Libération - 25.03.2020

(Steven Felgate) #1

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taux de préparer des scénarios bud-
gétaires sur la base de ces chiffres.
Mais cette hypothèse est politique-
ment et économiquement très ris-
quée pour le prince Ben Salmane.
Le ­programme de réformes et de
développement ambitieux qu’il
mène au pas de charge et d’une
main de fer exige des investisse-
ments pharaoniques difficiles à
­réaliser dans un contexte de dé-
route des revenus pétroliers.
Si les pétromonarchies sont capa-
bles à court terme de puiser dans
leurs réserves financières colossales
et d’emprunter sur les marchés in-
ternationaux, c’est loin d’être le cas
pour les autres pays arabes produc-
teurs et surtout le numéro 2 de
l’Opep, l’Irak. Pour Bagdad, les
­crises du pétrole et du coronavirus
viennent s’ajouter à une impasse
politique provoquée par un mouve-
ment de protestation populaire
­inédit et à une guerre à laquelle se
livrent depuis des mois les Etats-

Unis et l’Iran sur son territoire. Les
revenus du pétrole représentent
plus de 90 % des recettes du pays,
dont le budget est calculé sur la base
d’un baril à 60 dollars. Or plus des
trois quarts de ce budget couvrent
uniquement les salaires des 8 mil-
lions de fonctionnaires et les frais
de fonctionnement des administra-
tions. Un record dû en partie au fait
que les autorités ont une nouvelle
fois multiplié les embauches
(500 000 ces derniers mois) pour
calmer la contestation.
Avec 17 victimes recensées mardi,
l’Algérie était le second pays d’Afri-
que le plus durement frappé par
l’épidémie de coronavirus, après
l’Egypte. Mais l’Etat algérien ­souffre
également de la «maladie hollan-
daise», cette malédiction qui pour-
suit les producteurs de matière pre-
mière en les rendant ultra­-
dépendants de leurs ressources
naturelles. «La situation est
catastro­phique. Avec un baril à

25 dollars, l’économie algérienne entre
dans un puits sans fond», juge Raouf
Boucekkine, économiste à l’Univer-
sité d’Aix-Marseille. Le régime avait
dépensé sans compter, lors du prin-
temps arabe de 2011, pour acheter la
paix sociale. A l’époque, le prix du
baril était haut. Mais un premier
choc pétrolier, en 2014, avait fait va-
ciller ce modèle clientéliste. Le gou-
vernement avait alors pioché massi-
vement dans ses réserves de change,
les faisant fondre de 200 milliards
de dollars en 2014 à 60 milliards en
fin d’année dernière. «Rien n’a été
fait depuis 2014 pour amorcer un dé-
but de réforme structurelle, la dé-
pendance aux hydrocarbures reste
à un niveau suicidaire, poursuit
Boucekkine. La diversification est
décrétée tous les mois en Algérie,
mais c’est une incantation sans len-
demain. Il ne peut pas y avoir de di-
versification si un secteur privé dy-
namique ne prend pas racine dans
l’écosystème algérien, avec au préa-

lable un dispositif de financement de
l’investissement privé performant.
Or la réforme bancaire, pour des
­raisons politiques, est sans cesse
­repoussée.»
Pour parer l’urgence, le président
Abdelmadjid Tebboune, élu en dé-
cembre, a annoncé dimanche des
coupes tous azimuts dans le budget
de l’Etat, notamment une réduction
de 30 % du budget de fonctionne-
ment, sans pour autant toucher aux
salaires des fonctionnaires, ni au
secteur de la santé. Le mouvement
de contestation qui a provoqué
l’an dernier la chute d’Abdelaziz
Bouteflika a suspendu ses grandes
­marches du vendredi, coronavirus
oblige. Le chef de l’Etat, dont la légi-
timité est toujours contestée par les
manifestants, peut souffler. Tem-
porairement seulement. Sur le long
terme, la crise du pétrole pourrait
détraquer la machine de redistribu-
tion de la rente, l’un des derniers
ressorts du pouvoir algérien.•

Les faits
du jour

nEn Italie, après deux jours
de baisse consécutifs, le
bilan est reparti à la hausse,
mardi, avec 743 morts
contre 602 lundi, ainsi
que 3 612 nouveaux cas.
nLa Suède persiste à
maintenir ouvertes les écoles
primaires, les bars et les
restaurants, les autorités
allant jusqu’à inviter
la population à sortir, tout en
encourageant le télétravail.
nEn Inde, le Premier
ministre, Narendra Modi,
a ordonné un confinement
total pendant trois semaines
du pays de 1,3 milliard
d’habitants, qui dénombre
519 cas confirmés
et 10 décès.
nEn Espagne, le procureur
de la République a ouvert
une enquête après
que l’armée a découvert
des personnes âgées
abandonnées dans leur lit
dans plusieurs Ehpad d’où le
personnel s’était sauvé en les
laissant sans soins. Parmi
elles, de nombreux morts
du Covid-19.
nEn Afrique du Sud, le
nombre de contaminations
a atteint 554 cas, un bond
de plus de 150 cas en vingt-
quatre heures, a annoncé
mardi le ministre de la Santé.
Dans le pays le plus touché
du continent, aucun décès
n’a encore été enregistré,
même si 2 personnes
sont hospitalisées en soins
intensifs.
nAux Philippines,
le président Rodrigo Duterte
a fait adopter une loi qui
lui confère des pouvoirs
spéciaux pour lutter contre
l’épidémie. Le pays compte
462 cas confirmés
et 33 décès.
nAu Brésil, le stade
Pacaembu de Saõ Paulo,
ville épicentre de l’épidémie,
sera bientôt transformé
en hôpital pour traiter les cas
mineurs de Covid-19. Le pays
compte 1 600 cas confirmés
et a enregistré 25 décès.
nAux Etats-Unis, le Center
for Health Security de Johns-
Hopkins a recensé mardi
600 morts à travers le pays,
avec près de 50 000 cas
officiellement déclarés. Le
vice-gouverneur du Texas,
Dan Patrick, a invité, lui, les
personnes âgées à accepter
de mourir pour sauver
l’économie, assurant que le
ralentissement de l’activité
était la vraie menace.
nA Strasbourg, le comité
pour les libertés civiles
du Parlement européen
a demandé l’évacuation
d’urgence par l’UE des
camps sur les îles grecques
où 42 000 demandeurs
d’asile vivent dans une
promiscuité inquiétante.

Salmane, lors du sommet du G20 de Buenos Aires, le 30 novembre 2018. Photo Marcos Brindicci. Reuters

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