Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1

12 // IDEES & DEBATS Mercredi 25 mars 2020 Les Echos


art & culture


La mort d’Uderzo :


Astérix perd son second père


Avec son trait, nerveux et souple à la fois, Uderzo donnait vie à une foule
de personnages, aux expressions incroyables. Photo © Romuald Meigneux/Sipa

David Barroux
@DavidBarroux

Astérix et Obélix sont une
nouvelle fois orphelins. Un
peu plus de quarante ans après la mort de
leur premier père, René Goscinny, leur
second, Albert Uderzo, l’artiste qui avait mis
en images les scénarios de son compère,
vient de mourir. A quatre-vingt-douze ans
ans, l’immigré italien, naturalisé Français en
1934, a été emporté par une crise cardiaque.
Géant au panthéon des bulles, Albert
Uderzo aura côtoyé les plus grands et fait
partie de cet âge d’or de la BD franco-belge
aux côtés de Franquin, Sempé, Peyo ou
Morris. Cette génération de l’après-guerre
qui, après Tintin, donna toutes ses lettres de
noblesse à un neuvième art s’adressant à
tous, de 7 à 77 ans. Avec « Astérix », la BD
nous parle de notre présent en nous replon-
geant dans un passé idéalisé. Elle se moque
de nous tous, de la France et des Français,
des Corses, des Bretons, de nos voisins, des
hommes, des femmes, des c hefs... Uderzo et
Goscinny avaient trouvé la potion magique
pour nous faire rire de tout, en tapant juste,
jamais avec méchanceté.
Celui qui ne fut longtemps qu’un simple
dessinateur de presse bascula dans la gloire
grâce à sa rencontre avec René Goscinny,
scénariste de génie, également auteur du
Petit Nicolas o u de L ucky Luke. En 1959, leur
complicité donne naissance à « Astérix le
Gaulois ». Le mariage entre les bons mots e t
les histoires de Goscinny et le talent graphi-
que d’un Uderzo qui, avec son trait, nerveux

et souple à la fois, donnait
vie à une foule de personna-
ges, aux expressions
incroyables, débouchera
sur l’une des plus grandes
sagas de la BD. En une trentaine d’albums
vendus en cumulé dans une dizaine de pays
à près de 400 millions d’exemplaires, Asté-
rix s’est imposé avec Mickey comme l ’un des
personnages de BD les plus multiformes
(produits dérivés, dessins animés, films,
parcs à thème...).

No uveau tandem
Ud erzo, qui fut souvent critiqué et jalousé
en raison de sa réussite économique dont il
était fier, avait créé sa propre maison d’édi-
tion et son studio de cinéma. Une querelle
d’argent avec sa fille restera comme l’une
des pages sombres de son histoire person-
nelle. Jugé avec mépris par certains qui
l’imaginaient incapable de poursuivre
l’aventure Astérix sans Goscinny, il a donné
tort aux sceptiques en prolongeant la vie de
l’irréductible Gaulois et d’un petit village
d’une Bretagne où il s’était réfugié pendant
la guerre pour échapper au STO. En con-
fiant en 2013 à un nouveau tandem (Jean-
Yves Ferri et Didier Conrad) le soin de conti-
nuer à faire vivre la saga, Uderzo avait su
anticiper sur sa mort. Troublant clin d’œil à
l’histoire : dans « Astérix et la Transitali-
que », album paru il y a trois ans, ce duo
avait baptisé un de ses personnages « Coro-
navirus ». Signe qu’A stérix, pour le meilleur
et pour le pire, a toujours su s’inscrire dans
notre présent.n

DISPARITION
Albert Uderzo
(25 avril 1927 -
24 mars 2020)

Manu Dibango


emporté par le coronavirus


Manu Dibango n’est pas la
première victime du coro-
navirus, mais peut-être l’un
des premiers grands noms
de la musique à s’é teindre à
cause de la pandémie. Il est décédé le
24 mars au petit matin dans un hôpital de la
région parisienne à l’âge de 86 ans. Son rire
résonne encore dans la tête de tous ceux qui
l’ont un jour croisé. Le saxophoniste était
une légende, une mémoire même de la
musique que l’on n e caractérisait p as e ncore
de world, juste de « typique ». Né l e
12 décembre 1933 à Douala (Cameroun), il
débarque à Marseille en 1949. Officielle-
ment pour poursuivre ses études mais il a
déjà bien d’autres idées en tête.

