Libération - 25.03.2020

(Steven Felgate) #1

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Livraison
de produits frais,
mardi à Paris.

une prime de 1 000 euros défiscali-
sée à ceux qui avaient le «courage»
de continuer à venir sur leur lieu de
travail. Un ­argument non négligea-
ble pour des salariés souvent précai-
res. Réaction d’Yves Veyrier de FO :
«S’il s’agit d’une forme de rémunéra-
tion du ­risque, on n’est pas d’accord.
En revanche, s’il s’agit de s’aperce-
voir qu’il est temps de revaloriser ces
métiers, d’accord.» Car cette crise sa-
nitaire dessine un monde du travail
coupé en deux (lire page 5). Deux
France. Celle des travailleurs cumu-
lant ­petits salaires, contrats précai-
res, temps partiels... La France des
aides à domicile, employés, routiers,
éboueurs à qui l’on demande de
continuer à se rendre sur leur lieu de
travail. Et la France du télétravail
faisant des réunions en ligne depuis
son canapé ou sa maison de vacan-
ces, glosent les premiers, qui se sen-
tent comme des citoyens de seconde
zone. Un sentiment exacerbé par
la multiplication des suspicions
de contamination parmi ces «petites
mains» trop souvent reléguées
au second plan. Qui, parce que
­précaires, peuvent difficilement
­risquer de perdre leur emploi
ou le moindre euro. Ou se faire
entendre.•


R


alentir au maximum l’épi-
démie tout en évitant de
mettre l’économie fran-
çaise à l’arrêt. Comme la plupart
des dirigeants de la planète,
­Emmanuel Macron tente de
trouver le point d’équilibre entre
ces deux exigences. L’exercice
est d’autant plus difficile que la
virulence du Covid-19 (qui a fait
à ce jour 1 100 morts à l’hôpital
en France, soit 240 dans les der-
nières vingt-quatres heures) a
été manifestement sous-esti-

Effaré par les ravages du confine-
ment sur la vie économique et
­financière, le président améri-
cain, Donald Trump, a exprimé
l’angoisse qui étreint de nom-
breux dirigeants : «Nous ne pou-
vons laisser le remède être pire
que le problème lui-même», a-t-il
tweeté lundi, alors que les autori-
tés de New York le somment de
déclarer un confinement natio-
nal. A Paris, Le Maire en appelle,
lui, au «patriotisme économique»
pour surmonter une crise «sans
précédent depuis la Grande
­Dépression de 1929». S’il promet
que l’Etat fera le nécessaire pour
sauver l’industrie française,
en nationalisant «en dernier
­recours», il invite les salariés à
prendre des congés pendant
le confinement, car «nous aurons
besoin de toutes nos forces pour
redémarrer». Pour ceux qui
­continuent à se rendre au travail,
Le Maire s’est engagé à simpli-
fier la procédure pour leur verser
une prime de 1 000 euros défis­-
calisés.

Contradiction. La semaine
dernière, le ministre avait invité
«tous les salariés dont les activités
sont indispensables au bon fonc-
tionnement du pays à se rendre
sur leur lieu de travail». Aucune
contradiction, selon lui, entre
cet appel à aller travailler et les
­consignes de confinement : «Il
faut bien que nous puissions
­continuer à nous nourrir», a-t-il
ajouté, saluant «les héros du quo-
tidien qui nous permettent à tous
d’avoir une vie quotidienne qui
soit la moins perturbée possible»
(lire page 6). Pressé par les oppo-
sitions et les syndicats, le gouver-
nement continue toutefois d’af-
firmer qu’il est impossible de fixer
une liste des activités vraiment
essentielles. «On n’a pas besoin
que tout le monde travaille, mais
il y a très peu de secteurs dont on
peut se passer complètement pour
soutenir nos hôpitaux ou pour la
vie quotidienne des Français», a
dit mardi la ministre du Travail,
Muriel Pénicaud.
Dans un registre lui aussi patrio-
tique, le ministre de l’Agriculture,
Didier Guillaume, a lancé mardi
un «grand appel». S’adressant
aux confinés des secteurs à l’arrêt


  • «serveur dans un restaurant,
    hôtesse d’accueil dans un hôtel,
    coiffeur...» –, il les a invités à
    ­rejoindre «la grande armée de
    l’agriculture française» et à ­aider
    les producteurs, privés de
    leur main-d’œuvre étrangère
    ­habituellement embauchée dès
    avril pour récolter les fruits et
    ­légumes. Selon la présidente de
    la FNSEA, Christiane Lambert,
    le besoin s’élève à «200 000 per-
    sonnes sur les trois mois qui
    ­viennent».
    Alain Auffray


mée, dans les premières semai-
nes, par les autorités politiques
et sanitaires.
Début mars, alors qu’on ne recen-
sait encore que quatre morts et
trois foyers de contamination,
l’exécutif ne s’inquiétait pas trop.
Si le passage au stade épidémique
était jugé inévitable, il n’était pas
question de confinement. Pas
même en Italie, où il ne sera
­décrété que le 9 mars. Après le
Conseil des ministres du 4 mars,
la porte-parole du gouverne-
ment, Sibeth Ndiaye, rappelle en-
core «un chiffre tout simple», que
ressortent aussi de nombreux
médecins sur les plateaux de
­télévision : la grippe ordinaire
touche chaque année plus de
2 millions de Français, causant
près de 10 000 décès. S’il dit
prendre la menace très au sé-
rieux, ce jour-là le chef de l’Etat

souligne encore qu’il ne peut être
question de mettre l’économie
en pause.

«Patriotisme». Changement de
ton radical huit jours plus tard :
«Nous n’ajouterons pas aux diffi-
cultés sanitaires la peur de la
faillite pour les entrepreneurs,
l’angoisse du chômage et des fins
de mois difficiles pour les sala-
riés», déclare Macron le 12 mars,
après avoir annoncé la fermeture
de tous les établissements scolai-
res. Il promet de tout mettre en
œuvre pour protéger «quoi qu’il
en coûte» les entreprises obligées
de cesser leurs activités : «L’Etat
prendra en charge l’indemni­-
sation des salariés contraints de
­rester chez eux.» Selon le ministre
de l’Economie, Bruno Le Maire,
730 000 salariés ont déjà été pla-
cés en chômage partiel.

Entre économie et


épidémie, l’exécutif varie


Alors que le conseil
scientifique
a préconisé mardi
un confinement
de six semaines,
le gouvernement
redoute ses effets
sur l’industrie.
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