer
@demeyerkarl


Est-ce parce que la crise sanitaire y
est légèrement moins dramatique
que dans les pays voisins? Y a-t-il
une appétence particulière de la
classe politique allemande pour les
questions fiscales? Faut-il y voir la
conséquence immédiate de l’aban-
don brutal du principe de l’excédent
budgétaire, pour cause de pandé-
mie? Le fait est qu’est déjà né en
Allemagne un fiévreux débat sur la
marche à suivre, en matière
d’impôts, une fois l’épidémie de
Covid-19 surmontée.
Alors qu’en 2009-2010, Berlin
avait été sévèrement critiqué pour
la timidité de ses plans de relance,
tous les bords politiques semblent
cette fois s’accorder sur la nécessité
d’un stimulus massif. Mais les avis
divergent sur la méthode. Markus
Söder, le ministre-président de
Bavière qui depuis des mois gagne
en visibilité et en popularité, au
point d’être regardé comme possi-
ble candidat des conservateurs à la
chancellerie l’an prochain, réclame
de significatives baisses d’impôts
sur le revenu. Pour tous, y compris
les plus aisés. Son raisonnement est
simple : « Notre industrie exporta-
trice va continuer de souffrir long-
temps après que nous aurons maî-
trisé la crise sanitaire », explique-t-il,
ce qui implique de doper la
demande intérieure, et donc la con-
sommation des ménages, pour
compenser. Or, assure-t-il, « les bais-
ses d’impôts présentent cet avantage
de produire des effets rapides ».


« Payer les véritables héros »
Le ministre des Finances, Olaf
Scholz, social-démocrate (SPD),
plaide, lui, pour une autre voie. Il veut
favoriser les i nvestissements verts en
direction de technologies qui per-
mettront à l’A llemagne d’atteindre la
neutralité carbone en 2050. S’il n’a
pas longuement commenté les pri-


Les conservateurs
réclament des baisses
d‘impôts, les sociaux-démo-
crates des investissements
dans les énergies propres.
Mais il n’existe pas de
consensus pour une taxe
exceptionnelle sur les hauts
patrimoines.


Berlin engage déjà le


débat fiscal sur « l’après »


d’autant plus aisément que côté fran-
çais, nous sommes entrés en phase de
confinement dès le 18 mars. »

Derrière cette confusion des pre-
miers instants, le franco-allemand
a plutôt bien fonctionné ces derniè-
res semaines, même si le rejet pres-
que idéologique des eurobonds
côté allemand donne l’impression
d’un blocage. Berlin a pourtant
beaucoup concédé pour répondre
collectivement à la crise, plus
encore qu’en 2008-2009. L a suspen-
sion pour une durée indéterminée
du Pacte de stabilité et de la disci-
pline budgétaire qu’il incarne,
l’assouplissement inédit des règles

La coopération
se poursuit,
sur fond de tensions
et de compromis.

Emmanuel Macron et Angela Merkel, calés sur des dynamiques diffé-
rentes de l’épidémie, donnent l’impression d’une cacophonie déplacée.

Dominique Jacovides/pool/AFP
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