Premier tube africain
« J’ai une formation de pianiste, mon modèle
dans l a musique populaire c’était Louis Arms-
trong. Pourquoi? Parce qu’il chantait et qu’il
jouait. C’est l’un de mes regrets, ne pas avoir
chanté plus », racontait-il. « Dans les années
1950, je croise les Frères Jacques, Serge Gains-
bourg, c’est le bon moment pour être en
France. C e sont les Trente Glorieuses, tout est à
faire, l’air du temps est dynamique. Je joue
avec Nino Ferrer, sur ses tubes “Mirza”, “Les
Cornichons” puis Dick Rivers et Michel
Fugain. Toute la musique semble alors venir
des Etats-Unis ou d’Angleterre, et puis tout à
coup mon morceau vient chambouler tout ça.
“Soul Makossa” sort en 1972 et les Etats-Unis

m’appellent. » La chanson,
qui flirte avec le funk, res-
tera l’une des pierres fonda-
trices de l’afrobeat (mix de
musique traditionnelle afri-
caine, de jazz, de funk, percussions et de
chant), même le propre père de Manu ne
comprenait rien à ce charabia : « Mamako
mamassa mako makossa... » Mais lorsqu’il
l’entendait à la radio, il ne cachait pas sa
fierté en apprenant que ces quelques mots
avaient suffi à enrichir sa progéniture.
Vendu à plusieurs millions d’exemplaires,
ce fut le premier tube africain à franchir les
frontières. L’un des seuls, d’ailleurs. Des
années plus tard, de Michael Jackson à Will
Smith en passant par Rihanna tous l’ont un
jour « samplé ». Officiellement ou illégale-
ment...
« Lorsque l’on me demande si ce titre m’a
rendu riche je réponds qu’il faut demander à
mon percepteur... » , allusion non voilée au
long procès qui l’opposa à Michael Jackson,
le sample apparaît dans « Wanna Be Star-
tin’ Something ». La transaction financière
prendra des années à se réaliser, son mon-
tant n’a jamais été rendu public. C’est l’un des
rares sujets sur lequel l’homme ne s’étendait
pas... Manu Dibango n’a jamais c essé d’enre-
gistrer tout au long de sa carrière, une
soixantaine d’albums au bas mot, et une
réserve inépuisable d’histoires. Que l’on se
transmettra pour ne jamais l’oublier.
— Christian Eudeline

DISPARITION
Manu Dibango
(12 d écembre 1933 -
24 mars 2020)

LE POINT
DE VUE

d’ Angel Gurria


Illustration Maïly Glaize pour « Les Echos »


