gles mêmes de la recherche
libre. Il accueille, avec une
certaine faveur, des con-
cepts comme «l’intersec-
tionnalité», qui met en lu-
mière les phénomènes
cumulatifs qui frappent cer-
taines minorités comme les
femmes «racisées», discri-
minées comme femmes et
comme membres d’une mi-
norité opprimée. Mais re-
marque-t-il, ces concepts à
la mode tendent aussi à divi-
ser la lutte sociale en autant
de combats séparés, fondés
sur la revendication identi-
taire, qui empêchent toute
unité d’action en excluant la
référence à des valeurs com-
munes et universelles. L’an-
tiracisme identitaire devient
ainsi un «racialisme» qui
adopte, sous couvert de les
dénoncer, les mêmes caté-
gories que le racisme.
La sociologie, dit-il, doit af-
fronter les maux du temps,
la dérive illibérale, le natio-
nalisme, les «fake news» ou
la violence terroriste, non
seulement pour en mener la
critique, mais aussi pour ex-
plorer les voies d’une sortie
de crise et d’un retour, non
à l’harmonie irénique, mais
à des conflits civilisés qui
sont le propre des sociétés
démocratiques. D’où des dé-
veloppements éclairants,
soutenus par les recherches
les plus récentes, sur la «dé-
radicalisation» des jihadis-
tes, la prévention de la vio-
lence ou les meilleurs
moyens de mettre fin aux
conflits armés qui déchirent
certaines sociétés. A chaque
fois, dans un effort de clarté
et de nuance, il rappelle de
manière pédagogique les
apports des différentes éco-
les, relie les analyses con-
temporaines aux explora-
tions initiales des grands
noms de la sociologie. Au
bout du compte, il donne
une vaste et limpide syn-
thèse des questions qui agi-
tent l’actualité la plus brû-
lante, tout entière animée
par la volonté de sauver et
de réinventer à la fois ce sys-
tème qui reste notre seule
bouée de sauvetage : la so-
ciété démocratique, fragile
et divisée, décevante et par-
fois hypocrite, mais seule
capable de donner à chacun
l’espoir de maîtriser son
propre destin.•
La cité des livres
Par
Laurent Joffrin
Les sociologues
au secours
de la démocratie
Dans son dernier ouvrage, Michel Wieviorka
donne une tâche simple et urgente à sa
discipline : diagnostiquer les maux de
la démocratie et proposer des remèdes.
Q
uand ils entendent
le mot sociologie,
certains sortent,
métaphoriquement, leur re-
volver. Légion de faux scien-
tifiques, disent-ils, nid de
contestataires, réservoir à
frustrés, songe-creux démo-
lisseurs de l’ordre social. Ou
bien agents stipendiés du
commerce, complices intel-
lectuels du marché, alliés
subventionnés de l’ordre
bourgeois : certains milieux
conservateurs ne voient
dans l’étude des sociétés
contemporaines que gas-
pillage et menace, d’autres
une justification oblique du
«système». Sociologue s’il
en est, Michel Wieviorka li-
vre, à rebours de ces préju-
gés, un plaidoyer nuancé
pour sa discipline et lui
donne une tâche simple et
urgente : diagnostiquer les
maux de la démocratie et
proposer des remèdes.
Sociologue engagé? Oui,
mais avec distance. Wie-
viorka se situe à l’écart de
deux écueils : la dévotion en-
vers un pur savoir, indiffé-
rent aux questions cruciales
soulevées par l’actualité, qui
ferait du sociologue un sa-
vant Cosinus enfermé dans
sa tour d’ivoire universitaire ;
ou alors l’embrigadement au
service de telle ou telle cause
impérieuse, qui transforme-
rait le scientifique en mili-
tant, en chercheur qui a déjà
tout trouvé, dans une nou-
velle variante de cette «trahi-
son des clercs» naguère dé-
noncée par Julien Benda, qui
stigmatisait dans les an-
nées 30 ces intellectuels
changés en auxiliaires des
doctrines autoritaires. Il voit
le sociologue comme un ana-
lyste indépendant qui tra-
vaille au contact étroit des
acteurs, pour leur permettre
de «produire la société» plu-
tôt que d’en être les rouages
passifs. Ni savoir éthéré ni
«sport de combat», la socio-
logie devient connaissance
libre et utile à la démocratie.
Sans elle, son travail mis au
service des pouvoirs n’a plus
de sens. En retour, le sociolo-
gue vole à son secours pour
surmonter les crises qui la
frappe.
Sociologue neutre? Certes
non : Wieviorka appuie son
travail sur une méthode,
l’étude des «mouvements so-
ciaux», tels que les définit
son inspirateur Alain Tou-
raine, chef de file d’un cou-
rant fécond de la discipline.
La société a pour base le su-
jet, acteur de son propre
destin, qui n’est pas l’indi-
vidu isolé et calculateur de
l’école libérale, pas plus que
le golem inconscient des
écoles déterministes, simple
jouet des structures dont
seule la mise au jour per-
mettrait de comprendre un
jeu social bloqué par les im-
placables mécanismes de la
reproduction. Un individu
lié aux autres, certes, por-
teur de préjugés, influencé
par le système social, mais
capable de s’en libérer par
l’action volontaire et la lutte
collective. Sociologue dé-
mocrate, donc, Wieviorka
passe au feu de la critique la
radicalité sociologique en
vogue sur la scène universi-
taire, mère d’un sectarisme
militant qui entretient un
climat de suspicion, voie de
censure, qui contredit les rè-
Michel Wieviorka
Pour une démocratie
de combat Robert Laffont
488 pp., 21 euros.
Libération Mercredi 25 Mars 2020 u 19
Les policiers sont-ils
fortement touchés
par le Covid-19?
Pourquoi les autorités
ne comptent pas les décès
survenus en Ephad dans
le bilan des victimes
du Covid-19?
Face à la saturation des
services de réanimation,
comment décident
les médecins?
Covid-19 : Quels sont
les principaux facteurs
de comorbidité?
vous demandez
nous vérifions