L


a pandémie due au coronavirus
(Covid-19) entraîne de très lour-
des pertes en vies humaines et
d’immenses souffrances au sein des
populations. Il s’agit d’une crise d e santé
publique sans précédent de mémoire
récente, une crise qui éprouve notre
aptitude collective à réagir. La priorité
la plus urgente est de minimiser l e nom-
bre de décès et les effets néfastes de la
maladie sur la santé humaine. Mais la
pandémie a également déclenché une
crise économique majeure qui va peser
sur nos sociétés d ans les a nnées à venir.
Bien avant la flambée de l’épidémie,
l’économie mondiale avait déjà laissé
paraître un certain nombre de facteurs
de vulnérabilité sous-jacents, notam-
ment le niveau é levé de la dette des entre-
prises et les tensions commerciales
entre les grandes économies, les écarts
de revenu et de patrimoine, et les inégali-
tés vis-à-vis de la stabilité de l’emploi.
Dans les pays de l’OCDE, plus d’un tiers
des ménages sont en proie à l’insécurité
financière, ce qui signifie qu’ils pour-
raient sombrer dans la pauvreté s’ils se
trouvent privés de revenu pendant trois
mois. Quant aux restrictions aux échan-
ges qui se sont multipliées ces dernières
années, elles risquent non seulement
d’entraver l’offre dans le domaine médi-
cal, pourtant si nécessaire dans certai-
nes situations, mais aussi de provoquer
des ruptures dans les chaînes d’approvi-
sionnement en denrées alimentaires ou
autres biens et services essentiels. Plus
globalement, elles accentuent le risque
d’une poussée plus grave de la maladie
ainsi que d’une récession plus profonde
et plus durable.

vailleurs indépendants), aux entrepri-
ses (reports de paiement des charges et
impôts, réduction ou report temporaire
de TVA, accès élargi au fonds de roule-
ment avec l’aide des lignes de crédit ou
des garanties de l’Etat).
Aujourd’hui, dans le cadre de la
réponse de l’OCDE à la crise, nous lan-
çons une plateforme qui diffusera des
informations actualisées et complètes
sur les mesures prises par les pouvoirs
publics des pays du monde entier,
accompagnées d e conseils d ispensés par
l’Organisation dans certains cas. Nous
publierons en outre, dans le contexte de
la crise du coronavirus, une série de
notes de synthèse sur toute une palette
de thèmes : vaccins, fiscalité, éducation,
PME, etc. Nous espérons ainsi aider les
gouvernements à apprendre les uns des
autres en temps réel, faciliter la coordi-
nation et contribuer à l’action nécessaire
d’envergure planétaire qui s’impose
pour relever c e gigantesque défi c ollectif.
Dans notre économie mondialisée, de
nombreux problèmes ne peuvent plus
trouver de solutions à l’intérieur des
frontières nationales, qu’ils concernent
un virus, le commerce, les migrations,
les dommages causés à l’environnement
ou le terrorisme. Une action multilaté-
rale a des retombées positives plus effi-
caces pour chaque pays que s’il avait agi
seul. Notre niveau d’ambition doit être à
la hauteur du plan Marshall – à l’origine
de l’OCDE – et notre vision commune,
comparable au New Deal, mais désor-
mais à une échelle mondiale.

Angel Gurria est secrétaire général
de l’OCDE.

Contre le coronavirus,


un « New Deal »


à l’échelle mondiale


L’OC DE appelle au déploiement
d’efforts importants, crédibles et coor-
donnés au niveau international. Ces
efforts doivent s’articuler autour de
deux axes. Les gouvernements
devraient d’abord intensifier la coopé-
ration i nternationale en réponse a u défi
sanitaire. Une coordination impres-
sionnante sur le plan scientifique est à
l’œuvre, mais elle doit être complétée
par des mesures d estinées à assurer q ue
les vaccins et les traitements, lorsqu’ils
auront été développés et produits,
seront disponibles p our les p opulations
le plus tôt possible. Aujourd’hui, les
organismes de réglementation (la FDA
aux Etats-Unis, l’Agence européenne
des médicaments, entre autres)
devraient s’employer ensemble à sup-
primer les obstacles d’ordre réglemen-
taire pour les vaccins et les traitements.

Les gouvernements devraient aussi
promouvoir des politiques publiques
communes, au lieu d’agir sans aucune
coordination. Ils devraient mobiliser
sans délai les ressources nécessaires,
notamment en consacrant au plus vite
des dépenses aux soins de santé, aux
personnes elles-mêmes (assouplisse-
ment des conditions d’obtention des
prestations d’assurance-chômage,
transferts monétaires au profit des tra-

Une action multilatérale
a des retombées
positives plus efficaces
pour chaque pays
que s’il avait agi seul.
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